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«Ce moai se trouve au centre d'une lagune qui a commencé à s'assécher en 2018», a expliqué à l'AFP Ninoska Avareipua Huki Cuadros, directrice de la communauté indigène Ma'u Henua. «Ce qui est intéressant c'est que, au moins au cours des 200 ou 300 dernières années, la lagune a eu une profondeur de trois mètres, donc aucun être humain n'aurait pu laisser ce moai là»
Temps fort, jeudi 24 août 2023 1837 mots, p. 3
Les étranges largesses de Fabienne Fischer, ex-ministre
ENQUÊTE
LAURE LUGON ZUGRAVU
GENÈVE L'ancienne conseillère d'Etat verte a octroyé des mandats à deux associations dont son compagnon était proche, malgré des préavis négatifs de son département. Près de 300 000 francs d'argent public ont été dépensés pour des rapports et analyses
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@laurelugon
On connaissait le goût prononcé de l'ancienne conseillère d'Etat verte Fabienne Fischer pour l'économie circulaire, durable et solidaire ainsi que le commerce de proximité. Ce qu'on ne savait pas, c'est que la ministre écologiste chargée du Département de l'économie et de l'emploi (DEE) entendait aussi la solidarité et la proximité au sens littéral.
Selon l'enquête du Temps et de la chaîne de télévision Léman Bleu, il s'avère en effet que Fabienne Fischer a octroyé des mandats pour des projets portés de près ou de loin par son compagnon, Jean Rossiaud, à travers deux associations. Selon les documents qui nous ont été délivrés en vertu de la loi sur la transparence, cela représente 283 000 francs d'argent public. Et ce, malgré plusieurs préavis négatifs émanant de son propre département.
Cette nouvelle histoire intervient dans un contexte déjà chahuté pour l'ancienne conseillère d'Etat, à qui il est reproché d'avoir utilisé des fonctionnaires du département pour sa campagne électorale. Pire: ces derniers recevaient même des instructions de Jean Rossiaud, selon Léman Bleu. Une dénonciation pénale a été déposée par le député MCG Daniel Sormanni et une procédure est actuellement dirigée par le procureur général Olivier Jornot.
Lorsque Fabienne Fischer est élue en avril 2021 en grillant la politesse à Pierre Maudet, tout juste condamné en première instance par le Tribunal de police pour acceptation d'un avantage, elle fait de la probité et de la confiance un slogan. En avril dernier, elle ne se prive pas de tacler son adversaire sur ce terrain, sans l'emporter cette fois. Si l'éthique en politique lui est chère, Fabienne Fischer est aussi animée par des convictions écologistes et sociales solidement ancrées qu'elle promet d'appliquer à l'économie. Au point que certaines entreprises de la place la considéraient, au mieux, comme une « mère la morale ». Des convictions qu'elle partage avec son compagnon Jean Rossiaud, élu à plusieurs reprises au Grand Conseil entre 2003 et 2021.
Le souci d'intégrité
Lorsque sa partenaire accède au gouvernement, Jean Rossiaud remet sa charge de député pour éviter tout conflit d'intérêts. Animé par le même souci d'intégrité, il démissionne aussi des instances dirigeantes des associations dans lesquelles il est actif: Monnaie Léman, un projet de monnaie alternative, qu'il préside et qu'il a lui-même fondée en 2015, et l'association Après, le réseau de l'économie sociale et solidaire. Ces deux structures ont pignon sur rue à la même adresse et partagent le même coordinateur, Antonin Calderon.
Mais à la posture morale affichée publiquement, il existe un envers du décor. Alors que l'association Après n'avait jamais reçu un sou de l'Etat, elle va convaincre la nouvelle ministre de débloquer des fonds. Le 1er septembre 2022, un premier mandat de 98 000 francs lui est alloué. Si le projet est formellement porté par cette entité, figurent aussi dans le comité de pilotage des représentants de Monnaie Léman. A quoi va servir cet argent? A une étude de faisabilité de la plateforme « GE consomme local », dédié à la vente de biens et services locaux, la version genevoise de Smarket-Place. Le concept en est venu à Jean Rossiaud et Antonin Calderon lors d'un hackathon organisé en 2020 par Pierre Maudet, alors ministre de l'économie.
Pour les non-initiés, il est difficile de comprendre le jargon abscons de ce projet où il est question d'une méta-plateforme pour le commerce local. Les honoraires, eux, seront utilisés à des « rapports, analyses, études de faisabilité et discussions stratégiques ». Un point décontenance quelque peu: le « déploiement d'une dynamique à l'échelle européenne ». Même si Genève rayonne, cela paraît ambitieux.
Des fonctionnaires s'en émeuvent. Selon nos informations, ils s'interrogent sur l'utilité du projet, insistent sur l'existence de plateformes similaires, s'inquiètent de voir allouer certains montants à des experts externes. Les préavis négatifs se succèdent. Mais la ministre passe outre les remarques et signe le mandat. Il faut dire que la loi ne l'empêche nullement. Pour les sommes inférieures à 250 000 francs, un département peut accorder un mandat de gré à gré sans appel d'offres mais après un examen approfondi. Et rien n'empêche la ministre d'avoir raison, seule contre tous.
Alors, où est le problème? Plusieurs interventions de Jean Rossiaud démontrent qu'il en demeure un promoteur investi. Sur un blog du 7 février 2023, il se félicite d'avoir décroché le mandat pour SmarketPlace: « Après et Monnaie Léman viennent de terminer un premier mandat pour l'Etat de Genève. La question était: comment décliner localement SmarketPlace, notre application blanche, libre et open source, universelle et réplicable, spécifiquement dans la région de Genève, avec les particularités de son tissu économique et social? » Ensuite: « Après ce premier financement octroyé par l'Etat de Genève, nous montons actuellement des projets européens. »
Pas besoin d'appel d'offres
Forte de ce succès, l'association Après, pilotée par Antonin Calderon, va solliciter à nouveau le département. Le 31 octobre 2022, Fabienne Fischer valide un mandat de 80 000 francs pour une « étude de diagnostic-quartier », trois jours seulement après avoir reçu l'offre. Là encore, à la lecture, la perplexité l'emporte. Il est question d' « analyser les différents types de commerces dans les quartiers cibles, les modèles d'affaires existants, ou encore de déterminer les habitudes et besoins ». Portée par Antonin Calderon, cette idée apparaît cependant dans une intervention de Jean Rossiaud sur un blog, le 3 mai 2022.
Ce même jour, un troisième mandat de 50 000 francs est octroyé à Après par Fabienne Fischer, pour accompagner et soutenir des entreprises de l'économie sociale et solidaire, en renouvellement d'une première année de financement. Où l'on découvre qu'un milieu associatif, par définition peu rompu au monde économique, se promet de « renforcer les compétences entrepreneuriales » de 11 sociétés. Pour éviter tout malentendu, le document spécifie qu'il ne s'agit « pas forcément que d'associations et de coopératives ». Piquant.
Ce sont donc à ce stade 228 000 francs d'argent public - dont 98 000 concernent directement un projet cher à Jean Rossiaud - qui ont été dépensés sans recours aux règles encadrant les marchés publics, puisque le seuil est fixé à 250 000 francs d'un seul tenant. Au-delà, un appel d'offres s'impose.
Quoi qu'il en soit, en avril dernier, un mandat de 55 000 francs est encore octroyé à Monnaie Léman. Cette fois, il est payé pour moitié par le DEE et pour l'autre par le Département du territoire (DT) d'Antonio Hodgers. Pourquoi? « Le DT a décidé de participer au financement de cette étude sous l'angle de la politique publique du développement durable », répond Pauline de Salis, porte-parole du département. Elle mentionne que des projets de monnaie locale ont été développés dans différents pays et qu'il s'agissait d'analyser si la chose pouvait servir l'économie genevoise de proximité. Quelles précautions ont-elles été prises pour éviter l'éventuel conflit d'intérêts? « Le DT a vérifié que l'objectif du mandat réponde à un intérêt avéré pour son action. En aucun cas il ne s'est agi de financer l'association pour elle-même. Par ailleurs, à aucun moment Jean Rossiaud n'a été en contact avec le département sur ce mandat », note Pauline de Salis.
Cette somme doit permettre de mesurer l'impact de cette monnaie alternative durable pour dynamiser l'économie locale. Ici, quelque explication s'impose. Garantissant l'absence de spéculation, Monnaie Léman est une monnaie complémentaire au franc suisse et valable dans certains commerces de proximité qui en ont bien voulu. Mais avec 450 000 lémans en circulation à Genève et dans la zone transfrontalière, soit l'équivalent de 450 000 francs, l'affaire est plutôt confidentielle. Il n'en demeure pas moins que la ministre de l'économie semble porter grand cas à cette marotte de son compagnon. Si Jean Rossiaud n'a plus de rôle dirigeant dans l'association, il en fait cependant la promotion. Il accorde par exemple un entretien le 8 juin 2022 au site Moneta.ch, où il explique être « en discussion avec les communes » pour que certains services publics puissent être réglés dans cette monnaie: « On doit expliquer, convaincre, sensibiliser les différents acteurs aux avantages d'un tissu économique parallèle. »
En décembre 2022, c'est encore Jean Rossiaud qui signe un rapport de Monnaie Léman sur un mandat réalisé pour le compte de la ville de Vevey et dont il a présenté les résultats à la municipalité en novembre 2021.
