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Alice M., antisystème et covido-sceptique, a été arrêtée dans le Tarn, alors qu'elle était recherchée à la suite d'une condamnation pour une série d'infractions routières.
Coup d'arrêt pour la fondatrice d'un groupuscule conspirationniste, lié notamment à l'enlèvement d'une petite fille. Alice M., figure du mouvement One Nation, a été interpellée par des gendarmes le 19 septembre dernier, à Viviers-lès-Montagnes, au sud de Castres, puis incarcérée à la maison d'arrêt de Seysses, en Haute-Garonne, a appris Le Figaro de sources bien informées ce mercredi 28 septembre.
Condamnée en début d'année à Toulouse et à Cahors pour une série d'infractions routières, la jeune femme de 34 ans était recherchée pour exécuter sa peine. Elle a été interpellée le 18 septembre dernier dans le sud du Tarn, où un rassemblement du mouvement complotiste One Nation était organisé.
Connue sur les réseaux sociaux sous le nom d'Alice Pazalmar, elle est une figure emblématique du mouvement complotiste "One Nation", dénoncé pour ses dérives sectaires. Alice Martin-Pascual, âgée de 34 ans, a été interpellée le 18 septembre dernier par la gendarmerie sur la commune de Viviers-lès-Montagnes, au sud de Castres.
Elle était inscrite au fichier des personnes recherchées depuis plusieurs mois. Non pas pour ses activités au sein du mouvement One Nation mais pour mettre en exécution les peines d'emprisonnement prononcées à son encontre en début d'année par les tribunaux correctionnels de Toulouse et de Cahors.
Elle avait en effet été condamnée à des peines respectives de 6 mois de prison ferme et de 4 mois avec sursis suite à une série d'infractions routières : conduite sans assurance, sans permis, fausses plaques d'immatriculation, refus des dépistages, etc. Deux précédents sursis de 3 et 6 mois avaient également été révoqués. Mais la jeune femme ne s'était pas présentée aux audiences.
C'est donc à Viviers-lès-Montagnes, où un rassemblement d'adeptes du mouvement One Nation était organisé du 16 au 18 septembre, qu'Alice Martin-Pascual a été interpellée. Placée quelques heures en retenue judiciaire par les gendarmes de la compagnie de Castres, elle a ensuite été incarcérée à la maison d'arrêt de Seysses en Haute-Garonne.
Behav Res Methods. 2022; 54(4): 1794–1817.
Published online 2021 Oct 25. doi: 10.3758/s13428-021-01698-z
PMCID: PMC8545361
PMID: 34697754
LOCO: The 88-million-word language of conspiracy corpus
Alessandro Miani,corresponding author1 Thomas Hills,2,3 and Adrian Bangerter1
La propagation des théories du complot en ligne représente une menace sérieuse pour la société. Pour comprendre le contenu des conspirations, nous présentons ici le corpus LOCO (Language of Conspiracy). LOCO est un corpus de 88 millions de tokens composé de documents sur les conspirations (N = 23 937) et sur le courant dominant (N = 72 806) provenant de 150 sites Web. En imitant le comportement des internautes, les documents ont été identifiés à l'aide de Google en croisant un ensemble de phrases de départ avec un ensemble de sites Web. LOCO est structuré de manière hiérarchique, ce qui signifie que chaque document est croisé avec des sites Web (N = 150) et des sujets (N = 600, sur trois résolutions différentes). Un riche ensemble de caractéristiques linguistiques (N = 287) et de métadonnées comprend la date de téléchargement, des mesures de l'engagement dans les médias sociaux, des mesures de la popularité, de la taille et du trafic des sites Web, ainsi que des annotations sur les partis pris politiques et les rapports factuels. Nous avons exploré les caractéristiques de LOCO sous différents angles, montrant que les documents suivent des événements sociétaux importants dans le temps (par exemple, la mort de la princesse Diana, la fusillade de l'école de Sandy Hook, les épidémies de coronavirus), tandis que les modèles de caractéristiques lexicales (par exemple, la tromperie, le pouvoir, la domination) se chevauchent avec ceux extraits des communautés de médias sociaux en ligne consacrées aux théories du complot. En calculant la similarité en cosinus à l'intérieur d'un sous-corpus, nous avons dérivé un sous-ensemble des documents conspirationnistes les plus représentatifs (N = 4 227) qui, par rapport aux autres documents conspirationnistes, présentent un langage conspirationniste prototypique et exagéré et sont plus fréquemment partagés sur Facebook. Nous montrons également que les utilisateurs de sites web conspirationnistes naviguent vers les sites web par des moyens plus directs que les utilisateurs traditionnels, ce qui suggère un biais de confirmation. LOCO et les ensembles de données connexes sont disponibles gratuitement à l'adresse https://osf.io/snpcg/.
