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Le Temps 24 juillet 2024
Les neurosciences à l'orée de la perception
STÉPHANY GARDIER
LA SF DANS TOUS SES ETATS (3/5) Le film culte de science-fiction « Matrix » posait, en 1999, une question existentielle sur notre conscience du monde. Les savants, eux, s'interrogent depuis des siècles. De récentes avancées cognitives ont amorcé une évolution
Est-ce un hasard si le premier opus de la quadrilogie Matrix a débarqué sur nos écrans en 1999? En cette année si particulière, antichambre du troisième millénaire, nos esprits n'étaient-ils pas particulièrement disposés à voir le monde sous un autre jour? A découvrir, au fil des aventures de Néo, que ce que nous nommons « réalité » n'est rien de plus qu'un conglomérat de programmes, destiné à nous rendre l'existence supportable? Après avoir vu ce film pour la première fois, n'avez-vous pas regardé l'arbre devant le cinéma ou le pigeon sur votre balcon comme jamais auparavant? Et si nous nous trompions tous? Et si nous étions au milieu d'un gigantesque programme?
Illusions d'optique
La perception, la « conscience » que nous avons du monde qui nous entoure, et par extension la nature de la réalité, a toujours été un sujet d'interrogation pour les scientifiques mais aussi les philosophes, théologiens et autres penseurs. Mais longtemps ces différentes disciplines n'ont pas dialogué. L'avènement des neurosciences cognitives il y a quelques décennies a amorcé une évolution. « Elles ont permis de faire un lien entre ce qui était purement biologique - les circuits de neurones, les processus cellulaires, la génétique, les interactions moléculaires - et ce que l'on nomme de manière plus large et abstraite la conscience. Depuis une vingtaine d'années il y a ainsi plus d'échanges interdisciplinaires sur ce vaste champ de recherche », relève Sami El-Boustani, professeur assistant au département des neurosciences fondamentales de l'Université de Genève (Unige).
« Au XIXe siècle déjà, le physicien et philosophe Ernst Mach formulait l'hypothèse que les neurones visuels produisent des représentations abstraites du monde sur la base de certaines illusions d'optique, rappelle Rava Azeredo da Silveira, professeur à l'Université de Bâle, directeur de recherche à l'Institut d'ophtalmologie clinique et moléculaire de Bâle (IOB) et à l'Ecole normale supérieure de Paris. Ce n'est que bien plus tard que l'étude de l'activité du cortex cérébral a montré qu'il y a dans le fonctionnement neuronal des limitations pouvant entraîner des distorsions des informations, et par conséquent créer ces illusions. »
Le cerveau reçoit des informations transmises par des capteurs dont la définition est limitée, il va donc en permanence chercher à compléter ces signaux. « Pour interpréter ce qu'il capte du monde extérieur, il fait des prédictions à partir de nos expériences personnelles et de notre contexte culturel ainsi que d'autres paramètres, tels que nos émotions », précise Sami El-Boustani. De quoi expliquer des perceptions très variables face à un même objet ou une même situation.
« Beaucoup de choses sont aujourd'hui connues sur la manière dont le cerveau traite les informations, sensorielles notamment, mais il n'y a pas encore vraiment une compréhension globale. Le concept de la « représentation » est très souvent utilisé, même s'il ne fait pas entièrement consensus, explique Patrik Vuilleumier, neurologue, directeur du Laboratoire de neurologie du comportement et d'imagerie de la cognition à l'Unige. Cette idée suppose que notre cerveau construit une représentation de notre environnement mais cette « construction » obéit en général à un but, optimiser nos actions sur le monde et in fine les chances de survie et de reproduction de l'espèce. »
Il y aurait donc de la sélection naturelle derrière les programmes que le cerveau utilise pour traiter et compiler la masse de données qui lui parvient. « Notre cerveau, comme les autres organes, est forcément le fruit de la sélection, nous disposons de toute une machinerie psychologique qui a évolué avec le temps et nos comportements sont le fruit de cette machinerie et de notre environnement. Mais il est intéressant de constater que la biologie de l'évolution dans le domaine des neurosciences n'a pas la même place dans tous les pays, et il y a encore beaucoup de courants qui la rejettent pour expliquer les comportements », précise Stéphane Debove, docteur en sciences cognitives, auteur de Pourquoi notre cerveau a inventé le bien et le mal (Editions Alpha Sciences), et créateur de la chaîne YouTube Homo Fabulus.
Professeur Hoffman et la réalité « cachée »
Si les connaissances scientifiques ont donc largement progressé au cours de ces 25 dernières années, les questions encore en suspens laissent de l'espace à certains scientifiques pour échafauder des théories alternatives, comme celle de Donald Hoffman, professeur de sciences cognitives à l'Université de Californie, dont la vision semble plus proche de celle des soeurs Wachowski, réalisatrices de Matrix, que de celle de ses confrères. « Les cerveaux et les neurones n'ont pas de puissance causale. Ils ne suscitent aucune de nos expériences sensorielles et aucun de nos comportements », tranchait-il en 2015 lors d'une conférence TED, intitulée « Do we see reality as it is? », dont la vidéo a été visionnée plus de 5 millions de fois sur YouTube.
https://www.youtube.com/watch?v=oYp5XuGYqqY
Les travaux de l'équipe d'Hoffman reposent sur des simulations de scénario d'évolution de différents organismes placés dans des environnements variés. Ils permettraient, selon le chercheur, de démontrer que si les humains sont encore sur Terre aujourd'hui, c'est justement parce qu'ils ne perçoivent pas la réalité: « Dans presque toutes les simulations, les organismes qui ne voient pas la réalité telle qu'elle est vraiment [...] poussent à l'extinction ceux qui voient la réalité telle qu'elle est », explique-t-il dans sa présentation TED.
Pour développer son argumentaire, le chercheur utilise une analogie qui parlera à tout le monde ou presque: le bureau d'un ordinateur. Celui-ci est une interface dont le but est de nous permettre d'utiliser l'outil, en nous cachant justement tout ce qui se passe derrière, que ce soit dans le software ou le hardware de l'ordinateur. « Regardez l'icône d'un texte de TED sur lequel vous travaillez. L'icône est bleue et rectangulaire et située en bas à droite de votre écran. Cela signifie-t-il que le document est lui aussi bleu, rectangulaire et en bas à droite de l'écran? Bien sûr que non », illustre Donald Hoffman dans sa conférence. On ne veut rien savoir de toutes ces diodes, et résistances et megabytes du logiciel. S'il fallait gérer tout cela, on ne pourrait jamais écrire un texte ou imprimer une photo. L'idée est que l'évolution nous a dotés d'une interface qui cache la réalité et guide nos comportements. L'espace et le temps, tels que vous les percevez, sont votre interface. Les objets physiques ne sont que des icônes sur votre bureau. »
Terre plate
Et il est vrai que la couleur par exemple n'est pas une propriété du monde physique mais bel et bien une perception. Les objets réfléchissent la lumière à des longueurs d'onde différentes que nous interprétons comme une couleur. Difficile cependant de démontrer que la théorie d'Hoffman, si séduisante et intrigante soit-elle, est tout à fait pertinente. Mais peut-être n'est-ce qu'une question de temps? Comme le fait remarquer à plusieurs reprises le scientifique dans sa conférence - comme pour anticiper les critiques -, nous avons longtemps cru que la Terre était plate « parce que c'est comme cela que nous la voyions ». Peut être aurons-nous donc un jour les outils et les connaissances nécessaires pour enfin comprendre que les soeurs Wachowski n'ont pas créé une oeuvre de science-fiction mais fait, avant tout le monde, l'expérience de la réalité telle qu'elle est vraiment.
LES CERVEAUX ET LES NEURONES NE SUSCITENT AUCUNE DE NOS EXPÉRIENCES SENSORIELLES
DONALD HOFFMAN, PROFESSEUR DE SCIENCES COGNITIVES À L'UNIVERSITÉ DE CALIFORNIE
SI LES HUMAINS SONT ENCORE SUR TERRE AUJOURD'HUI, CE SERAIT JUSTEMENT PARCE QU'ILS NE PERÇOIVENT PAS LA RÉALITÉ
vendredi 26 juillet 2024
Une pyramide qui fait couler beaucoup d'eau
DENIS DELBECQ
ÉGYPTOLOGIE Une équipe française suggère que la première pyramide monumentale d'Egypte aurait été construite grâce à une sorte d'ascenseur propulsé par de l'eau sous pression. Une hypothèse qui suscite la controverse avant même la parution officielle de l'article
En dépit de siècles de recherches, le mystère plane encore sur la manière dont les Egyptiens ont érigé les pyramides monumentales. Le consensus établit que les bâtisseurs avaient créé des rampes sur lesquels les blocs de roche étaient glissés grâce à la traction humaine. Une technique qui aurait été employée dès 2680 avant notre ère, pour bâtir la première des pyramides monumentales égyptiennes, qui culmine à 60 mètres de haut à Saqqarah, sur le complexe funéraire de Djéser, premier roi de la IIIe dynastie égyptienne.
Mais des travaux signés par une équipe française, acceptés en juin dernier par PLOS One, suggèrent une hypothèse très audacieuse: la pyramide de Djéser aurait été érigée - au moins en partie - en utilisant la force de l'eau, grâce à un réseau de conduites apportant l'eau d'une rivière intermittente (oued) au travers d'un ingénieux système de collecte et de traitement de l'eau. Selon les calculs des auteurs de ces travaux, la pression nécessaire au levage d'un flotteur portant les blocs de roche proviendrait de la déclivité entre l'oued et le site de la pyramide, qui aurait alimenté un ingénieux système de conduites et de puits.
Des millions de blocs de 300 kg
On doit cette hypothèse décoiffante au groupe constitué autour de Xavier Landreau, chercheur au Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et Guillaume Piton, hydraulicien à l'Institut français de recherche agronomique et environnementale (Inrae) au sein de l'Institut des géosciences de l'environnement de Grenoble. « Nos travaux sont en quelque sorte le produit de près de deux siècles d'articles, de recherches, d'excavations sur le site », explique Xavier Landreau, qui préside Paleotechnic, un institut privé et associatif de recherches cofondé en 2023 par des scientifiques de la recherche publique française.
L'étude ne repose donc pas sur de nouvelles fouilles, mais sur l'analyse de l'ensemble des découvertes faites sur le site, notamment au XXe siècle, expliquent les auteurs. « Notre modèle, réalisé à partir d'une cartographie des bassins-versants et de données hydromécaniques, laisse penser que la ressource en eau était suffisante au moment de la construction », avance Xavier Landreau. Celle-ci aurait duré une vingtaine d'années, au cours desquelles il a fallu hisser des millions de blocs de pierres de 300 kg chacun. « La pyramide aurait été construite comme un volcan, les blocs étant glissés vers le puits situé au centre de l'édifice puis hissés sur le monte-charge. » Puits considéré par beaucoup d'égyptologues comme un tombeau.
