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Conclusion et récap
Une thèse de Brett Christopher
Alors c’est le moment de récapituler tout ce qu’on vient de voir. Première chose : cette vidéo est largement basée sur la thèse de Brett Christopher - un économiste / commentateur politique - développée dans son livre “The price is wrong. Why capitalism won’t save the planet ?” J’ai trouvé ce bouquin particulièrement intéressant, bien sourcé et argumenté… D’où cette vidéo.
Cadre d’analyse
D’abord le cadre : si la lutte contre le RC implique sobriété et transformation des usages, on a uniquement évoqué dans cet épisode la décarbonation de la production d’électricité. Plus précis encore, on n’a parlé de l'écosystème des “renouvelables” dont on a réduit la définition à : panneaux solaires + éoliennes. Donc pas l’hydroélectrique, pas le biogaz, pas les différentes solution de stockage d’électricité : batteries, hydrogène, step…
Ce cadre d’analyse peut paraître très restreint mais comme “panneaux solaires” et “éoliennes” sont des leviers majeurs pour réussir la transition, ça a du sens de s’y intéresser de près.
On ne construit pas assez de renouvelables
Dans ce cadre donc, on a vu que même si on se bouge les fesses, la vitesse à laquelle on installe des renouvelables accélère : bonne nouvelle, on ne se les bouge pas assez si on prend comme référence le scénario Net Zero 2050 de l’AIE. Pourquoi ce retard ?
Pourtant, the price is right
Les défenseurs du seul marché comme solution ont tendance à dire : “la réponse se trouve dans les coûts”. Entre électricité fossile et électricité renouvelable, le marché sélectionnera automatiquement la solution la moins chère. Donc oui il a fallu des subventions étatiques pour que l’industrie renouvelable démarre (comme quoi la solution de marché n’implique pas que lui finalement…) mais si on regarde les LCOE actuels - indicateurs de coût de référence - on voit que les renouvelables sont désormais très compétitifs. Conclusion : si ça ne va pas assez vite, ça ne peut pas être de la faute du marché. Il doit y avoir quelques chose qui l’empêche de faire son office.
C’est la faute de l’intermittence
Le premier coupable potentiel dont on a parlé c’est l’intermittence : le vent et le soleil ne souffle et ne brille pas toujours pile quand on en a besoin. Si cette intermittence n’est pas un souci dans les pays développés au seint desquels la demande d’électricité augmente peu, ce n’est plus la même histoire dans des pays en fort développement comme en Chine - et peut-être bientôt en Inde - où l’infrastructure électrique doit s’agrandir très rapidement. Les chinois installent encore beaucoup de centrales à charbon pilotables pour s’assurer de pouvoir produire de l’électricité quand ils en auront besoin. En effet, certaines technologies de stockage qui permettraient du 100% renouvelable - notamment pour cette histoire de stockage inter saisonnier - ne sont pas encore matures. Donc construire plein de renouvelables dans un pays où la demande n’augmente presque pas, pas de souci, on utilise les centrales pilotables existantes pour combler le manque… Mais dans un pays où la demande d’électricité explose… Pas trop le choix, il faut prévoir du pilotable en plus. Comme la Chine est assise sur les deuxième réserves mondiales et qu’elle a déjà plein de charbon en activité, c’est ce qui est le plus simple pour elle. Et il faut espérer que l’Inde, qui est assise sur les 3ème réserves mondiales, ne fera pas le même calcul.
Donc l’explication par l’intermittence est surement pertinente pour un pays comme la Chine. Mais pas pour l’Europe ou les Etats-Unis où la demande en électricité augmente peu.
C’est la faute des gouvernements
Le prochain coupable sur la liste serait alors nécessairement une administration publique lente et tatillonne qui met des lustres à délivrer les permis de construire. On n’a pas particulièrement cherché à développer ce point mais attention à bien comprendre que 1/ pour une administration plus rapide il faut peut-être aussi prévoir plus de moyens et 2/ qu’il semble naturel de prendre le temps de faire des études d’impact avant de construire quoi que ce soit et notamment de s’assurer que les populations qui devront vivre à côté de ces infrastructures sont OK avec ça.
Plutôt que de creuser cette éventuelle lenteur de l’Etat, coupable idéal des pro-marchés, Brett Christopher en propose un autre : le marché lui-même.