« Aucun avantage personnel retiré de ces mandats »
Si les deux associations ont refusé de nous rencontrer, elles ont répondu par écrit: « Nous pouvons vous assurer que Jean Rossiaud n'a jamais tiré aucun avantage personnel, même indirect, au travers de l'association Monnaie Léman, pour laquelle il a toujours oeuvré à titre bénévole depuis son lancement. » Monnaie Léman ajoute qu'elle ne voit « aucun problème » aux interventions de Jean Rossiaud, expliquant que l'intéressé a démissionné du comité en mars 2022. Selon nos informations, les discussions avec le département ont débuté au printemps 2022. De son côté, Après note que Jean Rossiaud, comme simple membre, « se limitait à organiser et participer à des échanges de bonnes pratiques avec des mouvements similaires dans le monde ainsi que de produire des écrits informatifs pour des réseaux internationaux sur les activités que nous développons à Genève. Tout au plus a-t-il fait usage de ses droits de vote et de validation lors des assemblées générales en tant que membre ordinaire. »
Interrogée sur le destin de ce dernier mandat dont elle a hérité, la nouvelle ministre du DEE, la centriste Delphine Bachmann, répond: « Ce mandat se terminera prochainement. L'attribution ayant été faite durant la précédente législature, je n'ai pas de commentaire à faire. » Quant à la poursuite de cette politique: « A ce stade et hormis le mandat sur le point d'être clôturé avec Monnaie Léman, il n'y a pas d'autres mandats en cours actuellement avec Après ou Monnaie Léman. »
Sollicitée, Fabienne Fischer n'a pas accusé réception de nos demandes. Jean Rossiaud, s'il n'a pas répondu à nos questions, nous a fait parvenir une déclaration par l'intermédiaire de ses avocats, Guglielmo Palumbo et Gabrielle Peressin. Cette déclaration a été publiée mardi soir par la Tribune de Genève, qui a été informée de cette affaire et en a fait un article démentant notre enquête... laquelle n'avait pas encore paru. En substance, les avocats de Jean Rossiaud dénoncent des « attaques politiques qui manquent de sérieux », affirment que « Jean Rossiaud n'a reçu aucun mandat et n'était pas membre du comité des associations concernées tant au moment de l'attribution des mandats que lors de leur mise en oeuvre ». Ils ajoutent: « Son engagement notoire et de longue date pour la cause idéale de l'économie durable, sociale et solidaire n'engendre aucun conflit d'intérêts. Il n'a pas tiré le moindre avantage personnel des mandats en question, dont l'intérêt public est indiscutable. » Le citoyen jugera.
« Après ce premier financement octroyé par l'Etat de Genève, nous montons actuellement des projets européens »
JEAN ROSSIAUD, PROMOTEUR D'APRÈS ET DE MONNAIE LÉMAN
Des cryptos pour l’apport en nature
Autre caractéristique souvent entendue durant cette journée de rencontres et de conférences, la bienveillance et la disponibilité des autorités neuchâteloises et de la banque cantonale locale envers les cryptos, que le grand public associe souvent à diverses arnaques et à l’instabilité du bitcoin. Ce n’est pas que l’administration locale ait eu des affinités particulières avec la blockchain ou des compétences technologiques particulières. «Les autorités ont l’habitude des hautes technologies déjà présentes dans le canton, dans la microtechnique ou l’horlogerie par exemple, qu’elles ne comprennent pas non plus en détail, mais elles savent comment les accompagner», analyse un autre participant.
Publié le 18 juin 2023 19:43. Modifié le 19 juin 2023 16:47.
Attention, danger. Alors que les yeux étaient rivés ces derniers jours sur le piratage de dizaines de sites web en Suisse, une autre attaque, aux conséquences autrement plus dangereuses, avait eu lieu. Une attaque totalement séparée de celle menée par le groupe de hackers pro-russes baptisé NoName. On parle ici du piratage de la société alémanique Xplain, un fournisseur de solutions informatiques et technologiques à de très nombreux services de la Confédération. Les pirates qui ont ciblé Xplain ont mis leur menace à exécution, mettant en ligne un volume gigantesque de données de 907 gigaoctets. Et parmi ces données, des informations très sensibles liées à plusieurs services de l’Etat.
Le 2 juin, Le Temps révélait l’ampleur du piratage de la société Xplain. Six fichiers compressés contenant au total des milliers de documents d’un total de près de trois gigaoctets avaient été mis en ligne par les pirates. On y voyait des informations de nombreux projets informatiques menés avec Fedpol et plusieurs polices cantonales: contrats, spécifications techniques, identifiants pour accéder à certains services…
VOTATION Le ministre de la Santé, Alain Berset, entre en campagne pour la loi Covid-19. Il souligne l'importance de sortir de la pandémie « de manière ordonnée » . L'attestation de vaccination ou de guérison ne servira plus qu'aux voyageurs en ayant besoin à l'étranger
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Pour la troisième fois en deux ans, le peuple est appelé à se prononcer sur la loi Covid-19. Le 13 juin et le 28 novembre 2021, il avait approuvé à une majorité de plus de 60% une loi dont les enjeux étaient des soutiens financiers et la légitimité du certificat covid. Aujourd'hui, cette loi n'est prolongée jusqu'en juin 2024 que pour le développement de nouveaux médicaments et le maintien du certificat covid pour les Suisses qui en auraient besoin à l'étranger. Mais les référendaires, qui ont toujours dénoncé la « société à deux vitesses » qu'avait créée ce certificat, jugent qu'il est grand temps d'abroger cette loi.
Le 5 mai dernier, le directeur de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a décrété la fin de l'urgence sanitaire concernant la pandémie de covid. Ne serait-il pas temps d'abroger aussi la loi Covid-19?
Non, ce serait une erreur. N'oublions pas ce qu'a immédiatement ajouté le directeur de l'OMS, je le cite: « La pire chose qu'un pays puisse faire maintenant serait d'utiliser cette nouvelle pour baisser sa garde et démanteler les systèmes qu'il a construits. » Dès le début de la pandémie, il a été reproché aux autorités de ne pas avoir été bien préparées et d'avoir agi dans l'urgence, en recourant notamment au droit de nécessité. Aussi, la moindre des choses est aujourd'hui de rester vigilant, et de sortir de manière propre et ordonnée de cette pandémie. La votation porte sur une prolongation de la loi jusqu'en juin 2024, puis ce sera terminé.
Si 60% des votants ont dit oui lors des deux premières votations, c'est parce que la loi comprenait des mesures financières de soutien, puis soulignait l'importance de la vaccination. Le contexte n'est-il pas totalement différent avec ce retour à la normalité?
C'est bien la raison pour laquelle le contenu de la loi a lui aussi complètement changé. On nous a plusieurs fois reproché de ne pas en avoir assez fait pour les personnes atteintes d'un covid long. Avec l'appui du parlement, nous avons donc lancé un programme de recherche spécifique, qui a abouti au développement de deux médicaments très prometteurs. En cas de rejet le 18 juin, le processus serait interrompu, au détriment des personnes qui attendent ces traitements.
N'êtes-vous pas là à la solde du lobby pharmaceutique?
Ce reproche est ridicule. C'est bien le contraire qui est vrai! En mars dernier, c'est le parlement qui nous a demandé de soutenir le développement de ces médicaments. L'un concerne les personnes atteintes d'un covid long et l'autre les patients vulnérables qui ont des parcours difficiles dans la maladie.
La loi maintient le certificat covid alors que celui-ci a profondément divisé la société. Pourquoi?
Que les choses soient claires: je ne vois aucune raison pour laquelle, en Suisse, le certificat pourrait être réintroduit.
Sûr? Oui, c'est terminé! Si nous devons maintenir cette base légale, c'est uniquement pour permettre les voyages dans les pays qui l'exigent encore. Cela peut être le cas pour passer la frontière, parfois pour accéder à une conférence ou à un événement particulier. Actuellement, en Suisse, plus de 20 000 personnes par mois se font encore délivrer un certificat. C'est beaucoup.
Les Etats-Unis et le Japon ont levé ce genre de restrictions. Quels pays les exigent encore?
On peut actuellement citer le Brésil et l'Indonésie, mais cette liste évolue chaque semaine. L'essentiel est pourtant ailleurs: dans tous les cas, nous n'avons aucune influence sur les décisions prises par d'autres pays en cas de rebond de la pandémie. Il s'agit donc d'un service que l'on doit pouvoir continuer d'offrir à la population. Et comme l'infrastructure est en place, utilisons-la!
Les référendaires craignent tous le retour d'une Suisse à deux vitesses. Quel message leur adressez-vous?
Cette inquiétude est infondée, il s'agissait plutôt d'un prétexte pour lancer un nouveau référendum. N'oublions pas que les mesures pour lutter contre la pandémie sont réglées par la loi sur les épidémies, et non pas dans la loi covid sur laquelle nous votons le 18 juin.
C'est la troisième fois que nous votons sur la même loi en deux ans. Est-ce un déni de démocratie de la part des référendaires?