Un report de parution inexpliqué
Pour Xavier Landreau et ses collègues, l'eau était collectée depuis un barrage coupant le lit de l'oued, puis déversée dans une fosse creusée dans la roche, une succession de quatre bassins qui, pour les auteurs de ces travaux, est caractéristique par ce que l'on appelle un barrage à piège sédimentaire: chaque réservoir se déverse dans le suivant, piégeant au passage des sédiments. Considérée par certains égyptologues comme le vestige d'une carrière, cette fosse mesure 400 mètres de long, 27 mètres de profondeur et seulement trois mètres de large. « Une largeur aussi faible et ce qu'on sait d'autres carrières de l'époque antique nous font penser que ce n'est pas le cas. D'autant que le fond est dallé à l'aide de mortier, ce qui aurait pu servir à étanchéifier le dispositif. »
« Grâce au Français Jean-Philippe Lauer [décédé en 2001, ndlr], qui a fouillé le site pendant plus de soixante ans, on dispose d'un nombre impressionnant de cartes, plans et coupes du site. Il connaissait sûrement aussi bien la pyramide que l'architecte Imhotep qui l'a construite », sourit Xavier Landreau. De nombreuses galeries ont été découvertes sous le site, les dernières en 2007, qui pourraient être des conduites destinées à guider l'eau jusqu'au puits central.
Comme c'est à chaque fois le cas en matière d'égyptologie, la mise sur la table d'une nouvelle hypothèse sur les bâtisseurs de pyramides, est source de controverse. « On s'attend à des critiques, bien sûr, mais nos travaux reposent sur 150 références solides de la littérature, et nos résultats sont en accord avec tout ce qui a été publié pour ce site dans les domaines hydrologique, géologique et sédimentaire », souligne Xavier Landreau.
Le Temps a contacté une demi-douzaine d'égyptologues, notamment un spécialiste du site de Saqqarah, pour recueillir leur analyse de ces travaux inhabituels, teintés d'hydrologie, d'hydraulique et de géologie... Tous ont décliné, faute de temps - il faut dire que le papier, ardu, compte 29 pages. Mais l'un d'entre eux a pris soin d'ajouter qu'il se dit « surpris de l'intérêt que portent les journalistes à ces travaux ». Un autre a précisé qu'il juge l'hypothèse avancée par l'équipe française « absolument improbable ».
Plus étonnant, à moins de 24 heures de la publication prévue dans PLOS One, ce 24 juillet à 20h, à l'issue d'un long processus d'approbation et de relecture par les pairs, la revue a averti la presse la veille qu'elle différait sa publication sine die. Comme s'il se tramait des choses en coulisses. D'ordinaire, les polémiques éclatent après la publication! Compte tenu de cette situation insolite et pour faire date, les auteurs ont placé leur manuscrit sur le site Research Gate, qui accueille de nombreux travaux avant leur publication officielle.
« On s'attend à des critiques, bien sûr, mais nos travaux reposent sur des références solides »
XAVIER LANDREAU, CHERCHEUR AU COMMISSARIAT À L'ÉNERGIE ATOMIQUE
Pourquoi Coop ne connaît pas les affres de Migros
ALEXANDRE BEUCHAT
GRANDE DISTRIBUTION Alors que le géant orange est en pleine restructuration, son concurrent ne fait guère de vagues. Le détaillant bâlois a plusieurs longueurs d'avance sur son éternel rival.
Migros est dans la tourmente. Depuis l'annonce mardi dernier de l'accélération de sa restructuration, le géant de la distribution est au coeur de l'actualité et doit répondre régulièrement aux reproches selon lesquels il aurait « perdu son âme ». Pendant ce temps, son concurrent ne fait guère parler de lui. Coop navigue dans des eaux nettement plus calmes.
Le détaillant bâlois a réalisé l'an dernier un bénéfice de 575 millions de francs, en hausse de 2,1%, malgré le poids des investissements. De son côté, Migros a vu son bénéfice amputé par des corrections de valeur pour tomber à 175 millions, contre un résultat de 459 millions un an plus tôt. Surtout, Migros perd depuis plus d'une décennie des parts de marché substantielles dans son coeur d'activité: les supermarchés.
Structure simple et légère
Comment expliquer que Coop s'en sorte mieux que son rival? D'une part, le détaillant rhénan a une structure beaucoup plus simple et légère que celle de Migros. Dès 2001, il a fusionné les 14 sociétés régionales en une seule coopérative. Depuis lors, la centrale peut gérer les affaires dans toute la Suisse de manière ciblée et agile.
Conscient de la nécessité d'agir, Migros a créé en début d'année une société indépendante et centralisée, Supermarché SA. Cette nouvelle organisation est un subtil compromis entre le poids de la centrale à Zurich et celui des dix coopératives régionales. Les supermarchés Migros continuent d'être exploités par les coopératives régionales, mais en arrière plan, de nombreuses fonctions sont centralisées et allégées - des achats à la conception de nouveaux concepts de magasins, en passant par la logistique.
Pour autant, cette nouvelle organisation doit encore faire ses preuves. La structure de Migros reste nettement plus complexe que celle de son rival bâlois. Ainsi, le directeur général de Migros, Mario Irminger, continue à avoir une influence limitée sur les activités des coopératives.
De plus, Coop semble mieux paré pour affronter les nouveaux modes de consommation. Les courses hebdomadaires deviennent de plus en plus rares. Les consommateurs ont tendance à se rendre au supermarché du coin pour faire leurs courses après leur travail. Or, Migros n'a pas suivi cette évolution vers le commerce de proximité.
De son côté, Coop a accéléré son expansion depuis dix ans. Avec un réseau de 965 succursales à fin 2023, le cap des 1000 supermarchés devrait être atteint d'ici à fin 2025 ou début 2026, a indiqué le patron de Coop, Philipp Wyss, lors de la conférence de presse annuelle. L'avance de Coop est considérable sur ce plan. Le détaillant zurichois ne compte en effet que 639 magasins Migros. Il faudra beaucoup de temps pour combler ce retard.
Coop se démarque également dans sa stratégie à l'international. Le géant bâlois ne s'est pas lancé dans l'ouverture de supermarchés à l'étranger. Mais il a fait un choix judicieux en rachetant en 2011 le spécialiste du commerce de gros Transgourmet. La filiale a réalisé l'an dernier un chiffre d'affaires de 11,4 milliards de francs. Ce rachat lui a même permis de devancer Migros en termes de chiffre d'affaires, bien que celui-ci reste leader du commerce de détail en Suisse.
A l'inverse, le détaillant zurichois rencontre globalement moins de réussite dans ses activités à l'étranger, à l'image des déboires de Migros Zurich en Allemagne. La société avait racheté la chaîne de magasins bios Tegut en 2012. Mais l'aventure est en train de tourner au fiasco. Conséquence, la plus grande coopérative régionale du groupe accuse des chiffres rouges pour la deuxième année consécutive.
Filiales cherchent repreneurs
Coop connaît certes aussi des revers. Ses magasins spécialisés, Interdiscount et Fust, doivent affronter la concurrence du commerce en ligne. Le groupe a par ailleurs mis fin l'automne dernier à sa boutique en ligne Microspot. Le rachat de Jumbo en 2021 a en revanche été couronné de succès. L'opération lui a permis de devenir le leader incontesté du bricolage en Suisse. L'entité a été fusionnée avec sa propre marque Coop Brico & Loisirs, dont le nom a été abandonné.
Au final, alors que Migros est empêtré dans la plus grosse restructuration de son histoire et cherche à se débarrasser de nombreuses filiales (Hotelplan, Micasa, Bike World, Do it + Garden, SportX, Mibelle), Coop peut se concentrer sur son coeur de métier. Le détaillant rhénan s'efforce ainsi d'améliorer l'expérience achat, le rapport qualité-prix et son réseau de succursales. Conclusion: Migros a encore beaucoup de travail à accomplir pour rattraper son rival.
Coop semble mieux paré pour affronter les nouveaux modes de consommation
JUSTICE Le fondateur de WikiLeaks a quitté sa prison britannique pour se présenter devant un tribunal des îles Mariannes. Selon un accord, il plaidera coupable et devrait être relâché. Plusieurs raisons pourraient sous-tendre cette décision de l'administration Biden
Julian Assange devrait être définitivement libéré ce matin après avoir comparu devant un tribunal fédéral états-unien des îles Mariannes, territoire américain. L'Australien, fondateur de WikiLeaks, a conclu un accord avec la justice américaine par lequel il se reconnaît coupable de « complot pour obtenir et divulguer des informations relevant de la défense nationale ». La nouvelle constitue une surprise même si nombre d'organisations, dont des médias de renom comme The New York Times, The-Guardian, Le Monde, Der Spiegel et El Pais, avaient exhorté l'administration du démocrate Joe Biden à abandonner les charges contre lui.
Pressions australiennes
Si les procureurs en charge du dossier se disent prêts à limiter la peine à 5 ans de prison, ils précisent aussi que Julian Assange en a déjà passé 5 dans la prison de haute sécurité de Belmarsh à Londres et qu'il pourrait de fait être immédiatement libéré. Un juge doit encore approuver l'accord trouvé entre les deux parties, mais il est probable que le lanceur d'alerte soit en mesure de retourner dans son pays, l'Australie, peu après l'annonce de la sentence.
Difficile de dire à ce stade quelles ont été les raisons profondes ayant amené les Etats-Unis à faire volte-face alors qu'ils ont longtemps martelé l'impérative nécessité de faire extrader Julian Assange. Il avait en effet mis la main sur plus de 700 000 documents diplomatiques et de sécurité nationale couverts par le secret et en avait publié une partie sur sa plateforme Wiki-Leaks. Il y a bien sûr la pression déjà évoquée de nombre d'organisations et de médias. Il y a aussi celle exercée par le gouvernement australien lui même, un allié des Etats-Unis depuis longtemps, en particulier dans le cadre du partenariat AUKUS entre Canberra, Londres et Washington. Il y a aussi les risques que pouvait représenter une extradition vers les Etats-Unis. Un tel cas de figure aurait mis à mal la crédibilité de la justice états-unienne dont la main aurait été trop lourde au vu des charges qui pesaient contre Assange (passible de 175 ans de prison), mais aussi sapé l'assise du sacro-saint Premier Amendement de la Constitution américaine qui garantit la liberté d'expression. En pleine campagne électorale, Joe Biden risquait de fâcher une nouvelle fois l'aile gauche de son parti.
Conditions inhumaines
Sa libération met un terme à des conditions de détention inhumaines que le Suisse Nils Melzer, alors rapporteur spécial des Nations unies, avait qualifié de « torture ». Le prévenu était maintenu en isolement cellulaire 23h/24. Il n'avait droit qu'à une heure pour faire seul de l'exercice dans la cour de la prison.