C’est la faute du marché
Parce que ce qui compte pour une entreprise néolibérale, ce n’est pas le coût de l’infrastructure, mais bien la différence entre le prix de vente et le coût. Autrement dit, le profit. Celui-ci doit être suffisamment juteux pour attirer les capitaux privés.
Or, première chose, la rentabilité des renouvelables - souvent sous la barre des 10% - est inférieure à celle de l’industrie d’extraction fossile - souvent au-dessus des 10%. C’est pour ça que les Exxon et Total de ce monde préfèrent investir dans le business as usual plutôt que la disruption renouvelable.
Deuxième chose, les indicateurs de coûts de référence - les LCOE - n’incluent ni le coût du foncier ni celui du raccordement. C’est normal, car ceux-ci sont très contextuels. Ils bougent tellement en fonction des pays et des régions que ça n’aurait pas de sens de les ajouter dans un indicateur moyen. Mais du coup, conclusion : les LCOE ne donnent pas toujours le bon ordre de grandeur sur les écarts de coût entre telle et telle technologie.
Mais surtout troisième chose, il faut parler du prix de vente de l’électricité qui n’est pas le même pour les renouvelables et pour les centrales fossiles pilotables - qui sont assurées de profiter 1/ des prix élevés des heures de pointes et 2/ des revenus liés au marché de capacité. Le marché de capacité c’est un endroit où les centrales vendent leur capacité à produire, leur pilotabilité en quelque sorte. Donc c’est un marché duquel les renouvelables intermittents sont exclus d’office.
Donc le fonctionnement même d’un marché de l’électricité concurrentiel - déjà parfaitement implanté dans de nombreux pays et qui semble devenir la norme - suppose que l’électricité renouvelable ne sera pas vendue au même prix que l’électricité fossile. Encore un argument qui nous dit que les LCOE - indicateurs de coûts qui ne disent rien sur des revenus - ne sont pas pertinents pour nous informer des décisions que prendront des investisseurs à la recherche du profit maximal.
Le risque de volatilité
Mais mais mais… Ce n’est toujours pas tout. Parce que de toute manière, l’investissement privé dans le secteur électrique est par définition proscrit par la volatilité des prix sur le marché de l’électricité, surement le marché le plus volatile de la planète à cause de sa manière “éclatée au sol” il faut bien le dire de fixer le prix, sur le coût variable de la centrale la plus chère dont on a besoin pour produire… A cause de cette volatilité, on en a parlé dans la série de vidéo sur le fonctionnement du marché, l’investissement privé ne se fait jamais sans l’intervention de la puissance publique.
Pas d’investissements sans la puissance publique
On a vu qu’il existe plusieurs méthodes d'intervention : la subvention à la construction, l’aide au financement ou encore le must du must le prix garanti
De l’importance des mesures de soutient
Et puis on a illustré l’importance de ces politiques de soutient avec deux exemples : l’espagne et le royaume-uni.
Il faut réguler pour créer un marché dérégulé
On aboutit alors à une conclusion très intéressante : pour créer un marché de l’électricité fonctionnel composé d’entreprises privées en concurrence, l’état doit en réalité “réguler” bien plus que de “déréguler”. Et surtout, il doit intervenir à tous les étages. Pourquoi ? Parce qu’il faut sans arrêt surveiller les entreprises financières qui cherchent à exploiter les failles du système. Et puis parce que la grande solution pour lutter contre la volatilité des prix, les contrats de long-terme, n’est ni généralisable ni particulièrement attractive. En effet, un contrat de lon-terme c’est un accord entre une entreprise et une centrale pour la livraison à un prix fixé à l’avance, d’une certaine quantité d’électricité sur une période donnée. Sauf nécessairement, parce que la réalité économique et météorologique est fluctuante, la quantité indiquée dans le contrat sera par rapport aux besoin de l’entreprise ou aux capacités de production de la centrale, soit trop faible, soit trop forte. Donc quoi qu’il arrive, soit la centrale pour sa production réelle soit l’entreprise pour sa demande réelle reste exposée aux prix de marché pour la différence. Mais, vu comment les prix de l’électricité peuvent faire du x1000, cette différence peut tout à fait mettre à genoux n’importe quelle entreprise. En réalité, la seule institution avec les épaules assez solide pour supporter ce risque : ce sont les états… Donc en fait seuls la solution des contrats de prix garantis par la puissance publique est pérenne… Encore une fois, la solution au problème posé par le marché : c’est l’état.
