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Comment l’Allemagne hitlérienne a-t-elle pu avec peu de devises, un chômage de masse, d’insuffisantes ressources naturelles et un appareil industriel limité déclencher ce cataclysme que fut la Seconde Guerre mondiale et occuper une grande partie du territoire européen ? Étayé par des travaux récents d’historiens et nourri d’archives rares, un passionnant décryptage.
Quand il arrive à la chancellerie du Reich le 30 janvier 1933, Hitler est à la tête d’un pays à genoux, ruiné par l’hyperinflation des années 1920 puis par la Grande Dépression. Suivant la feuille de route qu’il a tracée en 1925 dans Mein Kampf, le Führer vise trois grands desseins : la remilitarisation du pays – qui lui est interdite par le traité de Versailles –, la destruction des échanges internationaux et l’expansion vers l’Est. Le régime hitlérien, qui a réinstitué en 1934 la conscription, entend se réarmer en toute discrétion. Un astucieux montage financier permet de produire chars, avions et munitions en échappant aux radars de la Société des nations. Lançant de grands chantiers d’infrastructures qui sortent des millions de chômeurs de la misère, l’Allemagne nazie met en œuvre parallèlement une répression politique et syndicale qui rassure le patronat, et institutionnalise les persécutions envers la communauté juive, dont les biens sont spoliés. Des programmes sont également mis sur pied pour pallier le manque de matières premières (carburant, fer, charbon, caoutchouc…) indispensables à l’effort de guerre. Après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, les pays occupés par les armées du IIIe Reich, la France en tête, sont pillés sans vergogne…
Bureaux d'études
Comment l’Allemagne hitlérienne a-t-elle pu avec peu de devises, un chômage de masse, d’insuffisantes ressources naturelles et un appareil industriel limité déclencher ce cataclysme que fut la Seconde Guerre mondiale et occuper une grande partie du territoire européen ? Nourri d’archives rares et illustré d’originales animations d’inspiration dadaïste, Les nazis et l’argent – Au coeur du IIIe Reich décrypte la manière dont les questions économiques ont joué un rôle majeur dans la mise en œuvre de la funeste idéologie du IIIe Reich, des foyers allemands poussés à l’épargne aux bureaux d’études sommés de rationaliser les productions d’armement, en passant par un ravitaillement des troupes allemandes au détriment des populations des territoires occupés. S’appuyant sur les travaux récents d'historiens européens (les Britanniques Adam Tooze et Richard Overy, l’Allemand Frank Bajohr et la Française Marie-Bénédicte Vincent), Gil Rabier met en lumière la façon dont ce régime monstrueux, lancé dans une guerre idéologique à outrance, a surmonté ses difficultés économiques, industrielles, monétaires et alimentaires par la manipulation financière, la prédation, la corruption, la spoliation, le travail forcé et le crime de masse.
Les nazis et l'argent
Documentaire de Gil Rabier (France, 2020, 1h30mn)
Disponible jusqu'au 18/04/2022
Allen Dulles et les SS
En novembre 1942, Allen Dulles arrive à Bern, en Suisse, en qualité de représentant de l’Office des services stratégiques (OSS), le principal service secret américain pendant la guerre. Diplomate, avocat, financier et expert en renseignement, ce frère de John Foster Dulles est le représentant type de l’oligarchie financière synarchiste de Wall Street. Entre 1916 et 1926, Allen Dulles avait occupé divers postes diplomatiques à Vienne, Bern et Berlin, avant d’entrer au cabinet juridique de son frère à New York, où il entretint durant des années d’étroites relations avec l’Allemagne, y compris avec Hjalmar Schacht.
Sa mission officielle à Bern consiste à évaluer la situation en Allemagne nazie et, avec sa neutralité, la Suisse offre les conditions optimales pour ce faire. Mais par ailleurs, Dulles possède son propre agenda : parvenir, avec le moins d’investissements militaires possibles, à mettre sous contrôle anglo-américain le potentiel stratégique, et surtout économique, de l’Allemagne nazie, y compris les territoires annexés. (Soulignons qu’en dépit de l’état de guerre, les dirigeants nazis n’avaient pas procédé à une expropriation conséquente des intérêts financiers et immobiliers des Anglo-américains en Allemagne ou dans les territoires occupés.) En même temps, l’on veut non seulement empêcher la Russie soviétique d’accaparer les richesses des puissances de l’Axe, mais l’affaiblir au point où le bolchevisme et le panslavisme seront bannis à tout jamais de la politique mondiale.
Le 15 janvier 1943, donc, le premier émissaire SS de Himmler et de Schellenberg, le prince Max von Hohenlohe-Langenburg, rencontre Allen Dulles. Ils se connaissent déjà depuis le séjour de l’Américain à Vienne, en 1916. Au cours des deux mois suivants, ils auront deux autres rencontres en privé. Plus tard, Hohenlohe assurera que ses entretiens avec Dulles ont été constructifs et que ce dernier lui a dit préférer des discussions avec les représentants du véritable pouvoir en Allemagne - s’entend les SS - plutôt qu’avec des « hommes politiques aux abois, des émigrés ou des juifs pleins de préjugés ». L’officier SS Reinhard Spitzy, qui travaille au ministère des Affaires étrangères, rencontrera également Allen Dulles à diverses reprises. De même, l’avocat personnel d’Himmler, Carl Langbehn, entretient des contacts avec le représentant de l’OSS à Bern.