Informations complémentaires
La version en ligne contient du matériel supplémentaire disponible à l'adresse 10.3758/s13428-021-01698-z.
Affaire Aberkane : la Charte de Munich, nouveau totem des complotistes contre les médias - L'Express
L'Express
Idées et Débats, jeudi 11 août 2022 1882 mots
Affaire Aberkane : la Charte de Munich, nouveau totem des complotistes contre les médias
Alain Soral, François Asselineau, France Soir... Ce texte qui énonce les droits et devoirs des journalistes est désormais utilisé contre la presse dite "mainstream".
"L'objectif [de cette interview] est d'étudier votre déontologie journalistique et vos pratiques. Donc cet enregistrement est conçu spécifiquement pour étudier dans quelle mesure vous allez être fidèles, par exemple, à la Charte de Munich." Le 18 juillet, alors que nous interviewions le médiatique conférencier Idriss Aberkane, contacté dans le cadre d'un article sur ses méthodes de développement personnel, ce dernier se livrait à une étonnante inversion des rôles. L'Express tenant celui de média manipulateur faisant fi de toute éthique. Lui, endossant le costume de garant de la déontologie journalistique, dont la "Déclaration des droits et devoirs des journalistes", popularisée sous le titre de "Charte de Munich", énonce les grands principes.
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Ce texte, signé le 24 novembre 1971 à Munich, a été rédigé avec le concours du journaliste Paul Parisot, président de l'ex-Syndicat des journalistes français (SJF) devenu Union syndicale des journalistes CFDT. Contrairement à d'autres professions comme celle d'avocat, qui dispose d'un Ordre chargé de contrôler voire de sanctionner d'éventuels manquements, la Charte de Munich n'est pas adossée à un pouvoir de coercition. Mais n'en reste pas moins une référence pour la presse internationale - elle a été adoptée par la Fédération européenne des journalistes. Cinq droits, et dix devoirs, dont celui de "respecter la vérité, quelles qu'en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité", ou encore "défendre la liberté de l'information, du commentaire et de la critique".
Défiance historique
Mais depuis quelques années, et sous l'impulsion de la crise des gilets jaunes - marquée par une violente critique du traitement médiatique des événements - cette charte se retrouve brandie au sein de l'écosystème complotiste pour discréditer la presse dite "mainstream". La logique est la suivante : dénoncer une fake news ou les méthodes supposées fallacieuses d'un journaliste, pointer la non-conformité avec les principes édictés par la charte de Munich (le plus souvent en mentionnant l'article premier, qui impose le respect de la vérité) puis, par une déduction relevant plus de l'analogie que de la démonstration, en conclure que le journaliste ou l'organe de presse visé se soustrait à l'éthique journalistique.
Le site négationniste et complotiste de l'essayiste d'extrême droite Alain Soral, Egalité et Réconciliation, est habitué de ce procédé. Le 20 février 2017, par exemple, on y accusait le journal Le Monde d'avoir voulu "faire passer l'ex-président des Etats-Unis pour un menteur" lors d'un discours en Floride, en publiant un article intitulé "Donald Trump invente un acte terroriste en Suède". Le site d'Alain Soral expliquait qu'"à aucun moment, le président américain n'a[vait] parlé d'un "acte terroriste"". Malgré les multiples fact-checkings effectués sur le sujet, Egalité et Réconciliation s'était empressé de relayer cette "manipulation" du Monde , "totalement contraire au premier devoir des journalistes tel que stipulé dans la Charte de Munich".