Pas du tout. Le référendum est un droit populaire, et c'est très bien ainsi. Il faut aussi reconnaître qu'au fur et à mesure de l'évolution de la pandémie, de nombreuses adaptations ont été apportées à cette loi, afin de répondre au mieux aux besoins du pays. Les conditions ont donc beaucoup changé. Au début, il s'est agi avant tout d'indemniser les entreprises et les indépendants touchés de plein fouet par la crise. Ensuite, il a fallu donner une base légale au certificat. Aujourd'hui, la loi covid est avant tout un outil de prévention. Elle ne contient plus que quelques dispositions et plus aucune mesure contraignante.
La Suisse serait-elle aujourd'hui mieux préparée face à une nouvelle pandémie qu'elle ne l'a été en janvier 2020?
Cette question n'est pas liée à la votation, mais j'y réponds volontiers. Oui, je suis persuadé que nous avons beaucoup appris. Nous disposons désormais toutes et tous d'une grande expérience: les institutions fédérales, les cantons, les communes, les entreprises, les individus aussi. Nous saurions identifier les problèmes et réagir beaucoup plus rapidement. Et puis, sur la base de toutes les études réalisées jusqu'ici, la loi sur les épidémies va être retravaillée. Les enjeux sont multiples et concernent des questions comme le développement des nouveaux médicaments ou la protection particulière des personnes les plus vulnérables. C'est un débat qui va beaucoup nous occuper ces prochaines années.
Publié jeudi 27 avril 2023 à 07:46
Modifié jeudi 27 avril 2023 à 16:06
Le climat, parent pauvre de l'AG de la Banque nationale suisse
MATHILDE FARINE
BANQUE CENTRALE Il n'y aura pas de votes sur trois résolutions déposées par des actionnaires à l'occasion de l'assemblée générale de la BNS qui se tient aujourd'hui. Le sujet devrait néanmoins animer les interventions, de même que celui du sauvetage de Credit Suisse et des pertes en 2022
Après la perte record de 2022 (132,5 milliards de francs), la Banque nationale suisse (BNS) est de retour dans les chiffres noirs. Pour le premier trimestre 2023, elle a réalisé un bénéfice de 26,9 milliards de francs, a dévoilé la banque centrale dans un communiqué publié jeudi matin. Si l'année commence bien, c'est grâce à la hausse des actions, de l'obligataire et de l'or. L'évolution du franc a en revanche pesé sur le bénéfice.
Les résultats financiers seront l'un des sujets de l'assemblée générale (AG) qui doit se tenir aujourd'hui à Berne. D'autant plus que la perte abyssale de 2022 empêchera toute distribution de bénéfice. Mais ce ne sera pas le seul sujet.
Plan de transition
Début février dernier, quelque 150 actionnaires, réunis par l'Alliance climatique suisse, déposaient trois résolutions en vue de l'assemblée générale de la Banque nationale suisse. Ces petits porteurs demandaient avant tout à l'institution de se montrer plus « respectueuse de l'environnement et responsable face à la crise climatique », selon les termes de Myriam Grosse, collaboratrice spécialisée dans la place financière et le climat pour l'Alliance climatique suisse.
Si les actionnaires remplissaient les conditions pour déposer leurs questions, ces dernières ne figureront pourtant pas à l'ordre du jour de l'assemblée. Contactée, la Banque nationale suisse ne donne pas d'explications et renvoie à son ordre du jour, dans lequel les questions ne figurent effectivement pas.
Les actionnaires souhaitaient notamment que la banque centrale s'aligne sur les objectifs de l'Accord de Paris sur le climat et élabore un plan de transition pour elle-même d'ici à la fin de l'année, de même que des mesures réglementaires pour le secteur financier de façon à intégrer les risques liés au climat et à la biodiversité. La Banque nationale suisse exclut les investissements dans le charbon, par exemple, mais pas ceux dans le pétrole ou d'autres secteurs fortement polluants.
Malgré le refus de mettre ces questions à l'ordre du jour, l'ONG et les actionnaires promettent d' « exiger de la direction générale de la BNS une politique climatique et environnementale cohérente dans leurs interventions à l'assemblée générale », selon un communiqué diffusé mi-avril.
Ils veulent notamment montrer comment les « investissements de la Banque nationale suisse dans les entreprises fossiles ont un impact réel sur la réalité de la vie d'innombrables personnes » à l'instar de TotalEnergies, dans lequel elle a investi un demi-milliard, selon leurs calculs. Or le groupe français veut construire un oléoduc de 1443 kilomètres en Ouganda et en Tanzanie qui représente selon l'Alliance une « destruction de l'environnement » qui suscite une forte opposition dans les deux pays de même qu'en République démocratique du Congo.
Rôle dans le sauvetage de Credit Suisse
Autre sujet qui sera certainement abordé dans des interventions, celui du rôle de la Banque nationale suisse dans le sauvetage de Credit Suisse. Elle lui a mis à disposition des dizaines de milliards de liquidités avant et après le rachat par UBS. Lors de la publication des résultats de Credit Suisse, lundi, on apprenait qu'elle avait emprunté jusqu'à 168 milliards. Elle en a déjà remboursé près de 80 milliards.
Fait rare parmi les banques centrales, la Banque nationale suisse est cotée en bourse, ce qui explique la tenue de cette assemblée générale. Mais les droits des actionnaires sont plus limités que ceux des entreprises classiques. Le dividende, par exemple, est plafonné, même s'il n'y en aura de toute façon certainement pas cette année. En outre, les votes des actionnaires privés sont limités à 100 actions. Ce sont les cantons qui ont la majorité (près de 60% des voix). L'un d'entre eux, Neuchâtel, avait d'ailleurs annoncé qu'il soutiendrait les propositions de l'Alliance climatique. Mais c'était avant de savoir qu'aucun vote sur ce sujet n'aurait finalement lieu.
26,9 milliards
Au premier trimestre 2023, la Banque nationale suisse a gagné 26,9 milliards de francs.
Publié jeudi 27 avril 2023 à 04:55
Modifié jeudi 27 avril 2023 à 06:58
A l'instar du Brésil, l'Argentine va désormais payer ses importations chinoises en yuan plutôt qu'en dollars, a annoncé mercredi le ministre de l'Economie Sergio Massa.
«Suite à l'accord avec les différentes entreprises, la Banque populaire de Chine et la Banque centrale argentine, nous avons rééchelonné l'instrument de paiement de plus de 1,04 milliard de dollars pour ce mois-ci, pour les importations en provenance de Chine», a annoncé Sergio Massa au côté de l'ambassadeur de Chine à Buenos Aires, Zou Xiaoli. Il a ajouté qu'il sera possible de «programmer un volume d'importations en yuans d'une valeur (équivalente à) plus d'un milliard de dollars à partir du mois prochain, ce qui remplacera l'utilisation des dollars».
Cet abandon du dollar dans les transactions avec la Chine «améliore les perspectives des réserves nettes de l'Argentine» et «permet de maintenir le niveau d'activité, le volume des importations, le rythme des échanges entre» les deux pays et «les niveaux de fonctionnement économique dont l'Argentine a besoin», a-t-il ajouté.
ÉDITORIAL. Des milliers de stages de réinsertion sociale ont disparu à Genève, car ils doivent être payés 24 francs de l’heure. C’est la démonstration que les bons sentiments ont des effets pervers
Pompe biotique
Les flux de vapeur se meuvent sous l’influence d’un jeu de changements de pression complexes entre l’océan Atlantique et la forêt, mécanisme nommé «pompe biotique» par les scientifiques. On pourrait le résumer comme suit: en s’échappant des feuilles, la vapeur d’eau monte en altitude jusqu’à environ 4000 mètres, où le froid provoque sa condensation sous forme liquide. Cette disparition d’une grande quantité de gaz raréfie l’air. Un tel déficit de pression aspire l’air au niveau du sol. C’est alors que le phénomène se répète au sol: l’air se raréfie, la pression baisse, ce qui attire de l’air, cette fois en provenance de l’océan. Fraîche et humide, cette bouffée marine entraîne d’importantes précipitations.
Que les arbres pompent d’importantes masses d’air frais n’a que récemment été mis en évidence par les scientifiques dans plusieurs articles. Ce phénomène aurait une importance cruciale pour les écosystèmes locaux: on estime en effet que dans les zones forestières continentales de l’Amazonie, jusqu’à 70% des précipitations proviennent de la forêt, et non directement de l’océan.
Le neuroscientifique Mariano Sigman détaille dans un ouvrage les fonctions cérébrales qui gouvernent nos décisions. Et lâche ce scoop: plus l’enjeu est gros, plus notre inconscient l’emporte sur les délibérations.
«La plancha». Voilà comment certains visiteurs ont renommé l’esplanade de Plateforme 10 le week-end dernier, lors de son inauguration en grande pompe. La température dépassait les 32 °C. Et pour cause: sous l’action du soleil, le site de 25 000 m² (soit cinq terrains de football), dont 20 000 m² sont goudronnés ou construits, transforme les affamés de culture en vulnérables merguez. Une situation qui intrigue, alors que les effets du réchauffement climatique s’intensifient et que Lausanne cultive une image de ville écologique, à grand renfort de moutons brouteurs et de toitures végétalisées.
C’est une nouvelle étape franchie dans les cyberattaques qui ravagent la Suisse depuis des mois. Il y eut des données personnelles sur les habitants de Rolle et des employés de la commune en août 2021. Il y eut ensuite des déclarations d’impôts mises en ligne en novembre 2021 après le piratage d’une fiduciaire en Suisse alémanique. Aujourd’hui, ce sont des données encore plus sensibles qui ont été mises en ligne sur le darknet: des informations médicales personnelles.