La conférence à l’hôtel Maison Rouge
Le 10 août 1944, pendant que les dirigeants de la résistance allemande sont condamnés par le « tribunal du peuple » et exécutés pour l’attentat contre Hitler, le Sicherheitsdienst (SD, contre-espionnage) de Schellenberg organise, dans Strasbourg occupée, une conférence à l’hôtel Maison Rouge, à laquelle participent aussi d’importants banquiers et industriels allemands. A ce moment-là, la défaite militaire de l’Allemagne nazie est d’ores et déjà acquise. De quoi les dirigeants SS peuvent-ils bien discuter avec l’élite bancaire et économique ?
Le thème de cette conférence à Strasbourg concerne le transfert à l’étranger d’un maximum de la fortune des SS, avant l’effondrement définitif de l’Allemagne nazie. Pour cela, ils peuvent compter sur la bienveillance des cercles financiers synarchistes en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Comme nous l’avons vu, les titres financiers et autres valeurs physiques des Anglo-américains n’avaient pas été expropriés de manière conséquente par les nazis, pas plus en Allemagne que dans les zones occupées, les grands banquiers et Hjalmar Schacht ayant joué de leur influence - avec la complicité des SS.
Il n’est donc pas étonnant que le principal acteur du transfert massif de la fortune des SS, décidé lors de la conférence de Strasbourg, soit Hjalmar Schacht, qui jouit d’excellents contacts à l’étranger, non seulement dans les pays neutres, mais aussi auprès des puissances occidentales. Après tout, son principal mentor est Montagu Norman, directeur de la Banque d’Angleterre jusqu’en 1944.
Un autre acteur clé du transfert de la fortune nazie est le financier suisse François Genoud, un activiste nazi qui dispose d’un réseau de relations dans le monde arabe. Dès 1943, il avait été, lui aussi, en contact avec Allen Dulles. Une bonne partie de la fortune des SS sera ainsi transférée, via la Suisse, vers l’Espagne, le Portugal, la Turquie, la Suède et l’Argentine où elle sera investie.
Tout laisse croire qu’Allen Dulles était au courant de ce transfert, car il fera en sorte qu’après la guerre, Schacht devienne l’« administrateur » des fonds des SS, après avoir été acquitté par le Tribunal de Nuremberg.
Parmi les participants de la conférence de Strasbourg, se trouvait aussi le chef de la division VI (Sabotage) des Services centraux de la sécurité du Reich, Otto Skorzeny. Chef des commandos de chasseurs de la SD (les « forces spéciales » des SS), Skorzeny est connu à l’échelle mondiale comme le libérateur présumé de Mussolini, retenu prisonnier au Gran Sasso, dans les Appenins. Dans le complexe formé après guerre par des intérêts financiers synarchistes, des organisations néofascistes, des groupes paramilitaires et des réseaux de services secrets - la « mère » pour ainsi dire du terrorisme moderne - Skorzeny va jouer un rôle de premier plan.
De mai 1944 jusqu’à la fin de la guerre ou presque, des négociations secrètes ont lieu entre les dirigeants SS et Allen Dulles, l’une des grandes figures du synarchisme, en vue d’un éventuel armistice sur le théâtre de guerre italien. Dans leur phase finale, lors du retour de Dulles à Berne après un séjour de deux mois aux Etats-Unis, fin 1944, ces négociations ont pour nom de code « Operation Sunrise » (Opération lever de soleil). Elles mènent d’abord à une réduction notable de l’intensité des hostilités dans le nord de l’Italie, où elle était nettement plus faible que sur les autres théâtres. A partir de septembre 1944, la ligne de front au nord de Florence reste pour ainsi dire gelée, même si l’armistice officiel n’entre en vigueur que quelques jours avant la capitulation générale de l’Allemagne nazie.
Ces négociations fournissent aux deux parties l’occasion de tisser des liens étroits qui, après la fin de la guerre, joueront un rôle déterminant dans la formation d’un réseau SS international téléguidé par des milieux financiers et du renseignement anglo-américains. Parmi les participants aux négociations avec Dulles, côté SS, figurent le général SS Karl Wolff, chef d’état-major de Himmler pendant des années, Eugen Dollman, représentant personnel de Himmler dans l’Italie du Nord occupée par les Allemands, et Walter Rauff, chef du SD (Sicherheitsdienst = contre-espionnage) pour l’Italie du Nord, tandis qu’en coulisses, s’active le général Walter Schellenberg qui, suite à la fermeture du bureau de l’Abwehr/Ausland (contre-espionnage militaire à l’étranger), est nommé en juin 1944 chef du SR du SD. Bien que figurant parmi les criminels SS les plus recherchés, Wolff, Dollman et Rauff échapperont - tout comme Skorzeny et Schellenberg - aux poursuites juridiques des alliés. Dans l’après-guerre, Dulles témoignera même publiquement de sa reconnaissance envers Wolff.