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"L'idée que les médias 'mainstream' ne respecteraient pas la Charte de Munich est depuis des années une sorte de lieu commun dans la complosphère", explique Rudy Reichstadt, fondateur et directeur du site de référence Conspiracy Watch. De la même façon que, dans la complosphère, le Code de Nuremberg - un ensemble de principes éthiques en matière de santé tiré des procès des criminels nazis après la Seconde Guerre mondiale (1947) - est régulièrement instrumentalisé à l'égard, cette fois-ci, des médecins. "Il ne s'agit pas de dire que les journalistes n'ont jamais rien à se reprocher, tempère-t-il. Mais la presse fait aujourd'hui l'objet d'une défiance historique. Et lui reprocher de violer la Charte de Munich est une technique qui trahit une sorte de schizophrénie, un rapport de fascination-détestation à l'égard des grands médias."
De tels procédés gagnent même la sphère politicienne. Le président de l'Union populaire républicaine (UPR) François Asselineau, souverainiste très critique du système médiatique, en a fait sa marque de fabrique sur Twitter. Comme le 21 février 2022, où il s'était scandalisé que son nom n'apparaisse pas dans l'éditorial d'un journaliste de BFM TV à propos des candidats n'ayant pas encore obtenu les 500 parrainages nécessaires pour se présenter à l'élection présidentielle. Et publiait dans un thread : "RAPPEL. La Charte de l'éthique du journalisme, appelée "Charte de Munich", adoptée par un congrès de journalistes occidentaux le 24 novembre 1971, fixe comme DEVOIR à un journaliste de "ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les documents"".
"Respecter la vérité" à l'ère de la post-vérité
Plus surprenant encore, certains sites complotistes n'hésitent pas à adosser leur démarche à la Charte de Munich, pour se placer en défenseurs de l'intérêt général. France Soir, qui n'a eu de cesse de démontrer son virage conspirationniste, a récemment choisi de publier l'enregistrement de notre interview d'Idriss Aberkane - allant à l'encontre de ce qui avait été convenu au préalable et malgré une mise en demeure le rappelant à son engagement. La justification de cette décision de la part de France Soir était la suivante : "En vertu des principes contenus dans la Charte de Munich, permettre au grand public de se forger sa propre opinion sur la déontologie du journal L'Express et ainsi, plus largement, contribuer au débat d'intérêt général sur les pratiques du monde journalistique contemporain."
Selon Rudy Reichstadt, la Charte de Munich est un texte "suffisamment généraliste pour pouvoir prêter le flanc à ce genre d'utilisations fallacieuses". Sans compter que celle-ci a été rédigée il y a plus de cinquante ans, dans un contexte très différent de celui avec lequel les journalistes doivent désormais composer : l'avènement du numérique, des réseaux sociaux et de la désinformation de masse. A l'ère de la post-vérité, il devient donc aisé de dénoncer un manquement au premier devoir de "respect de la vérité", alors même que tout le monde ne s'accorde plus sur la notion même de "vérité".
Confusion des rôles
Si le phénomène semble enfler sur les réseaux sociaux et ce, alors que la confiance accordée par les Français aux médias est au plus bas - comme le prouve le baromètre des médias réalisé par La Croix en 2022 - "la détestation de la presse de la part de personnes convaincues de mieux incarner l'éthique journalistique que les journalistes eux-mêmes est très ancienne", explique Alexis Lévrier, historien de la presse et maître de conférences à l'université de Reims. Sous l'Ancien Régime, les "nouvellistes de bouche" se réunissaient déjà dans la grande allée des marronniers du Palais Royal, pour commenter des journaux et critiquer leur contenu, "avec la prétention de faire le même travail que les journalistes". Au vu de la profusion de fausses nouvelles qui s'y propageait, l'expression "raconter des craques" était née.