En fin de compte, tant les Etats-Unis que la Grande-Bretagne et bien sûr le fondateur de Wiki-Leaks ont intérêt à ce que ce triste épisode connaisse enfin son épilogue. Ancien ambassadeur au sein de l'administration de Barack Obama et ex-procureur en chef du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, Stephen Rapp le souligne: « Je salue la résolution de ce cas qui aurait dû intervenir plus tôt. Le crime commis par Assange ne justifiait pas la prison à vie. »
Demeurent toutefois les zones d'ombre autour de Julian Assange, qui dit vouloir demander un pardon au président américain. Si ce dernier a servi le bien commun en révélant à travers les câbles de WikiLeaks de possibles crimes de guerre commis par les Etats-Unis en Irak, il a joué un rôle beaucoup plus trouble dans la présidentielle américaine de 2016 qui opposait la démocrate Hillary Clinton à Donald Trump. Le rapport établi par le procureur spécial Robert Mueller qui avait enquêté sur l'interférence de la Russie dans la campagne électorale avait clairement établi une collaboration entre WikiLeaks, Roger Stone, un proche du candidat Donald Trump, et la Russie. Le fondateur de WikiLeaks avait même exposé publiquement son dégoût pour Hillary Clinton. Au vu des conséquences que l'élection de Trump a eues sur les Etats-Unis, on peut mesurer les effets néfastes de la publication d'e-mails de la campagne d'Hillary Clinton sur la politique américaine. A ce moment, la campagne de Donald Trump n'avait pas subi la moindre intrusion de la part de WikiLeaks.
« Il fallait caviarder certains documents »
Stephen Rapp ajoute: « Ce qui est le plus problématique avec Assange tient au fait qu'il ne s'est pas soucié de protéger les sources et les témoins contenus dans les câbles de Wiki-Leaks. Certaines personnes ont été mises dans des situations dangereuses. Une partie des documents diffusés par Wiki-Leaks aurait pu être caviardée. En cela, une action en justice contre Assange était justifiée. » Quant au vol d'informations classifiées, rappelle l'ex-ambassadeur, c'est un crime sérieux outre-Atlantique. On le voit avec l'affaire Trump et les documents classifiés qu'il a emportés à Mara-Lago. On l'a vu avec les informations confidentielles qu'avait transmises le général Petraeus à sa maîtresse. « Ce qu'il faut en la circonstance éviter à tout prix, conclut Stephen Rapp, c'est de criminaliser le journalisme. Sans parler d'Assange, on ne peut pas condamner des journalistes parce qu'ils révèlent des vérités dérangeantes pour le pouvoir. »
« Le crime commis par Julian Assange ne justifiait pas la prison à vie »
STEPHEN RAPP, EX-PROCUREUR EN CHEF DU TRIBUNAL SPÉCIAL POUR LA SIERRA LEONE
Le Temps
Débats, mardi 28 mai 2024
La paix en Ukraine: que s'est-il passé à Istanbul?
FRANÇOIS NORDMANN
ANCIEN DIPLOMATE, CHRONIQUEUR
Si la guerre se prolonge en Ukraine, c'est la faute des puissances occidentales. Boris Johnson, premier ministre britannique, et les responsables américains auraient fait échouer un traité de paix que la Fédération de Russie et l'Ukraine étaient sur le point de conclure au printemps de 2022. Cette version propagée par la partie russe est sans fondement, comme le démontrent deux chercheurs américains, Samuel Charap et Sergey Radchenko dans un article publié le mois dernier dans la revue Foreign Affairs.
https://www.foreignaffairs.com/ukraine/talks-could-have-ended-war-ukraine
Ces deux spécialistes ont reconstitué en détail les pourparlers qui ont commencé en Biélorussie le 28 février, moins d'une semaine après l'invasion russe et la tentative de capturer Kiev, et se sont poursuivis à Istanbul jusqu'à la fin mai. Ils ont analysé le texte de projet d'accord. Ils ont parlé à des témoins, ont lu toutes les déclarations y relatives. Ils ont constaté que les positions des parties sont restées très éloignées l'une de l'autre. Le 29 mars, elles ont publié le « communiqué d'Istanbul », un document rédigé par la partie ukrainienne, qui a servi de base aux discussions et qui contenait les grandes lignes d'un traité intitulé « Propositions clés pour un traité sur des garanties de sécurité en faveur de l'Ukraine ». Mais il y avait loin de la coupe aux lèvres.
La partie russe exigeait d'abord que l'Ukraine retourne au statut de neutralité qu'elle pratiquait avant 2014. La partie ukrainienne s'y serait prêtée, tout en insistant pour un cessez-le-feu et la création de corridors humanitaires, puis elle s'est concentrée sur des garanties de sécurité. La Russie et les autres membres permanents du Conseil de sécurité ainsi que l'Allemagne, l'Italie, Israël, la Turquie et la Pologne se seraient engagés à intervenir militairement si l'Ukraine devait être à nouveau attaquée. Pour la Russie, il s'agissait d'une démarche collective des pays garants; pour l'Ukraine, c'était un engagement individuel de chaque Etat partie, plus précis même que l'article V du traité instituant l'OTAN. Kiev n'a pas consulté au préalable les pays mentionnés.
C'était faire l'addition sans l'aubergiste: les pays occidentaux, qui ne voulaient pas de l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN, n'étaient pas non plus disposés à signer un traité qui aurait pu les entraîner dans un conflit armé avec la Russie.
Tel est le message que Boris Johnson est venu transmettre au président Zelensky à Kiev le 9 avril 2022: les pays occidentaux soutiendront l'Ukraine en lui envoyant des armes, mais ils excluent de lui fournir des troupes. Ils ne sont donc pas d'accord avec le projet de traité en train d'être discuté avec la Russie.
Entre-temps, le vent a tourné. L'armée ukrainienne a brisé l'encerclement de Kiev et repoussé l'envahisseur au nord-est du pays. Moscou présente comme un geste de bonne volonté, destiné à faciliter l'accord, ce qui est en fait la déroute de son armée. Le 4 avril Zelensky se rend à Boutcha où l'on a découvert les atrocités commises par les troupes d'occupation russes. Ces deux facteurs - le succès des armes et la barbarie de l'occupation - pèsent sur les décisions de Kiev, moins enclin au compromis et qui durcira ses demandes à la table de négociations, réclamant le retrait des forces russes du Donbass.
Le projet de traité de 2022 souffre d'un autre défaut majeur: il ne dit mot de la cessation des hostilités, des frontières et des territoires. C'est pourtant la préoccupation immédiate. Il renvoie le sort de la Crimée à des négociations entre les présidents russe et ukrainien, qui pourraient s'étendre sur les quinze prochaines années... On dresse les contours d'une paix future sans régler la fin de la guerre: on met carrément la charrue devant les boeufs.
On était donc loin d'un accord de paix en 2022. Quoi que prétende la propagande russe, les Occidentaux n'ont pas « tiré la prise » pour mettre fin aux négociations: c'est un peu plus compliqué.
La situation sur le terrain évoluait en faveur de la défense ukrainienne. Les Occidentaux ne se sont pas laissé forcer la main pour donner des garanties de sécurité à l'Ukraine. Ils ont exclu toute intervention militaire directe dans la guerre, ce qui rendait sans objet le traité de garantie proposé par l'Ukraine.
« Nous avons besoin d'une OMS forte »
Le Temps
Temps fort, mardi 28 mai 2024 880 mots, p. 3
« Cette organisation joue un rôle majeur pour l'éradication de nombreuses maladies »
SANTÉ PUBLIQUE La conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider a participé à sa première Assemblée mondiale de la santé hier au Palais des Nations à Genève. Elle refuse l'argument selon lequel l'OMS éroderait la souveraineté de la Suisse
La 77e Assemblée mondiale de la santé (AMS), le plus grand raout sanitaire de la planète, s'est ouverte hier au Palais des Nations à Genève sur un constat amer. Bien qu'ayant négocié parfois jusqu'à 4h du matin pendant plusieurs semaines, les 194 Etats membres de l'OMS n'ont pas réussi à s'entendre sur un traité pandémique. Chargée du Département fédéral de l'intérieur depuis janvier, Elisabeth Baume-Schneider est intervenue à la tribune de l'AMS. La ministre de la Santé analyse pour Le Temps les défis sanitaires à venir.
Vous jugez important que les Etats membres de l'OMS continuent leurs travaux pour aboutir à un traité ou accord pandémique. Pourquoi est-ce important pour la Suisse?
C'est extrêmement important. La santé globale est un vaste écosystème où chacun doit assumer sa part de responsabilité et exprimer une volonté de travailler en commun. On l'a vu avec le Covid-19, nous avons besoin d'échanger des informations sur les pathogènes, d'anticiper et de préparer la riposte à une future pandémie. Nous ne sommes malheureusement pas arrivés là où nous aimerions être dans les négociations sur le traité. Mais je veux croire que la culture du dialogue et de la négociation qui caractérise le multilatéralisme va permettre d'aboutir à un résultat significatif.
Jusqu'où la Suisse est-elle prête à faire des compromis? Elle n'est pas disposée à octroyer sur une base obligatoire des licences pour la fabrication de vaccins et traitements en cas de pandémie. Elle ne souhaite le faire que sur une base volontaire...
Elle est prête à aller assez loin pour autant que les autres partenaires fassent également des pas en avant. C'est la nature du consensus qui permet à chacun et chacune d'être satisfait du résultat de la négociation et d'avoir un résultat crédible et lisible. Mais la position du Conseil fédéral en la matière ne relève pas uniquement d'une question de politique de santé. Elle touche aussi à l'intégralité de notre système économique.
Pour l'heure, l'OMS n'est financée qu'à hauteur de 17% par des contributions obligatoires des Etats membres. Tout le reste est financé sur une base volontaire. Planifier son action devient très difficile.
C'est essentiel d'avoir une OMS forte, car les défis en matière de santé publique ne s'arrêtent pas à nos frontières et peuvent survenir de façon inattendue. Les Etats ont besoin d'une organisation basée sur la confiance, qui dispose de réseaux et d'instruments pour agir globalement. L'OMS fait exactement cela. On le voit à Genève ces jours-ci. L'AMS est une véritable fourmilière où un monde fou s'active dans le but d'améliorer les systèmes de santé dans le monde. C'est précieux. Mais pour concrétiser ses ambitions, l'OMS a besoin de vrais moyens. La décision l'an dernier d'augmenter les contributions obligatoires fut très positive.
Vous avez parlé de la nécessité pour l'OMS de faire des « efforts d'efficacité ». L'agence onusienne doit-elle se réformer?
Il ne m'appartient pas de dire ce qui fonctionne ou non à l'OMS. Mais ce que nous jugeons important, c'est que l'organisation ait des processus transparents, que nous connaissions les intérêts et intentions des parties prenantes dans les différents organes de pilotage de l'organisation.
En Suisse, certains milieux dont Mass-Voll ou Pro Suisse, voire l'ex-conseiller fédéral Ueli Maurer exhortent le gouvernement à ne pas adopter un traité pandémique, craignant une « dictature sanitaire ». Que leur dites-vous?
Le rôle du politique et d'un exécutif est précisément d'informer et de documenter ses choix. Je mets donc à la disposition des commissions parlementaires les informations dont la portée politique est sensible afin qu'elles puissent faire l'objet de discussions aux Chambres fédérales.
Mon message est de dire qu'il n'y aura pas de clauses dans le traité pandémique qui pourraient éroder la souveraineté de la Confédération. Il faut déconstruire ces a priori. Et arrêtons de faire une fixation sur les vaccinations anti-covid. L'OMS a joué un rôle essentiel durant la pandémie, mais elle oeuvre de façon active et pragmatique à l'éradication de nombreuses maladies. C'est une organisation qui sauve des vies.