Que se passe-t-il en combinant l’urine et le champignon? Andy Letcher: «L’ingrédient actif, le muscimole, passe dans le corps sans être métabolisé. Cela permet de répéter l’expérience hallucinogène indéfiniment, en recyclant ce composant à travers l’urine. Mais aussi de filtrer la substance, en gardant les alcaloïdes psychoactifs et en éliminant les composants toxiques, responsables de vomissements et d’évanouissements.» Boire l’urine du renne dopé à l’amanite? Lorsqu’il écrit son livre, Andy Letcher écarte cette idée. «J’avais tort. J’ai rencontré depuis lors deux témoins crédibles qui m’ont expliqué comment, en Laponie, on récolte l’urine du renne intoxiqué au champignon, on la fait bouillir pendant quelques heures et enfin, on la boit.» Volet psychédélique de la relation quasi symbiotique entre l’humain et la bête.
«Tout ceci est peut-être plus fréquent qu’on ne le croit. J’ai remarqué que les gens sont circonspects, réticents à l’idée de partager ces histoires avec des étrangers. Il y a un voile de secret», reprend Andy Letcher. S’agit-il d’une pratique exclusivement chamanique? «Pas forcément. Il semblerait même que l’usage soit plutôt récréatif. Le conteur en prend pour se fortifier avant de se lancer dans son récit. Le chasseur, avant un long voyage. Tout le monde, pour rigoler et faire la fête…»
RICHARD ÉTIENNE
COMMERCE DE DÉTAIL Les ventes des boutiques sans emballages ont chuté en 2021, en Suisse et en France, après plusieurs années de croissance. La faute au covid, aux grandes enseignes qui les concurrencent ou au commerce en ligne? Les hypothèses varient
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@RiEtienne
Chez Bio Bulk, une épicerie vrac du centre-ville de Lausanne, on fait grise mine. La boutique, qui vend des produits sans emballage et privilégie les circuits courts sans générer de déchets, se veut pourtant chaleureuse et accessible à tous les revenus. Des fondamentaux apparemment solides par les temps qui courent.
« Quasiment la moitié de ma clientèle s'est volatilisée depuis cet été. J'ai de la peine à comprendre où elle est passée », s'interroge Françoise Maden, qui a ouvert le magasin en 2020. « Je me pose beaucoup de questions pour les six mois à venir. » D'Yverdon à Echallens, en passant par Genève, les témoignages similaires se multiplient dans le secteur. « Tout le monde tire la langue », selon Françoise Maden, qui échange sur Facebook avec une quarantaine de boutiquiers.
En France, une association, Réseau Vrac, a estimé qu'il faut « raviver la flamme du vrac » car le secteur, selon une étude en décembre, ne connaîtra pas de croissance en 2021. L'Hexagone, qui recensait une vingtaine de magasins spécialisés en 2015, en compte désormais 900, avec une hausse de 70% en 2018, de 40% en 2019 et de 8% en 2020. Les boutiques, souvent de création récente, sans grande trésorerie et qui représentent 10% du marché français du vrac, ont perdu un tiers de leur clientèle depuis mai. Quelque 40% d'entre elles devraient avoir fermé leurs portes dans les six prochains mois. Aucune donnée n'existe pour la Suisse mais les témoignages recueillis par Le Temps indiquent que l'évolution est similaire
Consommateurs inquiets
Que s'est-il passé? Les explications varient. « Les consommateurs s'inquiètent des conditions d'hygiène liées au covid », selon Olivier Dauvers, un spécialiste de la grande distribution qui a organisé une conférence sur le vrac en juin à Paris. « Il y a eu des mauvaises publicités, qui ont faussé l'image du vrac et cassé la confiance de la clientèle », signale Olivier Richard. Le fondateur de Chez Mamie, un réseau de 13 magasins franchisés de Sion à Zurich, évoque des reportages sur des mites alimentaires infestant des cargaisons et des commerçants, opportunistes ou désorganisés, qui se font livrer de la marchandise qui est en réalité largement emballée.
« Faire du vrac, c'est réfléchir longtemps en amont sur des questions logistiques complexes », prévient Olivier Richard, qui estime que d'aucuns dans le secteur ont manqué de professionnalisme. « Il faut pouvoir faire des économies d'échelle [les magasins Chez Mamie collaborent avec les mêmes fournisseurs, ndlr] avoir des valeurs et trouver un bon emplacement, dit-il. On croit souvent, à tort, qu'il faut être au centre-ville. Nous privilégions les emplacements près des parkings car les clients, qui viennent avec les récipients qui prennent vite de la place, doivent pouvoir accéder en voiture. » Chez Mamie, les ventes alimentaires ont baissé mais les produits de niche, notamment le matériel pour fabriquer des cosmétiques, ont connu un vif succès.
Autre cause des difficultés des petites boutiques: La grande distribution a développé son assortiment de vrac. Coop dispose de stations de remplissage pour l'eau minérale et la bière et veut réduire d'un cinquième son utilisation de plastique par le biais d'articles jetables ou en ôtant des emballages. Migros, qui a fait part jeudi de son intention d'être neutre en carbone en 2050, vante sa politique zéro déchet et ouvre des espaces vracs et bios à travers le pays.
Françoise Maden estime que la concurrence des détaillants ne la touche guère car ils sont situés loin de sa boutique. Elle pense plutôt qu'une partie de sa clientèle s'est tournée vers l'e-commerce, une solution avec des risques minimes de contamination au Covid-19.
L'essor de MagicTomato
La croissance de MagicTomato, une enseigne genevoise qui livre des produits locaux commandés en ligne, s'est en tout cas encore accélérée durant la pandémie. Créé en 2016, le groupe a fusionné avec la société neuchâteloise Label Bleu en décembre, ce qui lui confère une présence dans la plupart des cantons romands et génère des économies d'échelle.
« Nous voulons être le plus pratique possible pour les consommateurs tout en partageant des valeurs répandues dans le vrac, même si nous ne proposons pas que du vrac », indique son fondateur, Paul Charmillot. MagicTomato se targue de drastiquement réduire la quantité d'emballages plastiques et de déchets alimentaires comparé aux grands distributeurs en allouant des forces auprès de fournisseurs locaux.
« Peut-être que la reprise d'un mode de vie à 100 à l'heure n'a pas aidé les épiceries de vrac », estime Paul Charmillot. « C'est dommage qu'il n'y ait pas de soutien étatique dans ces démarches. Il y a beaucoup de blabla politique mais aucune aide concrète pour les initiatives qui réduisent les émissions de CO2 et privilégient les circuits courts. L'Etat préfère manifestement soutenir les compensations de carbone », glisse-t-il.
« Les beaux jours reviendront car les fondamentaux sont solides », estime Olivier Dauvers. La demande, sociétale, pour une consommation plus vertueuse est de nature à soutenir le secteur. Le fait que les grandes marques s'y intéressent désormais va « participer à évangéliser le vrac auprès du public », selon Olivier Dauvers, qui cite aussi la loi climat, en France, qui contraint les grandes enseignes à dédier un cinquième de leur surface de vente à des produits sans emballage d'ici à 2030.
En attendant, à Lausanne, François Maden dit vouloir se mettre à livrer à domicile et entend investir dans un véhicule dans ce cadre. Pas question pour elle de collaborer avec une société de livraison car la démarche est jugée trop coûteuse.
« Il y a eu des mauvaises publicités, qui ont faussé l'image du vrac et cassé la confiance de la clientèle »
OLIVIER RICHARD, FONDATEUR DE CHEZ MAMIE
MARC GUÉNIAT; DUC-QUANG NGUYEN; SANDRA PERNET , ET (HEIDI.NEWS) @duc_qn
MILCH-LAIT-LATTE FILES Des données inédites révèlent que les deux géants orange engrangent une marge considérable sur une gamme de produits laitiers. Ces marges sont bien supérieures aux niveaux en vigueur à l'étranger
Les Laiteries Réunies de Genève, c'est quoi?COMMERCE La coopérative est le numéro 7 des transformateurs au niveau suisseOn ne saura sans doute jamais pourquoi des pirates ont décidé de cibler les Laiteries Réunies de Genève (LRG) pour leur dérober un volume de données considérable. Des données sensibles qui concernent à la fois ses 300 collaborateurs et ses activités commerciales et industrielles. Le directeur général, Dominique Monney, n'a pas répondu à nos questions écrites, expliquant par téléphone que les LRG ont souffert du hacking et ne souhaitent plus s'exprimer sur le sujet. Il entend se concentrer sur le travail des 100 producteurs et des 600 sociétaires de la coopérative.Neuf filialesFondées en 1911 à Plan-les-Ouates, les LRG sont actives dans les produits laitiers et carnés, le négoce et la logistique. Le groupe compte neuf filiales comme Del Maître, Val d'Arve ou Maître Boucher, surtout à Genève, mais aussi en Valais et à Berne, et des participations minoritaires auprès de fromagers. A l'exception du jambon Del Maître, de la tomme Jean-Louis ou des flans TamTam, que les LRG produisent elles-mêmes, ses marques phares sont achetées sous licence pour la Suisse auprès de groupes étrangers, comme Sojasun, Galbani et Perle de Lait.