Le monopole naturel
La question devient : pourquoi s’acharner à avoir une gestion électrique privée - on sait que le privé est balèze en “initiative individuelle” et “concurrence” - dans un domaine où de toute évidence - les maîtres mots sont : “planification” et “collaboration” ? On sait pourtant bien que dans ce cas, ce sont les monopole publics qu’il faut favoriser.
Le monopole serait moins cher
Si l’innovation technologique, la construction et même potentiellement la maintenance des centrales électriques peut être soumise à la concurrence, pourquoi ne pas confier la propriété et la gestion ce ses dernières à un monopole de service public ? Ce serait beaucoup plus simple et surtout beaucoup moins cher ! Parce qu’on l’a vu, prévoir une rentabilité de 12% pour les actionnaires et de 8% pour les banquiers, ça nécessite un prix de l’électricité 50% plus élevé que si l’ensemble des renouvelables étaient détenus par un monopole public s’endettant à moindre coût. On a vu aussi d’ailleurs que, les fermes éoliennes et solaires sont organisées en SPV, en entreprises projet, de manière à isoler le risque financier. Preuve que les financiers n’ont absolument pas confiance en la rentabilité des renouvelables : à cause de la volatilité du prix de l’électricité - le marché ne permet pas l’investissement - et aussi de la révocabilité des accords passés avec les gouvernements.
Pourquoi ne débattons nous pas alors de la Re-mise en place d’un monopole public de l’électricité ? Comme toujours, la réponse est idéologique : le néolibéralisme - même là où il est le plus inefficace - a toujours le vent en poupe dans l’esprit des décideurs.
La proposition bolo'bolo
Depuis la crise financière de 2008, les critiques du capitalisme se multiplient. Chaque semaine ou presque sort un nouveau livre expliquant combien ce système mène l'humanité au désastre par le creusement des inégalités sociales, le renforcement des oligarchies, l'approfondissement des crises économiques, des catastrophes industrielles et environnementales...
Parmi ces ouvrages, très peu proposent de nouvelles visions positives de la société, des alternatives possibles au capitalisme. Quelle meilleure organisation économique et sociale imaginer ? Comment construire un monde où l'accès aux biens vitaux, au logement, aux soins, au savoir serait généralisé ? Quelles sont les solutions énergétiques, alimentaires et économiques crédibles ? Et surtout, quelles sont les transitions possibles vers une société post-capitaliste plus égalitaire, plus sobre, plus démocratique ?
Publié en 1983 par l'écrivain suisse P.M., le livre bolo'bolo fait partie des rares ouvrages osant aborder toutes ces questions de front. Trente ans après, découvrons ou redécouvrons cette ''pragmatopie'' pour temps de crise.
Ce texte est extrait de la revue La Traverse n°3.
Lecture :
LaTraverse3_Bolobolo.html
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Pour aller plus loin :
bolo'bolo
La Traverse numéro 3
Thème : Réflexion sur le militantisme
Thème : Économie capitaliste
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La proposition bolo'bolo
Imaginer et préparer une sortie du capitalisme
Par Les Renseignements Généreux
Depuis la crise financière de 2008, les critiques du capitalisme se multiplient. Chaque semaine ou presque sort un nouveau livre expliquant combien ce système mène l'humanité au désastre par le creusement des inégalités sociales, le renforcement des oligarchies, l'approfondissement des crises économiques, des catastrophes industrielles et environnementales...
Parmi ces ouvrages, très peu proposent de nouvelles visions positives de la société, des alternatives possibles au capitalisme. Quelle meilleure organisation économique et sociale imaginer ? Comment construire un monde où l'accès aux biens vitaux, au logement, aux soins, au savoir serait généralisé ? Quelles sont les solutions énergétiques, alimentaires et économiques crédibles ? Et surtout, quelles sont les transitions possibles vers une société post-capitaliste plus égalitaire, plus sobre, plus démocratique ?
Publié en 1983 par l'écrivain suisse P.M., le livre bolo'bolo fait partie des rares ouvrages osant aborder toutes ces questions de front. Trente ans après, découvrons ou redécouvrons cette ''pragmatopie'' pour temps de crise.
Automne 2010, souvenons-nous. Plus de trois millions de manifestant-e-s dans les rues. Des raffineries bloquées. Des grèves, des occupations, des actions symboliques un peu partout en France. De magnifiques scènes de fraternité entre ouvriers, cheminots, enseignants, lycéens, chômeurs et retraités. Une mobilisation d'une ampleur rarement vue depuis quarante ans, le signe d'un mécontentement dépassant de loin l'enjeu des retraites.