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A partir de la Belle Epoque (XIXe siècle), marquée par de nombreux progrès sociaux, économiques, technologiques et politiques, la profession se dote de garde-fous tels que la carte de presse, des textes de référence et des écoles de journalisme. Mais ces derniers ne suffiront pas à contenir le tournant engagé à l'ère des réseaux sociaux : au XXIe siècle, professionnels de l'information comme non-journalistes utilisent les mêmes outils de travail (chacun peut filmer une manifestation avec un smartphone) et d'expression (tout le monde peut publier un tweet). "Cette nouvelle donne a renforcé une confusion des rôles, et cette impression pour le non-journaliste de mieux savoir que le journaliste lui-même ce qu'est l'éthique journalistique", explique l'historien Alexis Lévrier.
Selon Anthony Mansuy, journaliste à Society et auteur d'un ouvrage sur le complotisme intitulé Les Dissidents. Une année dans la bulle conspirationniste (Robert Laffont, 2022), il est "sain et nécessaire de critiquer les médias lorsque l'on souhaite les améliorer, assurer leur indépendance, et la qualité de leur travail. Mais les influenceurs conspirationnistes, eux, veulent annihiler ces médias, et propulser leurs figures comme hérauts médiatiques". Avec une particularité : celle de greffer sur cette défiance, parfois légitime, la proposition d'incarner l'alternative, comme cela a pu être le cas lors de la pandémie de Covid-19, qui a vu émerger de nombreux blogs antivaccins se réclamant de la "ré-information" du public en dénonçant les "mensonges" des Big Pharma et du gouvernement. "Une alternative encore pire, selon le journaliste de Society , car elle accentue tous les défauts du journalisme moderne, en s'appuyant exclusivement sur l'opinion et le témoignage brut, et considère que la popularité d'une vidéo ou d'un article peut permettre de juger de sa véracité."
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Le mythe d'une impunité journalistique
Tout en reconnaissant n'avoir jamais entendu parler de la Charte de Munich avant de travailler sur le conspirationnisme - et il n'est pas le seul -, Anthony Mansuy explique que "le métier et la déontologie journalistique s'apprennent un peu à l'école, mais surtout sur le terrain et en rédaction. Imaginer qu'il y a une sorte de serment d'Hippocrate du journalisme montre à quel point la réalité des rédactions est inconnue du grand public." Nombreux sont ceux - même en dehors des bulles complotistes - à dénoncer une impunité journalistique, avec son lot de fantasmes, faute de véritables mécanismes de contrôle. Ainsi du leader des Insoumis, Jean-Luc Mélenchon qui, après son passage en décembre 2017 sur le plateau de L'Emission politique sur France 2 (qu'il avait qualifié sur son blog de "traquenard") avait proposé un "tribunal professionnel qui puisse être saisi et qui ait le pouvoir de sanction symbolique contre les menteurs, les tricheurs, les enfumeurs". Mais selon Yann Guégan, journaliste pour le média Contexte, et vice-président du Conseil de déontologie journalistique et de médiation (qui ne prononce pas de sanctions pénales, financières ou autres, mais publie des avis), donner un pouvoir de sanction aux garants de la déontologie journalistique serait "une menace pour la liberté d'expression".