Aux délégués de l'AMS, vous avez rappelé la nécessité de renforcer les systèmes de santé nationaux. Le système suisse est solide, mais montre aussi ses limites. Les primes ont déjà augmenté de 10% pour certains l'an dernier, elles pourraient augmenter de 6% l'an prochain.
On est justement en pleine discussion sur un deuxième paquet de mesures pour maîtriser les coûts de la santé. Les initiatives sur la santé sur lesquelles nous voterons le 9 juin montrent que nous sommes attachés à un système de santé de qualité, accessible à toutes et à tous, mais qui doit rester abordable financièrement. Il n'y a pas de solution toute faite. La digitalisation devrait nous permettre d'éviter des doublons et des prestations médicales non indispensables, de mieux suivre les patients. Par ailleurs, le Conseil des Etats débat des réseaux de soins coordonnés, de l'importance de la médecine de base et des médecins de famille. Ces efforts devraient nous permettre non pas de baisser les primes, mais de maîtriser leur augmentation.
L’OMS doit décider de prolonger ou d'abandonner les négociations sur un traité pandémique - Le Temps
Le Temps
Temps fort, mardi 28 mai 2024 955 mots, p. 3
A l'OMS, un traité pandémique sur le balan
DÉFIS SANITAIRES L'Assemblée mondiale de la santé, qui s'est ouverte hier à Genève en présence de nombreux ministres de la Santé, dont Elisabeth Baume-Schneider, aura son heure de vérité aujourd'hui. La capacité de la planète à riposter à une future pandémie est en jeu
FINANCEMENTS
Les contributions volontaires (et non obligatoires) à l'OMS:
- Etats-Unis: 1,019 milliard de dollars
- Fondation Bill & Melinda Gates: 829 millions
- Allemagne: 621 millions
- Alliance Gavi: 481 millions
- Union européenne: 367 millions. (LT)
@StephaneBussard
Il fallait voir l'effervescence du Palais des Nations hier à Genève à l'occasion de l'ouverture de la 77e Assemblée mondiale de la santé (AMS). Ministres de la Santé - dont la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider -, experts, ONG, tous affairés à résoudre les grands problèmes de la santé globale. Les enjeux sanitaires mondiaux ne manquent pas. Mais pour l'heure, le principal objet qui aurait dû être soumis à l'AMS pour approbation, un traité pandémique, n'a pas obtenu dans les temps le consensus nécessaire après de longues tractations menées dans le cadre de l'Organe intergouvernemental de négociations. Un tel instrument juridique contraignant changerait la manière dont la planète se prépare et anticipe la riposte à une future pandémie.
Points de désaccord
Mais, explique Michel Kazatchkine, membre du Groupe d'experts indépendant pour la préparation et la réponse aux pandémies, il y a encore trop de « points de désaccord ». Les 194 Etats membres de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ne s'entendent pas sur le Système d'accès aux pathogènes et de partage des bénéfices (P-ABS). Ce dispositif faciliterait l'échange d'échantillons d'agents pathogènes et de données de séquences génétiques et permettrait une riposte plus rapide en termes de fabrication de vaccins et de traitements. Les Etats du Nord et du Sud butent aussi sur les transferts de technologie et leur financement, les questions de propriété intellectuelle relatives aux brevets.
Directeur général de l'OMS, l'Ethiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus reste néanmoins optimiste. Lors de son allocution hier à la tribune de l'ONU, il s'est dit confiant dans la capacité de la communauté internationale à faire aboutir les négociations sur un traité pandémique. Aujourd'hui, ce sera le moment de vérité: les Etats membres décideront s'ils prolongent le temps de négociation ou non. « Là où il y a une volonté, il y a un chemin, a relevé celui que les diplomates appellent affectueusement le docteur Tedros. Personne ne dit que le multilatéralisme est facile, mais il n'y a pas d'autre option. »
Ancienne coprésidente du Groupe d'experts indépendant, l'ex-première ministre néo-zélandaise Helen Clark appelle à constituer un nouveau bureau plus restreint de l'Organe de négociation pour revoir les éléments du projet de traité au sujet desquels le monde est encore très divisé. « Les Etats membres doivent négocier et adopter un accord avant la fin de cette année », martèle Helen Clark. Michel Kazatchkine va plus loin. Au vu de la nature très politique et très large des discussions sur un traité, cet ancien directeur du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme pense qu'il pourrait être utile de négocier les derniers articles controversés à New York. « Là, le sujet n'est plus purement sanitaire. Il touche à la géopolitique et à l'économie. »
Séquençage génomique
Professeur émérite à l'Université Georgetown à Washington et spécialiste de la santé globale, Lawrence Gostin estime impératif que la planète se dote d'un traité pandémique. « Il rendra le monde plus sûr et plus juste. Le projet de traité actuel présente de nombreux défauts, notamment le manque de mise en oeuvre et de redevabilité. Mais il serait bénéfique pour les pays du Nord et du Sud. Les premiers souhaitent un échange d'informations scientifiques en temps réel. C'est capital pour procéder à des alertes précoces en cas d'épidémie et un partage rapide d'échantillons d'agents pathogènes et de leur séquençage génomique. C'est nécessaire pour prévenir la propagation d'une épidémie, mais aussi pour faciliter la recherche et le développement de vaccins et de traitements salvateurs. »
Le directeur général de l'OMS appelle à un sursaut de la communauté internationale en matière de financement de la santé. « Même avant la pandémie de Covid-19, le monde était en retard par rapport aux Objectifs de développement durable (ODD « Santé et Bien-Etre »). Maintenant, c'est encore pire. » Pour ce qui est de l'OMS elle-même, Tedros Adhanom Ghebreyesus a exhorté les Etats membres à « renforcer et à équiper » l'OMS comme il se doit: « L'OMS est une organisation avec un mandat unique, avec une empreinte et une légitimité globale. Or son financement est fragmenté et imprévisible. Seules 17% des contributions des Etats membres sont obligatoires. Le reste est volontaire et tributaire de quelques donateurs ». Au début de l'OMS, poursuit le docteur Tedros, la proportion était inverse. Les contributions obligatoires constituaient l'essentiel du budget.
Pour rappeler le rôle central que joue son organisation dans la lutte contre de nombreuses maladies infectieuses et non transmissibles, il a cité l'ex-premier ministre britannique Gordon Brown: « Si l'OMS n'existait pas, il faudrait l'inventer. » L'OMS doit présenter cette semaine son programme de travail pour la période 2025-2028. Elle a besoin de 11,1 milliards de dollars pour le financer. Pour ce faire, elle a l'intention de lancer un nouveau « cycle d'investissement » en faisant appel à une très large palette de donateurs, en particulier des fondations. L'espoir est de lever ainsi déjà 7 milliards de dollars.
Illustration(s) :
En ouvrant l'Assemblée mondiale de la santé hier à Genève, la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider a plaidé pour que les 194 membres de l'OMS continuent à négocier un accord anti-pandémies et a promis que Berne s'engagerait pour un « résultat significatif » . (27 MAI 2024/SALVATORE DI NOLFI/EPA)
Le Temps
International, lundi 27 mai 2024 996 mots, p. 6
Le préoccupant échec d'un traité pandémique
DIPLOMATIE Ce devait être le point fort de la 77e Assemblée mondiale de la santé qui s'ouvre aujourd'hui à Genève. Les 194 Etats membres de l'OMS devaient approuver un projet d'accord pour éviter que le monde ne revive le traumatisme du Covid-19. Ils n'ont pas réussi à s'entendre
page 6
@StephaneBussard
Elle aurait dû être l'apothéose d'un processus de négociations de deux ans qui avait été entamé à la suite du traumatisme causé par la pandémie de Covid-19. La 77e Assemblée mondiale de la santé (AMS) s'ouvre aujourd'hui à Genève sur un constat d'échec. Les 194 Etats membres de l'OMS n'ont pas réussi à s'entendre sur un accord/traité pandémique. Vendredi, l'Organe intergouvernemental de négociation (INB) a dû se rendre à l'évidence: il restait trop de points de désaccords pour aller de l'avant. Directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus ne perd toutefois pas espoir: « De grands progrès ont été faits durant ces négociations, mais il y a encore des défis à relever. Nous devons utiliser l'Assemblée mondiale de la santé pour nous redonner de l'énergie et finir le travail, à savoir présenter au monde un accord pandémique emblématique d'une génération. »
Lettre du président d'Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa
Un diplomate occidental qui souhaite garder l'anonymat s'inquiétait cette semaine de l'attitude de certaines délégations qui « ont joué la montre pendant des mois en ne mettant absolument rien sur la table. Elles s'étonnent aujourd'hui que le temps de négociation soit trop court. »
Les diplomates et experts de la santé globale se posent désormais une question cruciale: l'AMS va-t-elle prolonger les délais pour négocier un tel instrument? « C'est vital, relève un diplomate occidental, sans quoi on risque de perdre la dynamique du moment. » A observer le climat qui a régné au cours de cette dernière semaine, l'échec (momentané) ne devrait pas surprendre. Mardi 20 mai, le président d'Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa, s'est fendu d'une lettre adressée aux principales institutions et aux décideurs africains qui révèle le fossé qui perdure entre le Nord et le Sud. Publiée par le site Geneva Health Files, la missive ne laisse planer aucun doute: le chef d'Etat sud-africain exhortait dans le document les Etats africains à rester unis derrière leurs revendications. A ses yeux, le projet d'accord ne répondait pas à la demande d'équité formulée par l'Union africaine. Sans cela, écrit Cyril Ramaphosa, « l'Afrique ne sera pas capable d'accéder aux vaccins, aux diagnostics et traitements nécessaires quand arrivera une nouvelle pandémie. Elle ne sera pas capable de financer, de soutenir techniquement et de tenir les obligations prévues dans le projet d'accord. »
La lettre de Ramaphosa est intervenue à un moment où le front uni africain était en train de se fissurer. Quelques pays dont l'Ethiopie, le Botswana, le Kenya et... l'Afrique du Sud ont eu des discussions en marge avec l'Union européenne et les Etats-Unis pour « négocier un compromis ». Cette démarche une fois révélée a fâché plusieurs délégations africaines. Cet épisode met en lumière les deux dossiers sur lesquels on n'arrive pas à s'entendre: le financement des dispositifs à mettre en place pour mieux préparer et riposter à une future pandémie ainsi que les détails des transferts de technologie. Pour l'heure, plusieurs fonds existent: Gavi (Alliance du vaccin), le Fonds mondial de la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, le Fonds pandémique de la Banque mondiale, Unitaid. Ces prochains temps, ces fonds vont devoir être reconstitués. Ce serait l'occasion de mieux les coordonner. Mais certains pays du Sud préfèrent à ces différentes méthodes de financement un fonds spécifique pour les pandémies.
Un autre objet de négociation demeure très controversé: la volonté d'insérer dans un traité la notion d' « une seule santé » qui lie la santé humaine, animale et l'environnement. Là aussi, les divergences sont principalement entre le Nord et le Sud, l'Union européenne poussant à l'adoption du concept qui, selon elle, se justifie d'autant plus qu'avec le changement climatique et la déforestation, la proximité entre l'être humain et l'animal exacerbe le risque de transmission de virus. Enfin le partage de pathogènes (P-ABS), qui ferait sens pour mieux répondre à une pandémie en développant rapidement des vaccins ou des traitements, n'est pas une priorité pour tous les pays. Avec une telle obligation, certains Etats craignent une ingérence trop grande dans leur souveraineté sanitaire.