Puis, en quelques semaines, le reflux des luttes, l'enterrement médiatique, l'arrogance gouvernementale. La poursuite du démontage des protections sociales et des services publics. Une fois de plus, le sentiment d'une asymétrie saisissante entre une oligarchie politique et capitaliste de plus en plus nuisible et dominante, et l'absence de forces d'opposition puissantes et durables.
Nous avons besoin de visions positives
Qu'aurait-il fallu pour que ce gouvernement plie ? Une meilleure coordination des luttes ? Une intersyndicale plus solide ? Une meilleure préparation ? Dans le premier numéro de La Traverse, nous insistions sur ce qui, au-delà des problèmes organisationnels, nous semble faire défaut lors des mouvements sociaux : l'absence de perspectives positives. Depuis dix ans que nous suivons les manifestations de rue, nous avons le sentiment de ne participer qu'à des luttes défensives, réactives, à court terme. Ces mobilisations sont bien sûr indispensables et légitimes. Mais face aux destructions des protections sociales, dans un pays qui, dans le même temps, n'a jamais produit autant de richesses1, nous pourrions imaginer des luttes plus offensives. Des luttes s'appuyant sur des revendications de justice sociale comme la retraite à 55 ans, la semaine de 32 heures, six semaines de congés payés par an, le revenu minimal garanti, la sécurité sociale intégrale, le renforcement des services publics.
Mieux, face aux profondes crises économiques, sociales et environnementales qui empoisonnent notre existence et nous font entrevoir un avenir très difficile, nous pourrions imaginer une multitude de propositions crédibles et réalistes visant à sortir du capitalisme, à réorganiser la société sur des bases plus solidaires, plus sobres, plus démocratiques. Pourquoi, dans les cortèges syndicaux comme dans la presse engagée, les visions post-capitalistes sont-elles si rares ? Depuis dix ans, tout se passe comme si notre seule perspective était de ''limiter la casse'', attendre une prochaine mesure gouvernementale plus scandaleuse qu'une autre pour espérer, cette fois-ci, une lutte victorieuse. Comme si nous étions condamnés à nous fixer sur l'instant présent, à dénoncer les ravages du capitalisme tout en restant muets sur ce que pourrait être son dépassement.
Cette torpeur se ressent au sein-même des milieux anticapitalistes, écologistes et libertaires. Des journaux comme CQFD, Silence, Offensive ou Fakir publient de vigoureuses critiques du capitalisme. Ils présentent régulièrement des expériences alternatives, des actions d'écologie pratique, des écoles autogérés, des jardins collectifs, des communautés néorurales... Mais en dehors de formules vagues sur le socialisme, l'autogestion ou la décroissance, très rares sont les propositions de sortie du capitalisme construites et précises, avec des étapes stratégiques possibles, des visions sur la durée2. La plupart du temps, la lecture des médias alternatifs nous plonge dans un certain pessimisme face à l'évolution de la société, l'impression que les principales perspectives proposées, en attendant une hypothétique Révolution, sont la résistance désespérée et le bricolage d'alternatives.
Ce rapport à l'avenir est loin de ne concerner que les milieux contestataires. Il suffit de faire le test autour de soi, de questionner ses proches, ses collègues, sa famille. Quand on aborde la question du futur, on retrouve la plupart du temps des réponses très sombres, apocalyptiques, des images de chaos, de barbarie, de pénurie ; ou, à l'inverse, des visions optimistes exaltées, la croyance dans le pouvoir infini des nouvelles technologies, la certitude d'une humanité capable de se relever de tout. Dans tous les cas, les réponses sont généralement floues, imprécises. L'avenir est un sujet de discussion difficile, presque incongru. On préfère ne pas y penser, se concentrer sur les problèmes du présent.
Pourtant, sans la certitude d'un monde meilleur possible, sans une certaine confiance dans l'avenir, il nous semble très difficile de lutter durablement. Pendant plus de 150 ans, cette confiance et cette ténacité, des générations de militant-e-s l'ont puisé dans les idéaux de communisme, de socialisme ou d'anarchie. Ruinées par le XXe siècle, ces grandes idéologies de libération de l'humanité ne font plus rêver qu'une minorité. Dans l'imaginaire collectif, le mot communisme évoque le goulag et la dictature ; le socialisme, les années Mitterrand et la gauche caviar ; l'anarchie, le chaos et la violence aveugle, soit l'exact contraire de leur contenu théorique.