"Les détracteurs de la presse oublient que même si la charte de Munich n'est pas punitive, la loi ainsi que de nombreux instruments de régulation internes aux rédactions existent pour pallier d'éventuels manquements", rappelle Alexis Lévrier, citant la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse - par ailleurs durcie en 1970 par Georges Pompidou après l'affaire Markovic, pour les questions liées à la vie privée. Ceci n'excluant pas, comme l'explique Yann Guégan que les principes édictés par la Charte de Munich doivent être pris au sérieux "afin d'éclairer les situations précises auxquelles les journalistes sont confrontés". C'est d'ailleurs le voeu du Conseil de déontologie, qui, lorsqu'il est saisi sur des cas précis, se réfère à ce texte fondateur comme à deux autres textes de référence, que sont la Charte d'éthique professionnelle des journalistes du SNJ de 1918, remaniée en 1938 et 2011, et la Charte d'éthique mondiale des journalistes de la FIJ, adoptée en 2019 à Tunis. Mais à l'heure d'une montée sans précédent du complotisme, Rudy Reichstadt va même plus loin, en envisageant de "compléter les devoirs et droits des journalistes qu'énonce la Charte de Munich pour y intégrer les préoccupations nouvelles auxquelles est confrontée la profession".
Note(s) :
Mise à jour : 2022-08-11 18:13
L'Express, no. 3708
En couverture, jeudi 28 juillet 2022 1495 mots, p. 18
En couverture Les dérives du développement personnel Gros plan
Raccourcis, « effet gourou » : la science du cerveau à la sauce Aberkane
ALIX L'HOSPITAL; VICTOR GARCIA
« L'hyperdoctor » vend des formations de développement personnel qu'il dit basées sur les neurosciences. Ce qu'infirment les spécialistes.
page 18
Qu'ont en commun des routes commerciales, une épée viking baptisée « la Lamborghini du Moyen Age », les cinq continents et notre lobe temporal? A priori rien, si ce n'est contribuer à l'élaboration d'une métaphore du fonctionnement de notre cerveau signée Idriss Aberkane, autoproclamé « hyperdoctor » et « spécialiste en neurosciences de renommée mondiale ». Et il ne s'agit que de l'introduction de sa formation baptisée « Libérer votre plein potentiel », que L'Express a suivie. La suite des 19 vidéos - 4 h 20 -, accessibles sur la plateforme MentorShow moyennant 197 euros, est à l'avenant et constitue une illustration des techniques utilisées par Idriss Aberkane dans ses nombreux autres domaines de prédilection : débit de parole véloce, anecdotes et néologismes par dizaines, name dropping à foison. Tout y est pour impressionner le spectateur.
La crédibilité de sa méthode - outre sa démonstration d'éloquence - repose surtout sur des justifications scientifiques. « La logique est claire, les travaux cités sont impressionnants et provoquent un effet "wow", analyse Bastien Blain, chercheur associé à l'University College London en neurosciences, qui a regardé cette master class pour L'Express. Mais le lien entre les expériences scientifiques citées et le développement personnel n'a rien d'évident et n'est établi que par des analogies qui relèvent souvent du grand écart (surinterprétation, mésinterprétation, surgénéralisation). L'emballage neuroscientifique est utilisé comme de la poudre de perlimpinpin. » L'hyperdoctor convoque par exemple la neuroergonomie, une discipline améliorant selon lui les performances cognitives (mémoire, concentration) et le bien-être général. Ce champ d'étude quasi secret serait même « trop sérieux pour être laissé aux militaires », glisse-t-il. La réalité est tout autre. « La neuro ergonomie est un véritable champ scientifique, contrairement à la neurosagesse, qu'il a inventée. Mais il s'agit d'un domaine confidentiel, avec un niveau d'applicabilité très bas; seuls quelques chercheurs - dont Idriss Aberkane ne fait pas partie - publient des études sur le sujet, et les résultats se révèlent globalement décevants », explique Sébastien Dieguez, neuroscientifique à l'université de Fribourg (Suisse).