« Il n'y aura pas de seconde chance »
Sur la question des brevets, la revendication du Sud de les lever en cas de pandémie continue de ne pas passer chez les pays industrialisés dotés d'une forte industrie pharmaceutique. Ces derniers sont prêts à faciliter la création d'infrastructures locales pour pouvoir produire localement des vaccins ou traitements. Mais ils refusent de céder sur la levée des brevets. « Une telle mesure, relève un expert, serait inefficace sans les installations de développement de vaccins et sans personnel qualifié. »
Les tensions géopolitiques ont pesé sur les négociations. Aujourd'hui, l'AMS est face à un choix crucial: elle peut juger que poursuivre les négociations ne mènera nulle part au vu des fortes divergences qui persistent entre Etats. Ce serait un cuisant échec, car il ne fait aucun doute qu'un accord ou traité pandémique améliorerait la capacité de la planète à mieux préparer et à riposter à une nouvelle pandémie. Comme le soulignait dans nos colonnes Suerie Moon, codirectrice du Global Health Centre à l'Institut de hautes études internationales et du développement, il n'y aura pas de « deuxième chance ». Il faut négocier maintenant. Coprésident du bureau de l'Organe intergouvernemental de négociation, le Néerlandais Roland Driece garde espoir: selon lui, les 194 Etats membres de l'OMS restent convaincus qu'il faut continuer à négocier.
Au siège de l'OMS, on se console avec les adaptations qui ont été apportées au Règlement sanitaire international (RSI) qui seront soumises à l'approbation de la 77e Assemblée mondiale de la santé. Mais là aussi, une incertitude demeure: le RSI et le projet d'accord pandémique étant étroitement liés, un échec du second pourrait entraîner un échec du premier.
Les tensions géopolitiques ont pesé sur les négociations
Le Temps
International, samedi 11 mai 2024 2587 mots, p. 5
Un traité pandémique difficile à négocier
STÉPHANE BUSSARD
SANTÉ GLOBALE Les 194 Etats membres de l'OMS ont achevé vendredi un neuvième round de négociations pour doter la planète de mécanismes permettant de mieux anticiper une future pandémie. Mais le projet provisoire est très dilué et déçoit nombre de spécialistes
En Suisse, une vague de résistance à un accord international
CRAINTES Les organisations Pro Suisse, Mass-Voll et des élus de l'UDC estiment que le projet de convention négocié à l'OMS limiterait les droits fondamentaux de la Confédération. Au même titre que la loi sur les pandémies
Le traité pandémique qui est en train d'être négocié à l'OMS à Genève suscite une levée de boucliers en Suisse, notamment auprès des milieux qui ont fait de la souveraineté du pays leur cheval de bataille. Les organisations Mass-Voll, Pro Suisse et des élus de l'UDC s'érigent contre un instrument juridique qu'ils jugent incompatible avec l'indépendance de la Confédération en matière de politique sanitaire.
Elles l'ont déjà fait savoir lors d'une manifestation à Berne en avril. Membre de l'association Mass-Voll et docteur en droit zurichois, Markus Zollinger est le premier à ruer dans les brancards. Pour lui, le traité pandémique n'est pas le seul problème.
Il inclut aussi dans ses critiques le Règlement sanitaire international, la bible opérationnelle de l'OMS: « Le traité pandémique, le RSI et la révision de la loi (suisse) sur les épidémies vont tous dans la même direction. Ils visent à abaisser les limites du droit de nécessité et à permettre de le mettre en oeuvre beaucoup plus rapidement. »
A ses yeux, l'OMS « devrait se limiter à ce qu'elle était par le passé, à savoir une organisation qui fournit des informations aux Etats membres. Lors de la crise du Covid-19, les informations de Chine ou d'Italie ont finalement bien circulé. Cependant, elles ont été manipulées pour créer au sein de la population des peurs exagérées. » Et Markus Zollinger d'ajouter: « L'OMS ne doit aucunement émettre des recommandations qui deviennent rapidement des directives. Elle ne doit pas non plus devenir l'instance principale de gestion d'une pandémie. Il n'est pas non plus approprié de chercher à renforcer financièrement l'OMS. »
« Devenue très autocratique » Président et fondateur de Mass-Voll, Nicolas Rimoldi n'est pas moins véhément: « Avec son traité pandémique et le RSI, l'OMS veut déterminer la politique sanitaire à suivre. Elle veut nous imposer ses vérités. Ce n'est pas acceptable. Comme l'a lui-même souligné l'ex-conseiller fédéral Ueli Maurer lors d'une manifestation des Amis de la Constitution en Argovie, il n'y a de fait pas eu de pandémie. Je milite personnellement pour une abolition de l'organisation qui est devenue très autocratique. » L'OMS a pourtant des critères précis pour déterminer s'il y a pandémie ou non. Avec le Covid-19, il est vite devenu évident que le terme était bien choisi, le SARS-CoV-2 touchant une large part de la population mondiale sur plusieurs continents. Codirectrice du Global Health Centre à l'IHEID, Suerie Moon s'inscrit en faux contre cette vision de l'OMS: « Aucune équipe d'enquête ne pourra spontanément aller investiguer un pays touché par une nouvelle épidémie. Quant à la capacité de l'OMS à imposer des confinements, elle n'existe pas. » Nicolas Rimoldi, qui relève qu'il a failli perdre sa soeur et sa mère en raison de vaccins anti-covid, le souligne. « Nous sommes en contact avec des partis antimondialistes de Bulgarie, de Hongrie qui sont chacun la troisième force dans leur parlement national et des autres parties dans tout l'Europe. Notre mouvement ne cesse de s'agrandir. Nous organisons deux nouvelles manifestations, le 25 mai à Berne et le 1er juin sur la place des Nations à Genève. » S. B.
page 5
@StephaneBussard
C'est sans doute une photographie réaliste de l'état actuel du multilatéralisme. L'Organe intergouvernemental de négociation (INB) chargé d'élaborer un projet de traité (convention-cadre) sur la prévention, la préparation et la riposte aux pandémies vient d'achever vendredi son neuvième cycle. Objectif: développer un instrument juridique en partie contraignant visant à mieux anticiper l'émergence et les conséquences d'une nouvelle épidémie d'importance.
Créé en décembre 2021, l'INB incarne tous les espoirs nourris par les spécialistes de la santé globale de doter la planète de mécanismes qui permettent d'éviter une catastrophe sanitaire et par là économique et sociale telle qu'on l'a vécue lors de la pandémie de Covid-19.
Vendredi, les mines étaient plutôt sombres à l'OMS. Les divergences entre Etats sont encore criantes. Certains d'entre eux se disent prêts à négocier encore lors du week-end de Pentecôte, d'autres à se contenter de ce qu'ils ont. Le projet de traité devrait se passer pour l'heure d'un article promouvant le partage de pathogènes (P-ABS) et du concept de « une seule santé » qui lierait la santé humaine, animale et végétale que les Européens souhaitaient à tout prix. Une source avertie proche des négociateurs le souligne: « C'est très décevant et inquiétant. Le langage qui figure dans le projet d'accord est très dilué. Si on patine, c'est aussi parce qu'il n'y a aucun leadership et aucune volonté politique. »
Ces efforts répondent pourtant à une évidence: il y aura certainement une nouvelle pandémie dans un futur plus ou moins proche. Les alertes récentes relatives à la propagation du virus H5N1 parmi les animaux et du Mers-Cov, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient qui vient d'émerger en Arabie saoudite, sont la preuve qu'il y a nécessité de doter le monde d'instruments plus robustes pour faire face à une crise sanitaire de ce type.
Les lacunes dans la préparation et la riposte au Covid-19 ont été béantes: manque de masques de protection, fermetures chaotiques des frontières, partage insuffisamment rapide des informations sur l'émergence d'une épidémie, accès très limités aux vaccins, diagnostics et traitements pour nombre de pays du Sud.
Financement confus
Quatre ans après le début de la pandémie, a-t-on tiré les leçons de cet épisode qui a tué, selon les chiffres de l'OMS, au moins 7 millions de personnes dans le monde, sans doute beaucoup plus? En 2005, après l'épidémie de SRAS, l'OMS et ses Etats membres avaient réagi à l'impréparation en renforçant le Règlement sanitaire international (RSI), la bible de la régulation de la santé globale. Aujourd'hui, va-t-on assister, du 27 mai au 1er juin à Genève, lors de l'Assemblée mondiale de la santé (AMS), à l'adoption d'un traité (ou d'une convention) pandémique marquant lui aussi d'une pierre blanche le chemin vers la mise en place d'un système sanitaire international plus efficace?
On ne semble pas en prendre le chemin, mais c'est l'espoir que nourrissent Antoine Flahault, directeur de l'Institut de santé globale de l'Université de Genève, et Michel Kazatchkine, ex-directeur du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et ex-envoyé spécial du secrétaire général de l'ONU pour le sida/VIH en Europe de l'Est et en Asie centrale. Tous deux espéraient encore il y a peu voir dans le texte du traité les éléments suivants: « Il faudrait octroyer la possibilité pour l'OMS d'envoyer des missions d'inspection indépendantes en cas d'alerte dans un ou plusieurs pays. Aujourd'hui, l'OMS doit demander l'autorisation à ses Etats membres avant de déployer de telles missions. L'organisation onusienne de la santé doit négocier avec le pays hôte la composition et les conditions de telles missions, perdant en cela du temps mais aussi de l'indépendance et de l'impartialité. » Et les deux professeurs d'ajouter: « Il existe d'autres traités internationaux, par exemple ceux concernant la non-prolifération des armes nucléaires ou chimiques, qui permettent aux agences chargées de leur mise en oeuvre et de leur suivi de mener des missions d'inspection en toute indépendance auprès des pays signataires. Nous ne comprenons pas pourquoi la menace pandémique ne serait pas traitée de façon analogue par la communauté internationale. »
Influence des multinationales
Pour Antoine Flahault et Michel Kazatchkine, sont aussi nécessaires des mécanismes permettant le transfert de technologies tant dans les domaines de la recherche, du développement et de la production de tests diagnostiques, des traitements et des vaccins en cas d'émergence infectieuse conduisant à une menace pandémique.