Pour toutes ces raisons, construire de nouvelles visions de la société que nous voulons nous semble un enjeu majeur. Nous avons besoin de chemins désirables et praticables vers d'autres rapports au monde, vers de meilleures organisations économiques et sociales. D'immenses champs de réflexion s'ouvrent à nous : si le capitalisme nous mène au désastre, par quoi le remplacer ? Comment construire un monde où l'accès aux biens vitaux, au logement, aux soins, au savoir serait généralisé ? Quelles sont les solutions énergétiques, alimentaires et économiques crédibles ? Et surtout, partant de la situation actuelle, quelles transitions imaginer vers une société post-capitaliste plus égalitaire, plus démocratique, plus décente ?
La proposition bolo'bolo
En 1983, l'écrivain suisse P.M. ose aborder toutes ces questions de front dans bolo'bolo, un « ensemble de propositions pratiques pour sortir du capitalisme ». Dans un style vif et espiègle, P.M. décrit ce que pourrait être une société sans capitalisme, sans État, sans salariat, sans propriété privée, sans monnaie, sans banque, sans police, sans armée, et pourtant une société organisée, démocratique, riche en liens sociaux, apte à satisfaire ses besoins matériels.
Autant le dire tout de suite, bolo'bolo est davantage un plan d'ensemble qu'un schéma précis. Il s'agit avant tout d'un encouragement à débrider nos imaginaires, à sortir de notre torpeur, à se saisir des propositions post-capitalistes pour les jauger et, surtout, proposer mieux3. À la manière du socialisme utopique du XIXe siècle4, bolo'bolo nous propose de nouvelles institutions économiques et sociales avec un niveau de description relativement élaboré. Partant de principes anticapitalistes, écologistes et autogestionnaires, P.M. déploie devant nous tout un monde, avec ses relations sociales, sa culture, ses institutions, son économie, son alimentation, sa technologie.
Une fédération de petites communes
bolo'bolo nous présente une humanité regroupée en une multitude de petits collectifs de quelques centaines de personnes, chaque collectif occupant un territoire de quelques hectares, les bolo. Chaque bolo est conçu pour assurer ses besoins essentiels en nourriture, en logement, en énergie et en premiers secours. L'agriculture et la maintenance des énergies renouvelables occupent une place centrale.
En matière d'organisation interne, les bolo fonctionnent comme des associations civiles ouvertes. Le mode de vie, les conditions d'entrée, les droits et les devoirs sont décidés collectivement par des assemblées régulières. La variété culturelle des bolo est donc infinie. Certains sont constitués de personnes souhaitant partager un même style de vie philosophique, religieux, idéologique. D'autres ont pour seul objectif de fournir à chaque membre une base matérielle minimale (logement, nourriture, ateliers, services divers...), sans interférence dans la vie privée, quel que soit leur type (famille, couple, individu, groupe...). Au niveau régional, les bolo se coordonnent entre eux pour assurer certains besoins complexes comme les services de chirurgie, la fabrication d'objets élaborés, l'entretien des voiries, les transports en commun, etc. Au niveau continental et planétaire, des rencontres sont régulièrement organisées pour débattre des problèmes globaux. Dans bolo'bolo, la vie est frugale, sobre, mais d'une grande richesse humaine, créative et démocratique.
Nous n'irons pas plus loin dans cette description des bolo. bolo'bolo est un petit livre rapide et facile à lire. Le style parfois provocateur et cynique peut désarçonner, en particulier les réflexions sur la mort, la propriété privée, la résolution des conflits. Mais il s'agit d'une œuvre didactique, stimulante, dont les facéties semblent avant tout destinées à nous faire réagir. Une synthèse ou un résumé risquerait d'affadir l'originalité du propos.
En revanche, nous avons voulu souligner ici les lignes de force, l'ossature, les principales hypothèses avancées par P.M., celles qui nous semblent constituer des points de départ passionnants pour qui souhaite imaginer une société post-capitaliste :
- L'autonomie matérielle entrave le capitalisme
La puissance du capitalisme et de l'État résident dans leur capacité à susciter et fournir nos besoins, nous maintenant ainsi dans une situation de dépendance quasi-absolue. Pour P.M., le meilleur rempart contre la concentration de capital et de pouvoir, c'est l'autonomie matérielle, c'est-à-dire la capacité de la population à produire son alimentation, ses logements, ses outils, ses besoins primaires. Dans bolo'bolo, chaque collectif est ainsi responsable de sa survie, apportant de fait un soin particulier aux terres agricoles, à l'entretien des logements, à la qualité des relations humaines, puisque l'avenir du bolo en dépend directement.