Pour ces produits, les LRG agissent comme négociant ou comme producteur.L'ensemble des activités du groupe a généré un chiffre d'affaires de 146 millions de francs l'an dernier pour un profit de 61 000 francs. Cependant, certaines filiales réalisent des bénéfices supérieurs, certains pans du groupe étant plus rentables que d'autres.Un ancien cadre des LRG, demeuré dans le secteur laitier et souhaitant rester anonyme, explique que la coopérative a changé de stratégie à la fin des années 2000, à la suite de la rupture de son contrat avec Danone. Même si elles ont récupéré Yoplait, « les LRG se sont repliées sur le marché local, explique-t-il. Le groupe vend de très beaux produits, mais ne peut affronter la concurrence sur le plan des volumes » .De fait, celle-ci est vive sur le marché du lait. En 2018, les LRG ont commercialisé 16 millions de kilos de lait, ce qui les classe au 14e rang national, bien loin de géants comme le courtier Mooh ou Aaremilch et Cremo.
La coopérative genevoise se hisse au 7e rang des transformateurs, étant là aussi nettement distancée par Emmi, Cremo ou le groupe Elsa-Mifroma, qui appartient à Migros. M. GTCOOP ET MIGROS DÉGAGENT LES PLUS GRANDES MARGESCOÛTS DE PRODUCTION DE PLUS D'UN FRANC PAR LITREMIGROS ET COOP EMPOCHENT LES PLUS GRANDES MARGES GRÂCE À DES COÛTS D'ACHAT PLUS BASPrix du lait: marges grasses et vaches maigresCHIFFRES Le prix payé aux producteurs pour un litre de lait ne permet pas de couvrir les coûts de production. Plongée dans les méandres du calcul du prix du lait avec les premiers concernésSabine Bourgeois Bach se tient au centre de l'étable et regarde avec tendresse son troupeau de 160 vaches laitières. Ici, entre le Jorat et la Broye, dans le canton de Vaud, on produit du lait pour le gruyère AOP. Surnommée « Sabine a dit » dans la région en raison de ses compétences, elle parle innovation, efficience, calcul des coûts et prix du lait. « Notre métier est l'un des seuls qui ne rédigent pas de facture. On sait combien on est payé après avoir vendu notre production. C'est une habitude qui remonte vraisemblablement à l'époque du servage. » L'éleveuse-entrepreneuse de 54 ans n'hésite pas à comparer la situation des producteurs de lait à celle des serfs face à leur seigneur. Le servage n'a disparu dans la région qu'au cours du XVIIe siècle. Les serfs appartenaient au seigneur par leur travail et les impôts dont ils devaient s'acquitter. « Aujourd'hui encore, on attend qu'on nous donne ce que l'on veut bien nous donner, poursuit Sabine Bourgeois Bach. C'est une erreur fondamentale. » La question du prix du lait et de la complexité de son calcul est une question de survie pour les fermes laitières, qui continuent à disparaître chaque année. De fait, le prix du lait est fixé non pas en fonction des coûts de production, mais de l'usage qui en est fait, décision sur laquelle l'éleveur n'a aucune prise.L'agricultrice pousse un tas de foin vers l'une de ses bêtes, qui s'empresse de le dévorer. De grands ventilateurs apportent un peu d'air à l'intérieur alors que les champs autour de la ferme sont écrasés par le soleil de l'après-midi. « Elles devraient être dans les pâturages, mais on doit les garder au frais. Chaque année, c'est pire. Il faudra une climatisation. » Un investissement de plus à prévoir.Sabine Bourgeois Bach fait partie d'European Dairy Farmers (EDF), un club international qui favorise l'échange d'expériences et de connaissances entre les producteurs laitiers. A ce titre, elle sait précisément quels sont ses coûts de production. En 2021, un litre de lait à la ferme du Naz coûtait 106,5 centimes à produire.Or le prix payé au producteur pour un litre de lait destiné à la production de gruyère AOP s'élevait en avril à 84,05 centimes, ce qui inflige à notre agricultrice un déficit de 21%. Et encore, il s'agit du lait le mieux payé en Suisse, beaucoup de producteurs ne touchent pas plus de 65 centimes. « Ces chiffres paraissent aberrants, dénonce l'agricultrice. Et pourtant, nous avons des coûts bas, car nous avons optimisé notre structure. La plupart de nos collègues de la Gruyère sont à 120 centimes le litre. » Berthe Darras, spécialiste du lait chez Uniterre, a publié, en 2020, un rapport détaillé sur le marché laitier. Comment les paysans parviennent-ils à s'en sortir? « La différence entre les coûts de production et le prix du lait est comblée par les paiements directs [subventions, ndlr], les activités annexes, le travail de la famille, les semaines de 80 heures et les emplois annexes du ou de la conjointe. » Selon le rapport, les paiements directs, qui sont des subventions fédérales, représentent en moyenne 23 à 44% du revenu des fermes laitières.Jean-Bernard Chevalley, producteur et élu UDC à Puidoux, vend son lait de vache à Mooh, le plus important acheteur de lait. Il touche 70 centimes par litre. S'il s'en sort, c'est grâce aux paiements directs et surtout en transformant lui-même son lait de brebis en fromage, yogourts et glaces. « C'est un scandale que les agriculteurs qui travaillent sans relâche soient aussi peu payés, s'insurge Mark Froelicher, directeur d'eXMAR, une société qui aide les PME à commercialiser leurs produits et spécialiste du milieu laitier. Sans les subventions, beaucoup de producteurs disparaîtraient et la production suisse ne suffirait plus. » A 6 km de la ferme du Naz, en terres fribourgeoises, se trouve un pionnier du lait équitable. Claude Demierre, 62 ans, affiche à l'entrée de sa ferme un panneau pour le lait à un franc. Il termine le travail de la matinée dans son étable. Ses 46 vaches sont bien installées à l'ombre. « Je me lève à 4h45 tous les jours depuis 1978. Je travaille en moyenne 70 à 80 heures par semaine, avec des pics à 100 heures. Si on comptait nos heures de travail, les coûts doubleraient. » Seule 10% de sa production est vendue comme lait équitable. Si bien qu'au mois d'avril 2022 il a touché en moyenne 60 centimes par litre. « Ce n'est pas la durée du travail qui est importante, ajoute-t-il, mais la rémunération qui est insuffisante. Ce qui est donné pour des prestations accessoires sert en vérité à faire survivre l'exploitation principale. Ce système est un cercle vicieux qui mène l'agriculteur à sa perte. » Les paiements directs lui apportent un complément, qu'il juge insatisfaisant. Car les subventions fédérales, issues des impôts payés par les contribuables suisses, rémunèrent des services d'intérêt général fournis par les agriculteurs (entretien du paysage, protection de l'environnement, etc.); elles ne sont pas liées à la production. « Nous sommes les jardiniers du pays à 5 francs de l'heure et en plus, aucune reconnaissance pour les efforts que nous faisons pour l'environnement et la protection des animaux. » Les agriculteurs interrogés se rejoignent sur ce point. Ils refusent de dépendre de l'argent public pour faire tourner leur exploitation et veulent recevoir un prix qui couvre leurs frais de production. Pour eux, le noeud du problème, ce sont les distributeurs. « Ce n'est jamais la grande distribution qui rogne ses marges, explique Jean-Bernard Chevalley. Le coût est reporté sur les autres acteurs de la chaîne: consommateur, producteur et transformateur. » Une augmentation pour du beurreCette année 2022 a été marquée par une hausse exceptionnelle du prix d'achat en raison de l'inflation. Pour le lait de centrale (dit aussi lait industriel), les producteurs reçoivent 5 centimes de plus par litre depuis mi-avril, alors que les augmentations des années précédentes ne dépassaient pas 2 centimes. En contrepartie, les prix sont bloqués jusqu'à la fin de l'année.Dans le même temps, les coûts du diesel, des engrais ou du fourrage ont explosé. Résultat: les producteurs toucheront moins que l'an passé. Sabine Bourgeois Bach, à Carrouges, est écoeurée: « Cette augmentation ne couvre pas la hausse des coûts, qui va s'accélérer d'ici à la fin de l'année. » Les perspectives ne sont pas réjouissantes. Les coûts de production vont continuer d'augmenter et les producteurs qui jettent l'éponge sont de plus en plus nombreux. De fait, la production n'a pas augmenté proportionnellement à la population. Pour Claude Demierre, des pénuries de produits laitiers, comme celle de beurre l'an passé, ne sont plus inenvisageables. « Tant que les gens peuvent remplir leur caddie, ils ne se posent pas de questions. Mais ça pourrait ne pas durer. » M. GT, D.-Q. N. ET S. PE.
« Aujourd'hui encore, on attend qu'on nous donne ce que l'on veut bien nous donner »
SABINE BOURGEOIS BACH, AGRICULTRICE
ÉCARTS Plus ou moins 20 centimes Le lait de centrale, celui qui est transformé par l'industrie, est acheté à trois prix différents: A, B et C, qui en avril étaient respectivement à 75,5, 67,7 et 52,7 centimes. Ce sont exactement les mêmes laits, la seule chose qui les différencie, c'est ce que l'on en fait: des produits à haute ou basse valeur ajoutée, pour le marché suisse ou pour l'exportation. Le paysan n'a aucune influence sur ce choix.De ce fait, le lait d'un même producteur sera divisé entre les catégories A et B, selon les besoins de l'industrie. Cette répartition varie d'un mois à l'autre et l'agriculteur ne découvre son revenu qu'à la réception du paiement, le mois suivant.