Un avis partagé par Bastien Blain. « Ce cours relève du développement personnel, pas de la neuroergonomie, qui est une science appliquée et peu conceptuelle, contrairement à l'étude qu'il en fait, analyse-t-il. Quand on fait de la neuroergonomie, on teste des interfaces cerveaumachine. On se limite plutôt à un travail d'ingénieur. » Le spécialiste remarque un passage emblématique de l'approche d'Idriss Aberkane, quand il présente une expérience de stimulations électriques de la langue qui redonnerait une forme de vision à des patients aveugles. « L'exemple semble spectaculaire, mais les limites ne sont pas vraiment pointées : l'expérience ne vise pas à recouvrer la vue, note le neuroscientifique. Il enrobe le tout par une métaphore suggérant que le cerveau est si plastique que l'on pourrait le changer complètement et le "libérer". Mais le rapport avec les données des études citées est très lâche, la généralisation et la conclusion relèvent de la contorsion. » Des critiques qu'Idriss Aberkane balaie, estimant qu'il ne s'agit que d'opinions sans valeur, d'embrouilles rhétoriques et d'arguments fallacieux. La neuroergonomie serait bien, selon lui, un domaine de pointe peu connu et inaccessible au commun des mortels car majoritairement utilisé dans le milieu industriel - pour lequel il assure avoir travaillé, sans pouvoir en dire davantage - et le secteur militaire. Pratique.
Si l'on se fie à la dizaine de commentaires sous ces vidéos, de nombreux spectateurs sont pourtant séduits. Ironie du sort relevé par les deux neuroscientifiques, il existe des études expliquant ce succès. L'une d'elles, publiée en 2008 dans Trends in Cognitive Sciences, démontre que les personnes non expertes en sciences comportementales accordent une plus grande importance aux explications contenant des détails neuroscientifiques, même si celles-ci n'apportent aucune valeur explicative. « D'autres travaux soulignent qu'il suffit de parler du cerveau ou d'en montrer une image pour rendre une explication plus convaincante, ajoute Sébastien Dieguez. Les formules scientifiques, les acronymes, les astuces mnémotechniques et les néologismes permettent aussi de susciter un intérêt, même pour des choses banales. »
L'hyperdoctor n'ignore pas ces différentes techniques. Il évoque d'ailleurs, dès sa deuxième vidéo, le cas d'un arnaqueur parvenant à payer des commerçants avec des feuilles blanches au lieu de billets en les noyant sous un flot de paroles. Il utilise aussi le néologisme « psycatrice » pour décrire les souffrances psychologiques, et propose l'outil mnémotechnique « si-con-méchant » (sidération, confirmation, mémorisation, échantillonnage) afin d'éviter le biais de sidération selon lequel les mauvaises nouvelles sont mieux mémorisées. A partir du 11e cours, il présente l'acronyme SAINELP (subjectivité, application, impuissance, néophilie, exploration, lieux, pairs), une méthode exclusive permettant de se rapprocher du niveau de son idole Richard Francis Burton, « qui parlait 29 langues ». Il suggère ainsi d'inscrire ses peurs sur un objet - s urtout pas sur une feuille blanche! - pour les matérialiser puis les « désinstaller » de son cerveau, de s'accorder des microvictoires dans ses activités, « comme les étoiles du jeu vidéo Sonic », de découvrir de nouveaux domaines, ou d'améliorer sa mémoire avec la méthode du palais. « Il invente la prise de notes, plaisante Sébastien Dieguez. C'est typique du coaching : énoncer des trivialités et faire croire qu'elles vont changer votre vie. Si un individu lambda racontait cela, personne ne le prendrait au sérieux. »
Mais Idriss Aberkane n'est pas un individu lambda. En témoigne son CV... qu'il a par ailleurs largement dopé, comme L'Express l'a notamment montré. Il n'est ni chercheur à Centrale Supélec, ni docteur de l'Ecole polytechnique, ni normalien, ni chercheur à Stanford ou à Cambridge. « Il vulgarise bien la science et raconte des histoires en ouvrant de nombreux tiroirs, reconnaît volontiers Thomas Durand, vidéaste auteur de la chaîne La Tronche en biais, qui a été l'un des premiers à dénoncer ses dérives. Et comme il met en avant "trois doctorats obtenus à 30 ans" - deux, en réalité -, il séduit les curieux qui cherchent un sens caché dans ses banalités. C'est illustration de l'effet gourou, un mécanisme qui amène des individus à admirer et à juger profonds des énoncés qu'ils ne comprennent pas. » La recette fonctionne. Idriss Aberkane cumule 31 millions de vues sur sa chaîne YouTube et a vendu plus de 265 000 exemplaires de son livre Libérez votre cerveau (Robert Laffont et Pocket). Un business lucratif auquel il faut ajouter ses formations. Outre MentorShow, la plateforme BeBooda propose, pour 126 euros, une « master class en neuroergonomie » au contenu quasi identique. Et Scanderia facture 80 euros un cours sur « le trading et l'investissement comme une opportunité de développement personnel ».