- La démocratie directe ne fonctionne qu'à petite échelle
Pour s'organiser de manière démocratique, il faut pouvoir se réunir régulièrement, prendre le temps de se connaître, se rassembler rapidement en cas d'urgence, savoir exactement qui fait quoi. Au-delà de quelques centaines de personnes, ces conditions sont très difficiles à réunir. Il faut rentrer dans un système fédératif, avec des mécanismes de délégation. S'il reconnaît la nécessité de s'organiser à une plus grande échelle que les bolo, P.M. exprime cependant une grande méfiance vis-à-vis des instances de représentation, parce qu'elles tendent généralement vers la bureaucratisation, la prise de pouvoir et le centralisme. Pour contrecarrer ces tendances, bolo'bolo propose de nombreuses formes de contre-pouvoir comme le tirage au sort, les mandats précis ou les statuts d'observateurs. Mais surtout, P.M. propose que toutes les instances fédératives soient non décisionnelles, sans bras administratif ou exécutif : en dernier ressort, c'est toujours le bolo qui décide d'appliquer ou non les idées proposées au niveau fédéral.
- La sortie du capitalisme passe aussi par l'imaginaire
Chaque société produit ses propres significations sociales, sa culture, son langage, sa poésie. Pour nous faire toucher du doigt cette réalité, l'un des talents de P.M. est d'enrober sa description post-capitaliste par tout un folklore de nouveaux mots et de nouvelles références imaginaires. Ce point est d'autant plus central que dans bolo'bolo, l'édifice culturel est le ciment de la société. Il n'y a pas de police, pas d'État, pas d'éducation nationale pour assurer la régulation sociale. Ce qui assure le maintien du système, c'est la volonté politique des bolo de vivre selon des principes de sobriété, d'autonomie matérielle, d'égalité et de démocratie directe.
- Le bonheur est une affaire privée
Dans bolo'bolo, chaque collectif, chaque individu est libre de choisir son mode de vie et ses croyances, sous réserve d'assurer les fondamentaux de sa survie matérielle et de son autonomie. Aucun jugement n'est porté sur le rapport à l'éducation, à la sexualité, à la mort, du moment qu'il y a libre-consentement de tous les membres d'un bolo, et la possibilité d'en partir à tout moment. P.M. s'inscrit ici dans la tradition des premiers utopistes libéraux qui, traumatisés par les guerres des religions et les conflits politiques, s'efforçaient d'imaginer des systèmes de société indépendants de toute idéologie.
- L'inventivité humaine est une grande source d'espoir
Imaginez un monde où l'immense énergie intellectuelle déployée actuellement dans les recherches industrielles et militaires était canalisée vers l'invention d'outils robustes, durables, faciles à réparer, de techniques agronomiques n'épuisant pas les sols, de petits systèmes énergétiques fiables, de matériaux de construction écologiques, de kits de premiers soins, de procédés pour faciliter la prise de décision démocratique... Dans sa description des bolo, P.M. nous donne à voir l'extraordinaire champ de créativité technique et organisationnel libéré par la sortie du capitalisme.
- Il faudra composer avec les horreurs du passé
Il suffit de prendre pour seul exemple le problème nucléaire. Toute nouvelle organisation sociale devra prendre en compte la gestion des déchets, des centrales et des installations militaires atomiques sur des milliers d'années. À lui seul, ce problème pose la question d'une transition : il est impossible de laisser à l'abandon du jour au lendemain une centrale nucléaire ou un centre d'enfouissement. Pour éviter les catastrophes planétaires, toute nouvelle société devra conserver et transmettre un ensemble de compétences et de technologies, et se coordonner au niveau global. Quelles institutions mettre en place ? En quoi conditionnent-elles notre rapport à la technique et à l'industrialisme ? bolo'bolo est loin d'épuiser ce vaste sujet.