Suerie Moon, codirectrice du Global Health Centre à l'Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), a suivi de près l'évolution du projet de traité. « Les engagements prévus en termes de transferts de technologies et de partage des pathogènes constituent un progrès. Mais au niveau du financement des mécanismes de préparation et de riposte, tout n'est pas clair. Nous avons aujourd'hui un nombre considérable d'institutions internationales qui s'occupent du financement: les banques régionales de développement, GAVI, la Banque mondiale, etc. On parle même de la création d'un fonds nouveau à l'OMS pour combler les failles qui existent encore. Il manque toutefois de la transparence, de la cohérence entre ces différentes sources de financement. »
Le texte de l'accord ou du traité sera-t-il suffisamment fort pour que le monde soit mieux armé face à une future pandémie? Suerie Moon met en garde: « Après le caractère traumatique du Covid-19, le soufflé est un peu retombé. Nombre d'Etats membres de l'OMS se sont retranchés dans leurs vieilles positions. Or pour moi, c'est clair: il y a encore un « momentum ». Mais après le 1er juin, la fenêtre va se fermer. Si la 77e AMS n'adopte pas un traité, même imparfait, je crains qu'il n'y ait pas d'autres occasions d'avoir un document qui renforce la préparation à une pandémie. Il n'y aura pas de seconde chance. »
Même si les Etats s'entendent sur un accord pandémique, tout n'est pas gagné pour autant. Suerie Moon le relève: « Actuellement, deux textes sont négociés: celui d'un accord pandémique et le Règlement sanitaire international. Tous deux répondent à des dynamiques différentes, mais ils sont très interconnectés. Certains Etats en développement le disent sans ambages: ayant des réserves sur des questions comme le partage d'informations sur les pathogènes ou sur la surveillance épidémique, ils ne voteront pas pour une adaptation du RSI s'il n'y a pas de traité pandémique. »
Il reste que tous les experts de santé globale ne sont pas convaincus par l'état du projet de traité. C'est le cas de Nicoletta Dentico, responsable du programme Santé globale auprès de la Society for International Development. « Vouloir tout négocier en deux ans est irréaliste. Il a fallu plus de cinq ans à l'OMS pour aboutir à la Convention-cadre pour la lutte antitabac. Les mécanismes de négociations sont par ailleurs très approximatifs et confus. On négocie de façon très fragmentée, on défend tel ou tel article, mais on n'a pas une vision holistique de ce qu'on aimerait atteindre. On sent enfin la pression de finir les travaux avant que Donald Trump ne revienne éventuellement à la Maison-Blanche. » Coprésidente du Geneva Global Health Hub (G2H2), l'Italienne regrette que le texte de l'accord pandémique ne soit pas suffisamment contraignant. « Je vois par ailleurs une grande faiblesse du futur traité: il n'y a aucune clause de sauvegarde de l'intérêt de la santé publique par rapport aux intérêts industriels des entreprises pharmaceutiques, de la technologie et de l'alimentaire. On camoufle dans ce texte l'emprise d'un secteur privé dérégulé. »
Nicoletta Dentico se dit aussi déçue par le fait que la levée d'éventuels brevets relatifs aux vaccins et traitements ne sera possible que sur une base volontaire. Economiste et membre du Conseil mondial de suivi de la préparation à une pandémie, un organisme co-créé par l'OMS et la Banque mondiale, l'Indienne Jayati Ghosh le déclarait dans nos colonnes: « L'accord pandémique actuellement négocié ne mènera nulle part. [...] Cet accord ne créera pas les conditions permettant d'éviter une prochaine pandémie. » Et Jayati Gosh d'ajouter: « Les multinationales ont une nouvelle fois réussi à influencer la teneur du document. »
Pour ce qui est du concept de « une seule santé », Antoine Flahault et Michel Kazatchkine s'étonnent de voir qu'il pourrait passer à la trappe. Cette approche « n'est ni une idéologie d'inspiration néocolonialiste, ni une nouvelle mode occidentale. Elle s'appuie sur des bases scientifiques. Dans son principe, cette approche vise à créer des ponts entre la santé humaine, la santé animale et l'environnement. Ces ponts sont nécessaires pour construire dans le domaine des émergences infectieuses, car plus de 70% d'entre elles sont d'origine animale et le dérèglement climatique joue un rôle clé tant dans l'émergence que dans la propagation des agents infectieux. »
« On camoufle dans ce texte l'emprise d'un secteur privé dérégulé »
NICOLETTA DENTICO, SOCIETY FOR INTERNATIONAL DEVELOPMENT
En Suisse, une vague de résistance à un accord internationalCRAINTES Les organisations Pro Suisse, Mass-Voll et des élus de l'UDC estiment que le projet de convention négocié à l'OMS limiterait les droits fondamentaux de la Confédération. Au même titre que la loi sur les pandémiesLe traité pandémique qui est en train d'être négocié à l'OMS à Genève suscite une levée de boucliers en Suisse, notamment auprès des milieux qui ont fait de la souveraineté du pays leur cheval de bataille. Les organisations Mass-Voll, Pro Suisse et des élus de l'UDC s'érigent contre un instrument juridique qu'ils jugent incompatible avec l'indépendance de la Confédération en matière de politique sanitaire. Elles l'ont déjà fait savoir lors d'une manifestation à Berne en avril. Membre de l'association Mass-Voll et docteur en droit zurichois, Markus Zollinger est le premier à ruer dans les brancards. Pour lui, le traité pandémique n'est pas le seul problème. Il inclut aussi dans ses critiques le Règlement sanitaire international, la bible opérationnelle de l'OMS: « Le traité pandémique, le RSI et la révision de la loi (suisse) sur les épidémies vont tous dans la même direction. Ils visent à abaisser les limites du droit de nécessité et à permettre de le mettre en oeuvre beaucoup plus rapidement. » A ses yeux, l'OMS « devrait se limiter à ce qu'elle était par le passé, à savoir une organisation qui fournit des informations aux Etats membres. Lors de la crise du Covid-19, les informations de Chine ou d'Italie ont finalement bien circulé. Cependant, elles ont été manipulées pour créer au sein de la population des peurs exagérées. » Et Markus Zollinger d'ajouter: « L'OMS ne doit aucunement émettre des recommandations qui deviennent rapidement des directives. Elle ne doit pas non plus devenir l'instance principale de gestion d'une pandémie. Il n'est pas non plus approprié de chercher à renforcer financièrement l'OMS. » « Devenue très autocratique » Président et fondateur de Mass-Voll, Nicolas Rimoldi n'est pas moins véhément: « Avec son traité pandémique et le RSI, l'OMS veut déterminer la politique sanitaire à suivre. Elle veut nous imposer ses vérités. Ce n'est pas acceptable. Comme l'a lui-même souligné l'ex-conseiller fédéral Ueli Maurer lors d'une manifestation des Amis de la Constitution en Argovie, il n'y a de fait pas eu de pandémie. Je milite personnellement pour une abolition de l'organisation qui est devenue très autocratique. » L'OMS a pourtant des critères précis pour déterminer s'il y a pandémie ou non. Avec le Covid-19, il est vite devenu évident que le terme était bien choisi, le SARS-CoV-2 touchant une large part de la population mondiale sur plusieurs continents. Codirectrice du Global Health Centre à l'IHEID, Suerie Moon s'inscrit en faux contre cette vision de l'OMS: « Aucune équipe d'enquête ne pourra spontanément aller investiguer un pays touché par une nouvelle épidémie. Quant à la capacité de l'OMS à imposer des confinements, elle n'existe pas. » Nicolas Rimoldi, qui relève qu'il a failli perdre sa soeur et sa mère en raison de vaccins anti-covid, le souligne. « Nous sommes en contact avec des partis antimondialistes de Bulgarie, de Hongrie qui sont chacun la troisième force dans leur parlement national et des autres parties dans tout l'Europe. Notre mouvement ne cesse de s'agrandir. Nous organisons deux nouvelles manifestations, le 25 mai à Berne et le 1er juin sur la place des Nations à Genève. » S. B.
mercredi 10 janvier 2024
En Suisse, les services secrets surveillent tout internet
ADRIENNE FICHTER
COMMUNICATIONS Lorsque la loi sur le renseignement a été soumise au vote en 2016, le Conseil fédéral a promis que la population suisse ne serait pas concernée par l'exploration du réseau câblé. Le média alémanique Republik montre que ce n'est pas exact, dans un article que « Le Temps » publie en intégralité
Lorsque, en juin 2013, le Guardian a rendu publiques les déclarations d'Edward Snowden, une onde de choc a traversé la planète. Les révélations de l'intéressé, un ancien prestataire de services de l'Agence nationale de sécurité américaine (NSA), confirmaient les pires craintes: les services secrets américains ont accès à tous nos faits et gestes sur internet. Ils sont au courant de nos peurs, de nos rêves et de nos désirs, de nos secrets les plus intimes. Edward Snowden a pu documenter cette surveillance de masse à grande échelle. Depuis, il fait l'objet d'un mandat d'arrêt des Etats-Unis pour violation de l'Espionage Act. Il vit en exil à Moscou.
Dans les années qui ont suivi, les services secrets d'autres pays ont copié cette pratique de surveillance, et les gouvernements l'ont intégrée dans leurs lois nationales. C'est le cas de la Suisse. La campagne de votation autour de la révision de la loi fédérale sur le renseignement (LRens) en 2016 a été virulente. Les Jeunes socialistes, Les Vert·e·s, le Parti socialiste et le Parti pirate ont sorti l'artillerie lourde, parlant d'un « Etat fouineur » et de « mini-NSA ». Certains opposants à la révision de la loi ont même mis en garde contre un Etat des fiches 2.0 [en référence au fichage policier de près de 900 000 citoyens suisses révélé à la fin des années 1980, ndlr.].
Le point le plus controversé du projet de loi concernait l' « exploration du réseau câblé ». Il s'agit précisément de la méthode qu'Edward Snowden avait rendue publique en ce qui concerne la NSA: la surveillance des communications via internet. La communication est analysée de manière automatisée selon certains termes de recherche, ou « sélectionneurs » : il peut s'agir d'informations spécifiques sur des personnes ou des entreprises étrangères, par exemple des numéros de téléphone, mais aussi des systèmes d'armement ou des technologies particulières.
Si un terme est trouvé, le message qui l'inclut est transmis au Centre des opérations électroniques (COE) du Département fédéral de la défense, situé dans la commune bernoise de Zimmerwald. En l'occurrence, la nature des termes recherchés n'est pas connue: le Service de renseignement de la Confédération (SRC) invoque dans un document des risques pour la sécurité nationale afin de motiver son refus de communiquer sur ce point.
Les analystes du COE s'efforcent de transformer ces signaux, qui peuvent être codés de différentes manières, en données lisibles - et les transmettent au service de renseignement si le résultat est pertinent. Le but: obtenir des informations à des fins de contre-espionnage et d'antiterrorisme, de protection des intérêts du pays et de la sécurité, mais aussi dans le cadre d'échanges avec des services de renseignement alliés.
Les promesses de campagne
L'idée que le Service de renseignement de la Confédération puisse faire comme la NSA, c'est-à-dire consulter toutes les communications et autres recherches effectuées en Suisse, a suscité de vives inquiétudes lors de la révision de la LRens. Les autorités n'ont pas ménagé leurs efforts pour rassurer, pendant et après la campagne de votation:
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Une surveillance de masse telle qu'elle est pratiquée dans d'autres pays n'est pas prévue, a par exemple assuré Guy Parmelin, alors chef du Département de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS), à l'été 2016.
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La porte-parole du SRC, Isabelle Graber, a affirmé une semaine avant la votation qu'aucun citoyen suisse ne serait surveillé via le réseau câblé, que ce soit en Suisse ou à l'étranger.
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Le chef des services de renseignement de l'époque, Markus Seiler, a personnellement défendu la loi. Après son adoption, il a lui aussi déclaré: « Il n'y aura pas de surveillance de masse ».