Il existe un point commun entre la tomme vaudoise du crémier, la célèbre mozzarella di latte di bufala Galbani et le yaourt végétal Sojasun à la myrtille. Ces trois gourmandises sont produites ou commercialisées par les Laiteries Réunies de Genève (LRG), une coopérative active sur le marché national (lire ci-dessous). S'il est facile de connaître leur prix de vente et de le comparer de magasin en magasin, la chaîne de valeur n'est jamais communiquée. Combien engrangent Migros et Coop en revendant cette tomme? Que perçoit le producteur de lait? Comment est rémunérée la transformation de la matière première? Le silence est d'or autour de ces questions.
Dans le commerce de détail, les marges des grandes enseignes sont un secret bien gardé. S'y ajoute, dans le domaine alimentaire, une concentration unique en Europe: les deux géants orange se partagent 76,8% de la consommation suisse, pour 22,9 milliards de francs en 2020, selon l'Office fédéral de l'agriculture. Les discounters, comme Lidl et Aldi, ou les épiceries se répartissent le solde. A lui seul, Migros écoule 20% de la production agricole du pays.
Des données d'intérêt public
Début avril, les serveurs des LRG ont été piratés et certaines données ont été diffusées sur le darknet. Heidi.news et Le Temps ont choisi d'en révéler une infime partie, en raison de l'intérêt public que ces données revêtent; elles lèvent une partie du voile sur les marges des grands distributeurs, comme Migros et Coop. Et mettent en évidence le déséquilibre entre ces marges, les plus élevées d'Europe, et la situation précaire des producteurs de lait, qui produisent à perte et ne survivent que grâce aux subventions - c'est-à-dire nos impôts. Car tel que fixé, le prix du lait ne couvre pas les coûts de production. Chaque année depuis vingt ans, le nombre d'exploitations diminue.
D'après Stefan Meierhans, le Monsieur Prix de la Confédération, « s'intéresser aux marges réalisées dans le secteur alimentaire revêt un intérêt public prépondérant. Car si les Suisses y consacrent une part modeste de leur budget [6,4%, ndlr], la nourriture reste un poste important pour les moins fortunés. » Ses services mènent une enquête sur les prix et les marges du secteur en lien avec la vente de produits bios. Une transparence d'autant plus justifiée en période d'inflation, estime Sophie Michaud Gigon, secrétaire générale de la Fédération romande des consommateurs.
Des marges « très disproportionnées »
C'est ce que pense aussi Anastasia Li, directrice de Promarca, une association qui regroupe 104 marques clientes de la grande distribution, dont un tiers touchent aux produits laitiers, comme le fromager Emmi: « A ma connaissance, de telles informations n'ont jamais été publiées officiellement. Il est important que les médias évoquent les marges de la distribution. » Sondés chaque année, ses membres estiment à une nette majorité que les marges de Migros et Coop sont « disproportionnées », voire « très disproportionnées » .
A partir des données des LRG, nous avons analysé 77 produits vendus sur les étals des grandes enseignes. Résultat: les marges brutes atteignent en moyenne 57% chez Coop, 46% chez Migros, 35% chez Aligro et 34% chez Manor. Pour parvenir à ces pourcentages, nous avons comparé le prix auquel les distributeurs achètent les produits aux LRG aux prix de vente dans leurs magasins. Cette démarche a été possible parce que les données concernent les prix actuels, tels que négociés entre mars et avril notamment. Les détaillants commercialisant moins de dix produits, comme Denner ou Volg, ont été exclus de l'échantillon. La comparaison des marges est limitée par le fait que le panier de produits n'est pas identique entre les détaillants. Il s'agit de marges brutes, qui mesurent la différence entre le prix d'achat et le prix de vente sans tenir compte des coûts. Selon les experts consultés, ce critère reste le plus pertinent pour comparer les distributeurs.
En fonction des stratégies commerciales, un même produit peut être vendu à un prix bien différent. Grâce à un contrat de licence conclu avec le groupe français Triballat Noyal, les LRG achètent le paquet de quatre Sojasun à la myrtille pour 1,21 franc. Il est aussitôt revendu 1,70 franc à Coop, qui le facture 3,35 francs au consommateur, empochant au passage une marge de 92%. A l'inverse, Aligro réalise une marge inférieure de moitié, proposant à sa clientèle une meilleure offre sur un produit acquis plus cher. Manor achète encore plus cher mais propose aussi un prix inférieur à celui de Coop.
Dans la même veine, Migros obtient ses flans TamTam au chocolat suisse meilleur marché que Coop, mais les revend plus cher, pour une marge de 58%, contre 39% chez son grand concurrent. Revenons à l'emblématique tomme vaudoise du crémier, produite par les LRG et qu'il est difficile de rater dans les rayons des deux géants suisses de la distribution. Sur ce produit, Migros et Coop s'octroient une marge similaire, de plus de 66% - une performance commerciale à faire pâlir d'envie les marchés financiers. Cette tomme, et ses 45% de matières grasses, est en vente 25 centimes meilleur marché chez Migros, mais ce dernier parvient à l'acquérir à moindre prix auprès des Laiteries Réunies. Un signe de sa puissance sur le marché?
« A ma connaissance, de telles informations n'ont jamais été publiées officiellement »
ANASTASIA LI, DIRECTRICE DE PROMARCA
« Une marge d'environ 25% devrait suffire pour les produits laitiers »
MARK FROELICHER, COFONDATEUR D'EXMAR
Les Laiteries Réunies de Genève, c'est quoi?COMMERCE La coopérative est le numéro 7 des transformateurs au niveau suisseOn ne saura sans doute jamais pourquoi des pirates ont décidé de cibler les Laiteries Réunies de Genève (LRG) pour leur dérober un volume de données considérable. Des données sensibles qui concernent à la fois ses 300 collaborateurs et ses activités commerciales et industrielles. Le directeur général, Dominique Monney, n'a pas répondu à nos questions écrites, expliquant par téléphone que les LRG ont souffert du hacking et ne souhaitent plus s'exprimer sur le sujet. Il entend se concentrer sur le travail des 100 producteurs et des 600 sociétaires de la coopérative.Neuf filialesFondées en 1911 à Plan-les-Ouates, les LRG sont actives dans les produits laitiers et carnés, le négoce et la logistique. Le groupe compte neuf filiales comme Del Maître, Val d'Arve ou Maître Boucher, surtout à Genève, mais aussi en Valais et à Berne, et des participations minoritaires auprès de fromagers. A l'exception du jambon Del Maître, de la tomme Jean-Louis ou des flans TamTam, que les LRG produisent elles-mêmes, ses marques phares sont achetées sous licence pour la Suisse auprès de groupes étrangers, comme Sojasun, Galbani et Perle de Lait. Pour ces produits, les LRG agissent comme négociant ou comme producteur.L'ensemble des activités du groupe a généré un chiffre d'affaires de 146 millions de francs l'an dernier pour un profit de 61 000 francs. Cependant, certaines filiales réalisent des bénéfices supérieurs, certains pans du groupe étant plus rentables que d'autres.Un ancien cadre des LRG, demeuré dans le secteur laitier et souhaitant rester anonyme, explique que la coopérative a changé de stratégie à la fin des années 2000, à la suite de la rupture de son contrat avec Danone. Même si elles ont récupéré Yoplait, « les LRG se sont repliées sur le marché local, explique-t-il. Le groupe vend de très beaux produits, mais ne peut affronter la concurrence sur le plan des volumes » .De fait, celle-ci est vive sur le marché du lait. En 2018, les LRG ont commercialisé 16 millions de kilos de lait, ce qui les classe au 14e rang national, bien loin de géants comme le courtier Mooh ou Aaremilch et Cremo. La coopérative genevoise se hisse au 7e rang des transformateurs, étant là aussi nettement distancée par Emmi, Cremo ou le groupe Elsa-Mifroma, qui appartient à Migros. M. GTCOOP ET MIGROS DÉGAGENT LES PLUS GRANDES MARGESCOÛTS DE PRODUCTION DE PLUS D'UN FRANC PAR LITREMIGROS ET COOP EMPOCHENT LES PLUS GRANDES MARGES GRÂCE À DES COÛTS D'ACHAT PLUS BASPrix du lait: marges grasses et vaches maigresCHIFFRES Le prix payé aux producteurs pour un litre de lait ne permet pas de couvrir les coûts de production. Plongée dans les méandres du calcul du prix du lait avec les premiers concernésSabine Bourgeois Bach se tient au centre de l'étable et regarde avec tendresse son troupeau de 160 vaches laitières. Ici, entre le Jorat et la Broye, dans le canton de Vaud, on produit du lait pour le gruyère AOP. Surnommée « Sabine a dit » dans la région en raison de ses compétences, elle parle innovation, efficience, calcul des coûts et prix du lait. « Notre métier est l'un des seuls qui ne rédigent pas de facture. On sait combien on est payé après avoir vendu notre production. C'est une habitude qui remonte vraisemblablement à l'époque du servage. » L'éleveuse-entrepreneuse de 54 ans n'hésite pas à comparer la situation des producteurs de lait à celle des serfs face à leur