- La société parfaite n'existe pas
Une société post-capitaliste n'abolira pas les passions humaines, les conflits, les jalousies, les trahisons, les folies, les pulsions dominatrices et dictatoriales. Les institutions proposées par P.M. proposent simplement une autre manière de les réguler, d'empêcher que se constituent de nouvelles oligarchies, de limiter structurellement les effets des conflits afin de garantir un maximum de liberté et de sécurité pour le plus grand nombre. Les réponses proposées dans bolo'bolo feront polémiques, en particulier celles concernant la résolution des conflits interindividuels et inter-bolo. Elles ont malgré tout le mérite d'aborder la question et de ne pas entretenir l'illusion d'une société après-capitaliste harmonieuse et parfaite.
Une utopie inconcevable aujourd'hui
Crédible, bolo'bolo ? Trente ans après sa publication, cette utopie reste peu connue en dehors des milieux libertaires et écologistes. On voit mal comment elle pourrait attirer un plus large public, étant donné le décalage entre le mode de vie imaginé par P.M. et les tendances lourdes de nos sociétés. Décalage entre une société consumériste, qui place la réussite matérielle au centre de nos préoccupations, et la perspective de vivre sans congélateur, sans supermarché, sans téléphone high tech, en consacrant chaque semaine plusieurs heures à produire sa nourriture ou réparer son éolienne. Décalage entre une société administrée, où les cadres qui structurent nos vies, l'école, les entreprises, l'urbanisme ou les lois nous sont imposées, et la perspective d'une démocratie directe, où tout ce qui nous concerne est décidé collectivement. Décalage entre une société individualiste et compétitive, où dès l'enfance nous sommes éduqués à nous focaliser sur notre situation personnelle et à nous comparer aux autres, et la perspective de vivre une véritable solidarité collective, une entraide généralisée. Décalage, enfin, entre une société de la peur, où l'insécurité domine l'espace médiatique, où les relations sociales et professionnelles sont basées sur la méfiance, et la perspective d'une organisation sociale sans police, sans armée, sans État protecteur pour faire rempart à la barbarie.
Dans une société qui nous place en permanence dans un rôle de consommateurs et d'administrés, crispés sur notre situation matérielle et notre sécurité, bolo'bolo est inconcevable sans une profonde révolution culturelle. Une révolution qui replacerait la sobriété, la solidarité, l'autonomie politique et matérielle au coeur de nos vies.
Un petit manuel de transition
Comment construire cette révolution culturelle ? Quelles sont les transitions possibles vers l'après-capitalisme ? bolo'bolo esquisse quelques pistes, dont nous retenons ces trois axes stratégiques :
I. Entraver le capitalisme
Il faut tout faire pour ralentir la course vers l'abîme dans laquelle nous plonge le capitalisme, tout faire pour empêcher les guerres, les catastrophes industrielles et environnementales, les crises économiques qui, par le chaos et la souffrance sociale qu'elles génèrent, nous rapprochent davantage de la dictature que d'une société libre. Produire et diffuser des critiques convaincantes du système actuel ; impulser ou rejoindre les luttes sociales ; soutenir les initiatives anticapitalistes, antinucléaires, anti-industrielles ; saboter les installations les plus nuisibles : tout est bon pour affaiblir la ''Machine''.
Dans cette bataille de longue durée, bolo'bolo nous encourage à créer des petits collectifs autonomes les uns des autres plutôt qu'une grande organisation révolutionnaire centralisée, afin d'être moins vulnérable à la répression et aux dérives bureaucratiques. P.M. milite également pour la non-violence, parce qu'elle fédère le plus grand nombre, et parce que sur le terrain de la violence l'État a toujours le dernier mot. Il précise cependant qu'à un certain stade de la transformation sociale, lorsque les oligarchies politiciennes et capitalistes se sentiront réellement menacées, celles-ci seront prêtes à tout pour conserver leur domination, par l'assassinat, les meurtres de masse, la guerre. Il faut donc se préparer à des périodes de grande violence, que seule la force du nombre pourra endiguer.
II. Rendre le capitalisme superflu
Pour préparer et se préparer à la fin du capitalisme, bolo'bolo nous encourage à réformer notre vie quotidienne en augmentant progressivement notre niveau d'autonomie matérielle : produire notre nourriture en achetant ou en louant des terres agricoles ; fabriquer nos vêtements en nous réappropriant des savoir-faire autour de la laine, du cuir ou du coton ; se former dans le travail du bois, du métal, de la mécanique, de l'électronique, de l'énergétique ; acquérir ou concevoir des outils simples, robustes, facilement réparables ; se désaccoutumer peu à peu des besoins nécessitant des industries complexes ; créer des espaces sans capitalisme : des ateliers collectifs, des jardins partagés, des systèmes de troc, des coopératives d'énergie renouvelable, des centres de premiers soins, des ressourceries, des bibliothèques autogérées, des bars associatifs, des zones de gratuité, des réseaux d'échanges de savoir, etc.