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Les nouvelles réglementations sur l'exploration du réseau câblé sont « si étroitement définies que ce moyen ne peut être utilisé que contre des menaces concrètes et qu'une surveillance généralisée de tous les citoyens est exclue », a pour sa part souligné le Conseil fédéral dans la documentation accompagnant le matériel de vote.
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Dans lemessage relatif à la loi fédérale sur le renseignement de 2014, le gouvernement avait déjà argumenté que l'exploration du réseau câblé était un « instrument de recherche d'informations à l'étranger », dans lequel « les objets visés » - c'est-à-dire les personnes à surveiller - se trouvent en dehors du territoire helvétique.
L'enquête menée par Republik montre qu'aucune de ces promesses n'a été tenue. Des documents exclusifs - dossiers judiciaires et correspondance officielle - donnent pour la première fois un aperçu de la manière dont le service de renseignement a procédé à l'exploration des réseaux câblés. Voici ce qu'on y apprend:
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Depuis l'entrée en vigueur de la loi en 2017, le trafic internet des Suisses est analysé massivement. Dans des documents judiciaires, le Département fédéral de la défense admet que le contenu des communications « nationales » est scanné et analysé. De plus, toutes les données sont enregistrées en vue d'éventuelles recherches rétroactives.
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Conséquence directe: les journalistes ne peuvent plus garantir la protection des sources et les avocats le secret professionnel d'un point de vue technique. En effet, ni le COE ni le SRC ne protègent explicitement ces corps de métier. Des informations confidentielles peuvent donc être transmises aux services de renseignement.
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En 2023, le Service de renseignement de la Confédération a même entrepris d'approfondir l'exploration des réseaux câblés. De petites entreprises ont été invitées à adapter leur infrastructure à la surveillance du Centre des opérations électroniques.
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Afin d'explorer le réseau câblé, le SRC et le COE s'adressent à des entreprises suisses qui ne proposent pas de trafic de données transfrontalier. Ce procédé contredit les affirmations du service de renseignement.
Résistance juridique
Revenons en arrière. Le 25 septembre 2016, le verdict des urnes est sans appel: le peuple suisse accepte la révision de la LRens par 65,5% des voix. Pour la Société numérique (Digitale Gesellschaft), une association principalement active en Suisse alémanique, le sujet n'est cependant pas clos. Celle-ci est convaincue que les arguments avancés par le Conseil fédéral pour apaiser les tensions autour de l'exploration des réseaux câblés ne correspondent pas à la réalité. Avant le vote, les activistes contactent des journalistes et des avocats pour qu'ils se constituent parties plaignantes. Pourquoi ces derniers? Parce qu'ils échangent des informations numériques sensibles dans le cadre de leur travail, et qu'ils sont tenus de respecter la protection des sources et le secret professionnel.
Avec le soutien de la Société numérique, des journalistes et des avocats préparent une requête déposée auprès du SRC à la date d'entrée en vigueur de la nouvelle loi, le 1er septembre 2017. Les requérants demandent que le Service de renseignement ne puisse pas utiliser l'exploration des réseaux câblés à leur encontre. Le contraire constituerait en effet une violation de leurs droits fondamentaux. Ils invoquent la Convention européenne des droits de l'homme, le secret professionnel et la protection des sources.
Sans surprise, le Service de renseignement écarte la demande. L'association poursuit la démarche et dépose un recours auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF) en 2018. Qui le rejette à son tour l'année suivante. Les juges considèrent que le droit d'accès prévu par la loi - c'est-à-dire la possibilité de demander au service de renseignement si celui-ci détient des données personnelles sur un citoyen - est « une voie juridique en mesure d'assurer une protection efficace des droits fondamentaux ».
La Société numérique n'est évidemment pas de cet avis. Les activistes portent donc l'affaire devant le Tribunal fédéral. C'est là que se produit un revirement surprenant: le 1er décembre 2020, les juges fédéraux estiment que le droit d'accès ne constitue pas une protection suffisante contre la surveillance numérique. Ils reprochent en outre au TAF de ne pas avoir examiné le contenu du recours. Celui-ci doit désormais se prononcer sur le fond de l'affaire. Et répondre à cette question: les droits fondamentaux des sept activistes, journalistes et avocats sont-ils violés par l'exploration des réseaux câblés mise en oeuvre par le SRC?
L'affaire, qui oppose les recourants au Service de renseignement, dure depuis trois ans. Elle s'articule autour d'une question fondamentale: comment fonctionne l'exploration des réseaux câblés en Suisse?
Le SRC n'y répond qu'à contrecoeur, par bribes. Et pour cause: il ressort clairement des documents en possession de Republik que les données des citoyens suisses affluent massivement dans le petit village de Zimmerwald. L'analyse des réseaux câblés s'applique de fait aux messageries, e-mails et recherches internet de toute personne vivant en Suisse.
L'illusion d'un internet ayant des frontières définies
Quels types de câbles sont surveillés? Dans une prise de position, le SRC écrit que « seules les liaisons physiques » qui « contiennent du trafic de données transfrontalier [...] provenant d'une région pertinente pour une mission déterminée d'analyse » sont sélectionnées. Le service de renseignement affirme également que ces interceptions concernent uniquement les câbles reliant la Suisse à l'étranger. Il dit par exemple être en mesure de reconnaître les fibres au sein d'un réseau câblé qui acheminent des données de la Suisse vers la Syrie. Le SRC détecte si « une fibre est traversée par un important trafic à destination de la Syrie, indique-t-il. Avant de l' « analyser ».
Interrogé sur ce point par Republik, le SRC confirme ses explications. Tout en partageant un graphique censé démontrer comment le service analyse « uniquement les fibres d'un câble » qui contiennent des « communications provenant d'une région spécifique » comme la Syrie ou l'Irak (voir ci-dessous).
Dans sa correspondance avec la Société numérique, le SRC insiste à plusieurs reprises: il n'analyse aucune communication nationale. Le trafic entre deux personnes en Suisse s'effectue à l'intérieur des frontières nationales: « En règle générale, internet envoie les paquets à leur destination par le chemin le plus court », indique le service de renseignement dans une lettre.
Ces explications sur le fonctionnement d'internet ne sont pas seulement douteuses: elles sont fac-tuellement erronées. Et révèlent une compréhension hasardeuse du fonctionnement d'internet. Commençons par la « fibre à destination de la Syrie ». Fredy Künzler, ingénieur réseau et directeur d'Init7, un fournisseur d'accès à internet basé à Winterthour, explique: « Le routage internet en provenance et en direction de la Syrie n'a pas lieu sur des câbles statiques, il peut changer en permanence. » La table de routage, qui détermine la route empruntée par les paquets de données qui composent nos communications lorsque plusieurs chemins existent, évolue en continu.
L'affirmation du service de renseignement selon laquelle il peut détecter les fibres ayant un important trafic entre deux destinations précises est également en contradiction avec le fonctionnement du Border Gateway Protocol (BGP) - le protocole de routage qui permet d'interconnecter différents fournisseurs via internet.
Le BGP détermine en effet automatiquement le meilleur chemin pour l'échange de données en fonction de différents paramètres techniques. Il est intéressant de noter que le service de renseignement le reconnaît lui-mêmedans son rapport explicatif sur une nouvelle révision de la loi sur le renseignement. On y lit que « les flux de données internationaux sont acheminés via des réseaux très dynamiques dont le routage change rapidement et ne peut être prédit à long terme ».
Ce qui nous amène au deuxième point, la notion d' « internet suisse ». L'affirmation selon laquelle les paquets de données empruntent généralement le chemin le plus court est tout simplement fausse. Ne serait-ce que parce que les fournisseurs d'accès suisses sont reliés entre eux de manière différente. Tous ne souhaitent pas être connectés de manière globale, c'est-à-dire échanger des paquets de données avec n'importe quel autre fournisseur. Par conséquent, les paquets de données envoyés de A à B sont généralement acheminés via des câbles situés à l'étranger, avant de revenir à l'intérieur du pays. Pour reprendre les termes de l'ingénieur réseau Fredy Künzler: « L'idée qu'il existe un « internet suisse » est une illusion. »
Quelques exemples suffisent à le démontrer: lorsqu'un résident suisse consulte un site web hébergé à l'étranger - par exemple www.zalando.fr -, les données traversent la frontière. Les serveurs de messagerie de certains fournisseurs d'accès à internet se trouvent également dans des pays de l'Union européenne. Ceux de Sunrise et d'UPC Hispeed sont basés en Autriche et aux Pays-Bas. Une utilisatrice qui consulte ses e-mails UPC en Suisse transmet par défaut des paquets de données par-delà la frontière nationale et en reçoit en retour. De nombreuses entreprises suisses utilisent en outre des outils américains comme Slack pour leur communication interne. Là aussi, chaque message entre employés entraîne une « migration » des paquets de données à travers les frontières nationales, dans un sens et dans l'autre.
Une autoroute de l'information vers Zimmerwald
Dans ses prises de position, le service de renseignement reconnaît lui-même qu'il n'est pas possible de trier d'emblée le trafic de données entre participants « suisses ». Il écrit ainsi que les communications entre un émetteur et un récepteur en Suisse, qui passent par l'étranger, sont saisies lors de l'analyse du réseau câblé. En réponse à une nouvelle demande de Republik, le service de renseignement confirme: « Il est techniquement impossible de reconnaître les communications de type Suisse-étranger-Suisse dès leur émission [...] ».
Ce n'est que lors de l'examen des données réalisé à Zimmerwald qu'il est possible de vérifier si des communications numériques et l'utilisation d'internet de résidents suisses ont été enregistrées « par erreur », écrit-il dans l'un des documents.
Cela dément l'affirmation de l'ancien chef du service de renseignement Markus Seiler dans le Bund (disponible uniquement en version imprimée) du 14 juin 2016, qui suggérait que l'exploration du réseau câblé « n'est pas utilisée lorsque deux Suisses se parlent via une adresse de messagerie gérée par un fournisseur étranger ».
Les explications fournies prouvent donc ce que la Société numérique constatait dès 2019: le Centre des opérations électroniques conduit une surveillance de masse des télécommunications en Suisse.
Il est également clair que les analystes du COE procèdent à un contrôle manuel et détaillé du contenu des flux de données qui lui sont transmis. En d'autres termes: ils passent tout en revue. Ainsi, les services secrets écrivent que le cybercentre de Zimmerwald procède à un « examen du contenu des résultats de recherche s'ils concernent la Suisse ». L'examen des flux de données est également attesté par la tête du SRC. Son directeur depuis 2022, Christian Dussey, assure en effet dans une lettre que, depuis 2017, aucune communication entre un journaliste et sa source n'a été détectée dans les résultats de recherche.
Une telle affirmation implique que les messages filtrés sont bel et bien analysés au peigne fin. Ce que confirme Christian Dussey dans sa lettre: « Les indices concernant une personne conventionnellement protégée ne peuvent pas être reconnus de manière automatisée ni dans le cadre de la reconnaissance radio ni dans celui de l'exploration du réseau câblé. Cela nécessite une vérification manuelle de la part des analystes. »
« Recherche rétrospective » dans une botte de foin
Si, lors de l'évaluation, les analystes du Département de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) tombaient sur une communication entre des journalistes et leurs sources potentielles, « le Centre des opérations électroniques ne transmettrait les données concernées au SRC, en tenant compte du principe de proportionnalité, que si cela s'avérait nécessaire pour contrer une menace concrète. Sinon les données seraient supprimées », écrit Dussey. Là encore, le directeur du SRC confirme que les intérêts sécuritaires sont prioritaires par rapport à la protection des sources journalistiques - et que cette dernière n'est que théorique.
