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Une génération en déficit d'attention
Alain Beuve-Méry
page 29
C'est le livre d'un repenti. Jeune homme, Bruno Patino a connu le « vieux monde », c'est-à-dire celui d'avant-Internet. Et, très tôt, il a compris le pouvoir de transformation que ce nouvel outil apportait à des niveaux et dans des horizons dont l'ampleur n'était pas soupçonnée. Il a ainsi fait partie de ceux qui ont cru au pouvoir égalisateur de la connexion et qui ont rêvé de voir se mettre en place « un réseau mondial tourné vers l'échange et le partage. Vingt ans après, tout a changé et l'utopie numérique a vécu car « l'économie de l'attention détruit peu à peu tous nos repères. « Notre rapport aux médias, à l'espace public, au savoir, à la vérité, à l'information, rien ne lui échappe », écrit celui qui reste passionné par les médias
Qu'est-ce que l'économie de l'attention ? C'est celle qui cherche à capter votre temps de cerveau disponible sur un écran. Or, selon un calcul effectué par Google, ce temps serait de neuf secondes pour la génération des individus nés entre 1980 et 2000. Au-delà, le cerveau décroche et un nouveau stimulus est nécessaire pour activer la concentration. « Ces neuf secondes sont le sujet de ce livre », avertit l'auteur, qui n'entend pas baisser les bras.
« La main invisible du réseau »
Car lutter contre l'addiction aux écrans, traduction physique de l'économie de l'attention, ne doit pas conduire au refus de la société numérique. Bien au contraire. Bruno Patino raisonne en économiste et note qu' « à la main invisible du marché a été substituée celle du réseau. « On ne savait pas alors qu'un marché en remplacerait un autre », ajoute-t-il. Dans ces conditions, il appelle de ses voeux la mise en place d'un nouveau modèle économique à ce stade juste esquissé pour les plates-formes numériques (Google) et les réseaux sociaux (Facebook), devenus plus puissants que les Etats.
Bruno Patino date le moment où l'espace numérique a basculé dans l'ère mercantile. En 2008, Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, recrute une femme d'affaires, Sheryl Sandberg, en provenance de Google où elle améliore le ciblage publicitaire. A partir de 2010, la publicité liée aux données individuelles devient le modèle économique des deux entreprises. La manne financière est plus qu'au rendez-vous.
Mais ce succès économique et financier présente un revers démocratique, car « la surveillance de nos vies est l'extension naturelle de la publicité ciblée », note l'actuel directeur éditorial d'Arte. L'algorithme devient roi et détient aussi la capacité de déplacer les foules. Mieux, il classe, segmente la population, crée des groupes ou des bulles. « L'économie de l'attention a permis de démocratiser l'économie du doute », ajoute l'auteur, car Internet, en supprimant les barrières, a permis une communication accessible à tous. Cela conduit peut-être au point le plus troublant de l'évolution qui se joue actuellement : une défiance tous azimuts et un refus de l'expertise, au moment où la capacité à produire une information libre n'a jamais été aussi importante.
Note(s) :
La Civilisationdu poisson rougede Bruno Patino Grasset, 184 pages, 17 euros
Plus les enfants passent du temps en garderie, plus ils deviennent agressifs et présentent des symptômes de trouble du déficit de l’attention, selon une étude zurichoise.
Aujourd’hui, plus de 70% des enfants de 0 à 3 ans sont gardés, soit par des membres de la famille, soit dans des crèches. Mais si plusieurs études sur les effets à court terme d’une garde externe ont révélé des effets positifs sur le comportement et les résultats scolaires des enfants, peu de chercheurs se sont penchés sur les effets à long terme. C’est ce que viennent de faire des scientifiques du Jacobs Center de l’Université de Zurich. Et les résultats de cette première étude suisse sont surprenants, selon la NZZ am Sonntag.
En effet, les chercheurs ont analysé le comportement social, la délinquance et la consommation de drogue d’environ 1300 enfants et adolescents de la ville de Zurich âgés de 7 à 20 ans. Et ils ont mis en relation ces données avec la manière dont les parents les gardaient quand ils étaient tout petits. Résultat: plus les enfants avaient passé de temps en crèche, plus ils avaient tendance à avoir des comportements agressifs et plus les symptômes du TDAH (trouble du déficit de l’attention avec/ou sans hyperactivité) apparaissaient. L’anxiété et la dépression étaient également plus élevées.