seigneur. Le servage n'a disparu dans la région qu'au cours du XVIIe siècle. Les serfs appartenaient au seigneur par leur travail et les impôts dont ils devaient s'acquitter. « Aujourd'hui encore, on attend qu'on nous donne ce que l'on veut bien nous donner, poursuit Sabine Bourgeois Bach. C'est une erreur fondamentale. » La question du prix du lait et de la complexité de son calcul est une question de survie pour les fermes laitières, qui continuent à disparaître chaque année. De fait, le prix du lait est fixé non pas en fonction des coûts de production, mais de l'usage qui en est fait, décision sur laquelle l'éleveur n'a aucune prise.L'agricultrice pousse un tas de foin vers l'une de ses bêtes, qui s'empresse de le dévorer. De grands ventilateurs apportent un peu d'air à l'intérieur alors que les champs autour de la ferme sont écrasés par le soleil de l'après-midi. « Elles devraient être dans les pâturages, mais on doit les garder au frais. Chaque année, c'est pire. Il faudra une climatisation. » Un investissement de plus à prévoir.Sabine Bourgeois Bach fait partie d'European Dairy Farmers (EDF), un club international qui favorise l'échange d'expériences et de connaissances entre les producteurs laitiers. A ce titre, elle sait précisément quels sont ses coûts de production. En 2021, un litre de lait à la ferme du Naz coûtait 106,5 centimes à produire.Or le prix payé au producteur pour un litre de lait destiné à la production de gruyère AOP s'élevait en avril à 84,05 centimes, ce qui inflige à notre agricultrice un déficit de 21%. Et encore, il s'agit du lait le mieux payé en Suisse, beaucoup de producteurs ne touchent pas plus de 65 centimes. « Ces chiffres paraissent aberrants, dénonce l'agricultrice. Et pourtant, nous avons des coûts bas, car nous avons optimisé notre structure. La plupart de nos collègues de la Gruyère sont à 120 centimes le litre. » Berthe Darras, spécialiste du lait chez Uniterre, a publié, en 2020, un rapport détaillé sur le marché laitier. Comment les paysans parviennent-ils à s'en sortir? « La différence entre les coûts de production et le prix du lait est comblée par les paiements directs [subventions, ndlr], les activités annexes, le travail de la famille, les semaines de 80 heures et les emplois annexes du ou de la conjointe. » Selon le rapport, les paiements directs, qui sont des subventions fédérales, représentent en moyenne 23 à 44% du revenu des fermes laitières.Jean-Bernard Chevalley, producteur et élu UDC à Puidoux, vend son lait de vache à Mooh, le plus important acheteur de lait. Il touche 70 centimes par litre. S'il s'en sort, c'est grâce aux paiements directs et surtout en transformant lui-même son lait de brebis en fromage, yogourts et glaces. « C'est un scandale que les agriculteurs qui travaillent sans relâche soient aussi peu payés, s'insurge Mark Froelicher, directeur d'eXMAR, une société qui aide les PME à commercialiser leurs produits et spécialiste du milieu laitier. Sans les subventions, beaucoup de producteurs disparaîtraient et la production suisse ne suffirait plus. » A 6 km de la ferme du Naz, en terres fribourgeoises, se trouve un pionnier du lait équitable. Claude Demierre, 62 ans, affiche à l'entrée de sa ferme un panneau pour le lait à un franc. Il termine le travail de la matinée dans son étable. Ses 46 vaches sont bien installées à l'ombre. « Je me lève à 4h45 tous les jours depuis 1978. Je travaille en moyenne 70 à 80 heures par semaine, avec des pics à 100 heures. Si on comptait nos heures de travail, les coûts doubleraient. » Seule 10% de sa production est vendue comme lait équitable. Si bien qu'au mois d'avril 2022 il a touché en moyenne 60 centimes par litre. « Ce n'est pas la durée du travail qui est importante, ajoute-t-il, mais la rémunération qui est insuffisante. Ce qui est donné pour des prestations accessoires sert en vérité à faire survivre l'exploitation principale. Ce système est un cercle vicieux qui mène l'agriculteur à sa perte. » Les paiements directs lui apportent un complément, qu'il juge insatisfaisant. Car les subventions fédérales, issues des impôts payés par les contribuables suisses, rémunèrent des services d'intérêt général fournis par les agriculteurs (entretien du paysage, protection de l'environnement, etc.); elles ne sont pas liées à la production. « Nous sommes les jardiniers du pays à 5 francs de l'heure et en plus, aucune reconnaissance pour les efforts que nous faisons pour l'environnement et la protection des animaux. » Les agriculteurs interrogés se rejoignent sur ce point. Ils refusent de dépendre de l'argent public pour faire tourner leur exploitation et veulent recevoir un prix qui couvre leurs frais de production. Pour eux, le noeud du problème, ce sont les distributeurs. « Ce n'est jamais la grande distribution qui rogne ses marges, explique Jean-Bernard Chevalley. Le coût est reporté sur les autres acteurs de la chaîne: consommateur, producteur et transformateur. » Une augmentation pour du beurreCette année 2022 a été marquée par une hausse exceptionnelle du prix d'achat en raison de l'inflation. Pour le lait de centrale (dit aussi lait industriel), les producteurs reçoivent 5 centimes de plus par litre depuis mi-avril, alors que les augmentations des années précédentes ne dépassaient pas 2 centimes. En contrepartie, les prix sont bloqués jusqu'à la fin de l'année.Dans le même temps, les coûts du diesel, des engrais ou du fourrage ont explosé. Résultat: les producteurs toucheront moins que l'an passé. Sabine Bourgeois Bach, à Carrouges, est écoeurée: « Cette augmentation ne couvre pas la hausse des coûts, qui va s'accélérer d'ici à la fin de l'année. » Les perspectives ne sont pas réjouissantes. Les coûts de production vont continuer d'augmenter et les producteurs qui jettent l'éponge sont de plus en plus nombreux. De fait, la production n'a pas augmenté proportionnellement à la population. Pour Claude Demierre, des pénuries de produits laitiers, comme celle de beurre l'an passé, ne sont plus inenvisageables. « Tant que les gens peuvent remplir leur caddie, ils ne se posent pas de questions. Mais ça pourrait ne pas durer. » M. GT, D.-Q. N. ET S. PE. « Aujourd'hui encore, on attend qu'on nous donne ce que l'on veut bien nous donner » SABINE BOURGEOIS BACH, AGRICULTRICEÉCARTSPlus ou moins 20 centimesLe lait de centrale, celui qui est transformé par l'industrie, est acheté à trois prix différents: A, B et C, qui en avril étaient respectivement à 75,5, 67,7 et 52,7 centimes. Ce sont exactement les mêmes laits, la seule chose qui les différencie, c'est ce que l'on en fait: des produits à haute ou basse valeur ajoutée, pour le marché suisse ou pour l'exportation. Le paysan n'a aucune influence sur ce choix.De ce fait, le lait d'un même producteur sera divisé entre les catégories A et B, selon les besoins de l'industrie. Cette répartition varie d'un mois à l'autre et l'agriculteur ne découvre son revenu qu'à la réception du paiement, le mois suivant.
Illustration(s) :
Claude Demierre, agriculteur à Ecublens (FR): « Si on comptait nos heures de travail, les coûts doubleraient. »
Sabine Bourgeois Bach, agricultrice à Carrouge (VD): « Notre métier est l'un des seuls qui ne rédigent pas de facture. » A droite: ses vaches. (PHOTOS: EDDY MOTTAZ/LE TEMPS)
La future loi sur la protection des données divise les experts
ANOUCH SEYDTAGHIA
TECHNOLOGIE Mercredi, le Conseil fédéral a tranché: la future loi sur la protection des données entrera en vigueur le 1er septembre 2023. Trois experts analysent d'un oeil critique le texte de la législation à venir, moins contraignant que le RGPD européen
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Cette fois, c'est officiel: c'est le 1er septembre 2023 qu'entrera en vigueur la nouvelle loi sur la protection des données. C'est donc dans un an que la Suisse sera dotée d'une législation modernisée. Esquissée par les autorités en mars, la date de septembre 2023 a été définitivement validée par le Conseil fédéral mercredi, qui en a profité pour faire quelques adaptations à la suite d'une procédure de consultation. Des experts, contactés par Le Temps, jugent sévèrement ce texte.
D'abord, le contexte. La loi actuellement en vigueur date de... 1992. Il aura donc fallu attendre trente et un ans pour sa révision. Sa mise en route date de 2011, mais le parlement ne l'a adoptée qu'en septembre 2020. Depuis, le Conseil fédéral n'a eu de cesse de dire qu'il fallait laisser du temps aux entreprises pour s'adapter au nouveau cadre. Il leur reste donc encore un an.
Nouvelles obligations
Les nouveautés sont nombreuses. « La loi prévoit de nouvelles obligations pour la personne responsable du traitement des données, comme une obligation de notification en cas de violation de sécurité, et introduit des principes de protection des données par défaut et dès la conception, concepts qui n'étaient pas présents dans l'ancienne loi », résume Juliette Ancelle, avocate spécialisée dans la propriété intellectuelle et la technologie.