Son aura s'explique aussi par le fort relais médiatique dont il a bénéficié. Ex-chroniqueur au Point, qui lui a consacré sa Une en 2016, il a fait le tour des plateaux de télévision et profitait encore d'interviews dithyrambiques jusqu'en 2021.
« Aujourd'hui, il est "grillé" et se tourne vers la sphère complotiste », analyse Thomas Durand. Il a ainsi défendu le controversé Pr Didier Raoult, voyant dans sa déchéance la main des grands laboratoires. « Sa vidéo est malhonnête, mal sourcée : une mise en abyme de l'imposture », résume le vidéaste. Idriss Aberkane se tourne également vers des sujets plus porteurs. Il prodigue ses analyses sur les bitcoins - il y consacre un canal dédié sur l'application Telegram -, sur la guerre en Ukraine, ou encore la politique, en collaboration notamment avec Nicolas Dupont-Aignan. Avec, chaque fois, les mêmes techniques que pour le développement personnel. Et un véritable talent pour se faire passer pour un génie.
Encadré(s) :
Note de la rédaction
Note de la rédaction Dans le cadre d'une enquête sur les formations en développement personnel d'Idriss Aberkane, L'Express a interrogé l'intéressé, conformément à la pratique et à la déontologie journalistiques. L'entretien a eu lieu par visioconférence. Il a été consenti, au préalable, à ce que M. Aberkane puisse enregistrer l'échange afin de le rassurer sur le fait que les éventuelles citations choisies par nos journalistes ne seraient pas distordues, comme il semblait le redouter. Jamais, en revanche, il n'a été consenti à ce qu'il diffuse cet entretien, pour un usage commercial ou non, sur les réseaux sociaux ou ailleurs. Cette opposition lui a été signifiée en début d'interview et rappelée à la fin, alors que M. Aberkane s'était autorisé des propos paranoïaques et méprisants qui, s'ils ne tromperont pas les auditeurs avertis, peuvent alimenter la haine des journalistes dans les réseaux complotistes. Idriss Aberkane a alors déclaré qu'il entendait tout de même diffuser sa captation. L'Express lui a donc envoyé une mise en demeure pour le rappeler à son engagement, ce dont il s'est servi pour se victimiser et crier à la tentative de censure. Sans surprise, nos journalistes ont été immédiatement pris pour cible sur les réseaux sociaux et ont reçu des dizaines de messages méprisants et insultants. De telles pratiques d'exposition des journalistes à la vindicte de milliers de « followers » afin de les intimider sont évidemment inacceptables. Elles rendent difficile l'exercice de notre métier. Mais nous n'y renonçons pas.
https://twitter.com/idrissaberkane/status/1550543979166384129
https://www.francesoir.fr/videos-les-debriefings/Idriss-Aberkane-Express-Gate
Twitter a annoncé qu’il avait récemment suspendu des dizaines de comptes pour avoir miné la confiance en l’OTAN. Cette mesure fait partie d’une purge plus large de près de 400 comptes Twitter soupçonnés d’avoir des « liens avec la Russie, l’Arménie et l’Iran », des acteurs étatiques qui se sont avérés avoir « enfreint ses politiques de manoeuvre des plateformes », selon Reuters.
Des membres du mouvement complotiste et antisystème One Nation sur le point d'acheter un domaine dans le Lot
BFMTV
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Sénaillac-Lauzès est un village situé dans le Lot, en Occitanie. Ses habitants redoutent l'arrivée d'une colonie de complotistes et d'antisystèmes. Des membres du mouvement One Nation ont en effet annoncé avoir lancé les démarches pour y acheter un grand domaine.