P.M. insiste cependant sur l'importance, dans toutes ces démarches autonomisantes, de ne pas se séparer du reste de la société. Il s'insurge contre le sectarisme de certaines communautés néorurales et de certains réseaux militants urbains, contre la recherche d'une ''pureté'' idéologique et matérielle, contre les distinctions souvent implicites entre ''militants'' et ''gens normaux''. Au contraire, bolo'bolo nous encourage à faire corps avec la société capitaliste, fréquenter ses lieux de sociabilité, cultiver les liens avec des personnes dont les affinités semblent éloignées des nôtres, conserver des activités salariées à temps partiel, afin d'être au plus proche des préoccupations de la population, tout en utilisant l'argent gagné pour développer nos démarches d'autonomie.
En partant de la réalité présente, l'objectif est de créer, de manière progressive, des ''portes de sortie'' du capitalisme, de nouveaux modes de vie accessibles à un maximum de personnes : encourager des salariés à se mettre à mi-temps pour cultiver un potager, gérer des ruches, construire des éoliennes ; former des réseaux d'échange de produits, d'outils et de savoir entre salariés, chômeurs volontaires, paysans ; acquérir des lieux collectifs en ville et/ou à la campagne, des ''pré-bolo'' pour commencer à y expérimenter la sobriété, la prise de décision collective, l'autonomie matérielle, tout en gardant un lien fort avec les populations locales. Il s'agit de construire, petit à petit et en douceur, une véritable culture post-capitaliste.
III. Placer le post-capitalisme au cœur du débat public
Les grandes créations politiques de la Révolution française n'ont pas surgi du néant. La République, la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, les réformes institutionnelles, économiques et judiciaires sont le résultat de dizaines d'années de maturation politique, de réflexions, de débats touchant de larges couches de la population. Quelques années avant la prise de la Bastille, la publication de brochures et de pamphlets politiques s'intensifiait, tandis que dans de nombreuses villes de France, des clubs de discussion débattaient avec passion de la fin de la monarchie absolue et d'autres régimes possibles.
La sortie du capitalisme sera probablement précédée, elle-aussi, d'une intensification des débats publics autour de ce que pourrait être une société post-capitaliste, d'un bouillonnement d'idées sur des alternatives possibles et crédibles. Pour encourager ces échanges, tout reste à imaginer, tant les initiatives sont encore rares sur ce sujet : des spectacles, des romans, des conférences-débats, des revues spécialisées, des films, des cafés après-capitalistes...
Révolution ou ''planification alternative'' ?
Quelle sera votre réaction après la (re)lecture de bolo'bolo ? S'agit-il d'une oeuvre farfelue ? D'un délire ''babacool'', naïf et irréaliste ? D'une boite à idées pour nos luttes, nos choix de vie ? D'un stimulant pour imaginer mieux ?
Paradoxalement, si en 1983 P.M. présente ses propositions sur l'après-capitalisme avec une grande conviction, il affirme dans une seconde préface rédigée en 1998 que le changement de société ne viendra pas de la multiplication diffuse des bolo, pas des ''planifications alternatives'', mais avant tout des luttes révolutionnaires à travers le monde. À ses yeux, le principal but des utopies est de nous encourager à libérer notre créativité politique, oser inventer l'avenir, sortir d'un imaginaire dépressif et apocalyptique : « Plus nous aurons une idée claire de ce que nous voulons, moins nous aurons peur du chaos du ''lendemain'', et plus nous nous sentirons encouragés à la résistance constructive ».
NOTES
1Depuis 1980, le Produit Intérieur Brut français par habitant-e a augmenté de plus de 250%. Cf. Le président des riches, Michel Pinçon Monique Pinçon-Charlot, éditions Zone, 2010.
2Les Renseignements Généreux n'échappent pas à cette tendance...
3D'où probablement la référence au terme bolo bolo qui, dans le domaine de l'imprimerie, désigne un texte sans valeur sémantique, permettant de remplir des pages lors d'une mise en forme afin d'en calibrer le contenu en l'absence du texte définitif. Les bolo bolo sont faits pour être remplacés par le texte que l'on souhaite imprimer.
4Charles Fourier, Pierre-Joseph Proudhon, Jean-Baptiste André Godin, Saint-Simon...