Les entreprises suisses seront concernées de près. « Elles devront allouer davantage de moyens à la protection des données, pour recenser les données qu'elles traitent, comprendre les flux de données, s'assurer qu'elles sont en mesure de respecter les droits des personnes concernées. Elles devront aussi documenter tous les traitements et les transferts des données à l'étranger et assurer la sécurité de leurs systèmes de traitement », poursuit Juliette Ancelle. L'experte prévient: « C'est une activité qui prend beaucoup de temps et qui requiert un certain degré de spécialisation, ce qui peut vite représenter un coût important pour des PME. L'ordonnance semble alléger certaines obligations pour ces dernières (notamment l'obligation de tenir un registre des données), mais cela ne signifie pas qu'elles n'auront aucune mesure à adopter. »
Paul-Olivier Dehaye, directeur de Hestia.ai, la société qui gère le projet HestiaLabs, spécialisée dans les données, estime qu' « une mise à jour complète de la connaissance dans ces domaines et un changement de nombreuses pratiques sont plus que jamais nécessaires et urgents pour les entreprises n'ayant pas encore entamé cette démarche » . Son collègue chez Hestia.ai Yann Heurtaux avertit: avec la nouvelle loi, « le risque lié à la sous-traitance de services numériques pour les entreprises qui souhaitent être exemplaires augmente fortement » . Yann Heurtaux estime qu'il faut par exemple « cartographier tous les outils numériques internes et externes de son entreprise, et tenir cette cartographie à jour », mais aussi renoncer aux services tiers en infraction avec l'esprit et la lettre de la loi, pour préférer des acteurs locaux (suisses ou européens). « Et enfin cesser définitivement la collecte de certaines données sensibles, pour s'en tenir à la frugalité la plus stricte », conclut le spécialiste.
La future loi suisse a souvent été décrite comme une sorte de version allégée du RGPD européen. Que pensent les experts? « Cette nouvelle loi reprend de nombreux concepts du RGPD, jusque dans la terminologie, et l'objectif est d'ailleurs une compatibilité avec ce dernier. La différence principale réside dans le régime de mise en oeuvre et les sanctions en cas de non-conformité, la nouvelle loi suisse ne prévoyant par exemple pas des amendes en pourcentage du chiffre d'affaires global, comme c'est le cas du RGPD », répond Juliette Ancelle. En Suisse, l'amende maximale sera de 250 000 francs contre un individu au sein d'une entreprise, mais pas contre celle-ci.
Davantage de protection
Pour Paul-Olivier Dehaye, « c'est un RGPD avorté. Un simulacre d'obligations essayant de copier le RGPD, mais ne procurant pas le minimum essentiel pour assurer une base de confiance et essayer de construire une nouvelle économie de la donnée. »
De son côté, Juliette Ancelle estime que « par rapport à la loi actuelle, les internautes suisses bénéficieront d'un régime légal plus favorable, avec des nouveaux droits, un régime de droit d'accès à leurs données facilité, une plus grande transparence en cas de cyberattaques, etc. La question se posera toutefois de savoir si cela est suffisant et si une loi nationale, visant uniquement la protection des données personnelles, est un outil adéquat à l'ère du big data et de la globalisation des échanges de données »
« Vu les nouvelles obligations, la loi pourra vite représenter un coût important pour des PME »
JULIETTE ANCELLE, AVOCATE
« C'est un simulacre d'obligations essayant de copier le RGPD mais ne procurant pas le minimum »
PAUL-OLIVIER DEHAYE, DIRECTEUR DE HESTIA.AI
Le Temps
Economie, samedi 12 mars 2022 891 mots, p. 17
Négocier un contrat cloud? « Un cauchemar! »
ANOUCH SEYDTAGHIA
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TECHNOLOGIE Alors que Berne est en train de conclure des contrats avec Amazon, Microsoft et Alibaba, des spécialistes de la Confédération ont raconté, vendredi, comment un contrat de 133 millions avait été signé, dans la douleur, avec SAP
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@Anouch
C'est un éclairage rare sur les négociations entre d'un côté la Confédération, et de l'autre un géant mondial de la technologie. Vendredi, l'Université de Lausanne organisait une demi-journée de conférence sur le cloud. L'occasion, pour des représentants du Département fédéral des finances (DFF), de raconter de manière détaillée les négociations aux contours surréalistes avec SAP, le géant allemand des logiciels de gestion. Ce témoignage permet de nourrir le débat sur les contrats cloud que la Confédération est actuellement en train de signer avec Microsoft, Oracle, Amazon, Alibaba et IBM.
Le 29 janvier 2021, la Confédération annonçait la conclusion de plusieurs contrats avec SAP d'un total de 133 millions de francs, sur dix ans, pour utiliser ses solutions de gestion dans le cloud pour les ressources humaines, les achats, ou encore les finances. Mais avant cela, les négociations ont été difficiles. « SAP nous a envoyé près de 500 pages de documents contractuels, qui faisaient très souvent référence à des annexes. Or SAP se réservait le droit de modifier une partie de ces annexes... Ce n'était pas très rassurant. Et certaines phrases comportaient tellement de références à des annexes qu'elles étaient totalement incompréhensibles. C'était un cauchemar », raconte Angelika Spiess, avocate au service juridique du Secrétariat général au DFF.
Phrases incompréhensibles
Impossible, pour Angelika Spiess d'accepter cela. « J'ai lu ces phrases incompréhensibles aux responsables de SAP. S'ils ne pouvaient pas me les expliquer en trois secondes, ils devaient les modifier. Et ils ont accepté de le faire », poursuit-elle. Mais les négociations se sont faites sous pression, SAP voulant les boucler avant le 31 décembre. « Six semaines pour négocier de tels contrats, c'était très court. Je me souviens d'une séance qui s'est terminée le 24 décembre à 2h du matin. Mais nous avons réussi à les achever le 29 décembre », complète Alexander Strecker, chef de groupe de projets au DFF.
La dizaine de négociateurs de la Confédération a analysé tous les détails, assure Angelika Spiess: « Nous avons fait une analyse complète des risques: la portabilité des données sera-t-elle possible? Quelle sera la dépendance envers SAP? Quels sont les risques d'espionnage économique? » Le DFF a eu des résultats, affirme la responsable. « Nous avons obtenu le principe, dans le contrat-cadre, que les données soient stockées en Suisse et SAP doit nous dire précisément où sont les serveurs et où se trouvent les copies de sauvegardes. Si SAP travaille avec un « hyperscaler » [un prestataire cloud global, ndlr] pour les données liées aux ressources humaines, il doit nous dire qui c'est. »
Lors de la même conférence organisée par le Centre du droit de l'entreprise de l'Université de Lausanne (Cedidac), un avocat, Alexandre Jotterand, a parlé des relations compliquées avec les multinationales du cloud. « L'exemple de la Confédération le montre bien, il est extrêmement difficile, même lorsque l'on est un gros client, d'influer sur les contrats. Il faut souvent vivre avec un contrat pas assez complet, pas très bien ficelé, car ces géants du cloud veulent limiter leur responsabilité en cas de problème. »
Pour l'avocat spécialiste des données, ces contrats sont d'autant plus difficiles à négocier que les géants du cloud ont un rôle qui évolue: « Ils peuvent héberger les données, puis se charger de leur traitement, puis même devenir une sorte d'auxiliaire du mandataire pour traiter les données... D'où l'importance, dans les contrats, de bien définir cela. » Mais comme Alexandre Jotterand le souligne, ce sont souvent des contrats standard qui sont soumis par les géants du cloud. « En plus, ils se réfèrent à des documents qui se trouvent sur leurs sites web et qui sont susceptibles de changer à tout moment... » poursuit le spécialiste.
Préparer le départ
Alexandre Jotterand avertit d'un autre problème potentiel: « Faites attention à bien spécifier comment quitter votre prestataire cloud. Car très souvent, les obstacles sont nombreux et les coûts pour récupérer ses données peuvent être très importants. »
Où en est le projet de la Confédération de confier ses données à Microsoft, Oracle, Amazon, Alibaba et IBM? Le 1er mars dernier, la Chancellerie affirmait justement qu'elle préparait actuellement les contrats avec les cinq fournisseurs précités. Contactée vendredi, la Chancellerie expliquait, via un porte-parole, que les contrats n'étaient pas encore achevés: « Les projets qui seront ensuite réalisés par les départements se baseront sur ces travaux. Il n'y a donc pas plus de détails à ce sujet à l'heure actuelle. » Le porte-parole poursuit: « Les départements concernés seront ensuite compétents - dans le cadre des bases à élaborer - pour décider si et quelles prestations de cloud public ils souhaitent acquérir. »
Ces négociations ont lieu alors que cette semaine le Conseil national a voté un texte visant à privilégier les fournisseurs suisses par rapport aux étrangers lors d'achats technologiques critiques. Comme le relevait le site spécialisé ICT Journal, la motion de la conseillère nationale Ida Glanzmann-Hunkeler (Centre/LU), combattue par le Conseil fédéral, stipule que pour certains services de l'Etat la Suisse devrait être indépendante des fournisseurs ou des Etats étrangers.
500 C'est le nombre de pages des documents contractuels envoyés par SAP à la Confédération.
133 C'est, en millions de francs, le montant du contrat de la Confédération avec SAP.