Projet de One Nation dans le Lot : la cagnotte en ligne pour l'achat d'un domaine a été suspendue
Après les vives réactions et inquiétudes autour de la future acquisition d'un domaine dans le Lot par le mouvement complotiste et sectaire One Nation, la plateforme en ligne HelloAsso a décidé de suspendre la cagnotte participative. En quelques jours, plus de 200 000 euros avaient été récoltés.
Publié le 08/10/2021 à 11h35
Alice Pazalmar et son compagnon Sylvain, figures du mouvement complotiste et antisystème One Nation, promettaient d'acquérir ce domaine de 200 hectares situé dans le Lot e évalué à 800.000 euros. • © Capture d'écran - FTV
Lot Cahors
Le projet d'acquisition d'un vaste domaine dans le Lot par le mouvement sectaire One Nation est compromis. Une semaine après les révélations de cette future vente, le site HelloAsso a décidé de suspendre la cagnotte en ligne qui devait servir à financer l'achat.
La plateforme explique sur Twitter que "Suite à de nombreux signalements, et malgré le caractère d'intérêt général revendiqué par l'organisme ouvrant droit à une réduction d'impôt pour ses donateurs, nous avons pris la décision de suspendre cette campagne."
Après analyse de notre équipe, nous avons pris la décision de suspendre la collecte du projet Oasis One Lab. Plus d’informations ci-dessous cc @GDarmanin @MarleneSchiappa @SarahElHairy pic.twitter.com/QFjgM6VzPl
— HelloAsso (@helloasso) October 7, 2021
HelloAsso précise "Notre réaction ne saurait cependant se substituer à l'État de droit, et à l'action des Pouvoirs publics qui demeurent garants du respect de la loi."
"Le projet d’installation de l’organisation One Nation dans le Lot est un danger"
Aurélien Pradié, député de la 1ère circonscription du Lot et secrétaire général les Républicains a écrit au ministre de l'Intérieur, Gérard Darmanin, pour lui demander de "faire obstacle à ce projet". Dans son courrier, Aurélien Pradié explique "Le Lot et sa ruralité ne peuvent en aucun cas devenir le terreau de développement et d’installation de groupuscules en tous genres."
Le #Lot et sa ruralité ne peuvent en aucun cas devenir le terreau de développement et d’installation de groupuscules en tous genres.
Le projet d’installation de l’organisation #OneNation dans le Lot est un danger. Mon courrier au ministre de l’intérieur @GDarmanin pic.twitter.com/z6bu14sx80
— Aurélien Pradié (@AurelienPradie) October 6, 2021
Un domaine de 200 hectares dans le Quercy
Cette cagnotte en ligne devait servir à financer l'acquisition d'un domaine de 200 hectares sur la petite commune lotoise de Sénaillac-Lauzès pour un montant de 800.000 euros. Les deux figures de One Nation, Alice Pazalmar et son conjoint Sylvain, veulent y installer "un Centre rural des Arts et des Sciences, un Laboratoire de recherche au service de la transition".
Le nom de One Nation revient fréquemment dans l'actualité depuis plusieurs mois. Lola Montemaggi, la mère de la petite Mia, cette petite fille enlevée dans les Vosges, était membre du mouvement complotiste et en lien avec Alice Pazalmar.
HelloAsso
@helloasso
Après analyse de notre équipe, nous avons pris la décision de suspendre la collecte du projet Oasis One Lab. Plus d’informations ci-dessous cc @GDarmanin
@MarleneSchiappa
@SarahElHairy
#GENÈVE | APPEL À TÉMOIGNAGE 🚨
Vous ou votre enfant avez dû subir des propos complotistes durant des cours, de la part d’un ou d’une enseignante?
Dans le cadre d'une enquête, nous recueillons vos témoignages.
👉 blick-alerte@ringier.ch