Les avocats et les journalistes doivent donc partir du principe que leurs communications avec leurs clients et leurs sources peuvent à tout moment être déviées vers Zimmerwald - et, selon l'interprétation de leur contenu, être transmises au service de renseignement.
Cette observation est d'autant plus explosive que le SRC reconnaît par écrit à la Société numérique que les données transférées à Zimmerwald y sont également enregistrées. Cela permet aux services secrets d'effectuer des « recherches rétroactives », comme ils l'ont reconnu dans une prise de position fin 2022. Il serait « dans la nature d'une mission d'exploration du réseau câblé que certaines données saisies ne se révèlent pertinentes qu'a posteriori ».
Combien de temps ces données sont-elles stockées? La porte-parole du SRC Isabelle Graber renvoie à l'Ordonnance sur le service de renseignement. Celle-ci stipule que toutes les données de communication saisies par le COE sont effacées au plus tard après dix-huit mois, les données de connexion (c'est-à-dire les métadonnées qui indiquent qui a communiqué avec qui et par quel canal) après cinq ans.
Le directeur de la Société numérique et informaticien Erik Schönenberger estime que « tout ce qui a déjà été scanné en termes de contenu sera probablement conservé pour la recherche rétroactive ». Les services secrets suisses font donc exactement ce que Les Vert·e·s et les vert'libéraux craignaient lors des débats parlementaires sur la loi en 2015. Ils ne cherchent pas de manière ciblée l'aiguille dans la botte de foin, mais accumulent le foin. Et les analystes fouillent laborieusement au travers de bottes qui s'empilent toujours plus haut.
Les méthodes d'analyse exactes du Centre des opérations électroniques - c'est-à-dire quelles informations sont obtenues et par quels moyens - demeurent par ailleurs floues. Actuellement, le COE recherche des ingénieurs en logiciels pour construire une plateforme de « traitement et d'analyse » des données de communication civiles interceptées.
Extension aux petits fournisseurs d'accès à internet
Le service de renseignement ne dit pas non plus quelles entreprises de télécommunications et fournisseurs d'accès à internet suisses doivent participer à l'exploration du réseau câblé. Une chose est claire: les trois plus grands, Swisscom, Sunrise et Salt, sont tous soumis au devoir d'information, comme ils l'ont confirmé à Republik. Ils rappellent cependant que la loi ne leur permet pas de parler de la mise en oeuvre de cette obligation.
Selon les recherches menées par Republik, il apparaît qu'en 2023, le service de renseignement a pris des mesures pour étendre l'exploration du réseau câblé. Plusieurs petits fournisseurs d'accès à internet ont été contactés par les autorités. Il y a deux mois, Fredy Künzler d'Init7 a reçu un «questionnaire » de Zimmerwald par lettre recommandée. Il s'agissait en réalité de fournir des indications précises sur l'infrastructure technique de l'entreprise, sur ordre du SRC.
Les questions écrites donnent des informations sur la manière dont le SRC met en place la surveillance sur le plan technique. Les fournisseurs d'accès à internet comme Init7 sont tenus d'apporter des indications techniques sur la manière dont ils transmettent les signaux, c'est-à-dire les communications. Et doivent répondre à la question de savoir si les paquets de données peuvent être copiés en temps réel sur leurs routeurs. Le COE veut également savoir comment l'accès aux centres de données est réglementé et s'il peut installer ses appareils de captation dans les locaux où ces derniers se trouvent, ce qui nécessite du matériel et de l'électricité. « Les informations sur l'infrastructure du réseau sont nécessaires pour déterminer le meilleur point d'interception possible et donc pour dévier les bons signaux vers le bon endroit », explique Isabelle Graber, porte-parole du SRC, contactée par Republik.
Et le SRC a encore étendu sa toile en 2023: il s'intéresse désormais aux câbles en fibre optique des services internet étrangers. Ce qui a suscité plusieurs procédures, actuellement en suspens devant la justice. Un fournisseur d'infrastructure suisse s'oppose ainsi devant le TAF à une décision en provenance de Zimmerwald, qui exige de pouvoir espionner les transmissions de ses clients étrangers à leur insu.
D'après les informations de Republik, il apparaît évident que le Centre des opérations électroniques ne communique pas avec les fournisseurs étrangers. Il s'adresse directement aux entreprises suisses qui sont en relation avec de tels acteurs, mais qui ne disposent pas elles-mêmes de lignes transfrontalières. Ce qui entre en contradiction avec les affirmations du service de renseignement. La porte-parole du SRC Isabelle Graber n'en démord pas: « Seuls les fournisseurs qui offrent des prestations publiques au sens de la loi sur les télécommunications (LTC) en trafic transfrontalier peuvent être soumis à un devoir de transparence. » Mais ce n'est pas le cas du fournisseur d'infrastructure suisse mentionné précédemment.
« Le monde politique doit s'emparer de cette question »
Les détracteurs de l'exploration du réseau câblé se sentent confortés par les résultats de l'enquête menée par Republik. Le conseiller national Fabian Molina (PS/ZH) s'était fortement engagé dans la campagne de votation en tant que président de la Jeunesse socialiste à l'époque. Pour lui, grâce à ces révélations, il est désormais évident « que les informations fournies à l'époque par le Conseil fédéral n'étaient pas correctes » et que « les droits fondamentaux des citoyennes et citoyens suisses sont massivement violés ». Les données pourraient également tomber entre de mauvaises mains. « Le monde politique doit s'emparer de cette question, ajoute-t-il. Le SRC outrepasse manifestement ses compétences. »
Le conseiller national Gerhard Andrey (Les Vert·e·s/FR), lui-même entrepreneur dans le numérique, se montre également peu surpris. Il rappelle que Les Vert·e·s avaient déjà demandé en 2015, lors des débats parlementaires sur la loi sur le renseignement, de « supprimer toutes les dispositions relatives à l'exploration du réseau câblé ». Selon lui, il apparaissait déjà clairement que le trafic interne à la Suisse serait lui aussi surveillé.
L'assurance donnée par le conseiller fédéral de l'époque, Ueli Maurer, encore chef du DDPS en 2015, était « manifestement fausse », estime Gerhard Andrey. Ueli Maurer avait alors tenu les propos suivants: « L'exploration du réseau câblé n'est possible que si l'un des partenaires est à l'étranger, pas si les deux sont en Suisse et que la communication passe par un serveur étranger. L'une des personnes concernées doit être située à l'étranger. »
Cette pratique va-t-elle être légalisée?
Il ressort de ces recherches que les politiques ont communiqué des informations erronées lors de la campagne de 2016. La déclaration de l'ancien chef du DDPS Guy Parmelin selon laquelle il n'y aurait pas de surveillance de masse se révèle fausse. Le trafic internet suisse est scanné et analysé. La Suisse n'a rien à envier à d'autres pays comme l'Allemagne, qui a légalisé la même pratique ces dernières années avec la loi sur le BND (Service fédéral de renseignement) et qui espionne jusqu'à 30% des communications sur internet.
L'année 2024 sera décisive pour l'extension ou l'endiguement de cette surveillance étatique. En effet, l'enjeu ne se limite pas à la décision que doit rendre le Tribunal fédéral administratif sur le litige qui oppose la Société numérique au SRC. Le DDPS prévoit également une nouvelle révision de la loi sur le renseignement.
Il avait déjà fait une première tentative en 2022, qui prévoyait notamment d'étendre l'exploration du réseau câblé aux Suisses se trouvant à l'étranger. Lors de la consultation, les critiques de la société civile ont été si nombreuses que le DDPS a dû revoir sa copie. La prochaine mouture est prévue pour le premier semestre 2024, comme le confirme le SRC à Republik. La réponse du Conseil fédéral à l'interpellation de la conseillère nationale Marionna Schlatter (Les Vert·e·s/ ZH), peu avant Noël, laisse entrevoir l'orientation de ce deuxième essai. L'utilisation jusqu'ici illégale par le SRC de certaines données pourrait être encadrée par une base légale.
On ne sait pas encore exactement ce que contiendra le nouveau projet. Mais les observateurs partent du principe que l'extension de l'exploration du réseau câblé y figurera à nouveau.
Cela reviendrait à légaliser a posteriori ce qui se produit de facto depuis longtemps. Car le fait que la surveillance du réseau câblé puisse être appliquée de manière ciblée à des profils individuels n'a jamais été autre chose qu'un mythe. En réalité, il s'agit d'un programme de surveillance de masse de la population résidente suisse.
Adapté de l'allemand par Michèle Rettig, Boris Busslinger et Grégoire Barbey. Dès demain, retrouvez dans nos colonnes les réactions politiques aux informations livrées ici.
Avocats et journalistes doivent partir du principe que leurs communications peuvent à tout moment être déviées vers Zimmerwald
« Le Service de renseignement de la Confédération outrepasse manifestement ses compétences »
FABIAN MOLINA, CONSEILLER NATIONAL (PS/ZH)
COMMENT FONCTIONNE LA SURVEILLANCE D'INTERNET SELON LE SRC
Seules les fibres du câble contenant des signaux transfrontaliers et des communications provenant d'une région spécifique sont sélectionnées (par ex., la Syrie et l'Irak)
Centre des opérations électroniques (COE)
Les données/formats de données non souhaités sont éliminés (p. ex., les spams, les vidéos, etc.)
Seules les données correspondant aux termes de recherche figurant dans le mandat d'exploration du réseau câblé sont traitées par les analystes.
Seules les informations pertinentes selon la loi sont traitées par les analystes du Centre des opérations électroniques.
Service de renseignement de la Confédération (SRC)
Le SRC ne reçoit que des informations pertinentes pour le renseignement et conformes à son mandat.
Source: Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS)
La correspondance entre la Société numérique, le Tribunal administratif fédéral et le Service de renseignement de la Confédération a été publiée dans son intégralité le 9 janvier 2024, sur le site web de la Société numérique.
En vidéo: Vos conversations ont peut-être déjà été lues par les services secrets suisses
Le Service de renseignement de la Confédération (SRC) analyse automatiquement les messageries, les e-mails et les recherches en ligne qui passent par la Suisse. Cela concerne donc aussi ses habitants, comme le relève une enquête du magazine Republik
https://www.youtube.com/watch?v=CB3vvfo2eh4
https://www.letemps.ch/cyber/les-suisses-n-echappent-pas-a-la-surveillance-etatique-d-internet
Nouveaux tests en vue d’un éventuel e-franc
Des actifs financiers représentés sous forme de jetons numériques ont pu être échangés entre des banques commerciales et avec la Banque nationale suisse, en utilisant les systèmes actuels, selon des tests effectués début décembre
Sébastien Ruche
Publié le 13 janvier 2022 à 14:32.
La Banque nationale (BNS) poursuit ses investigations en matière de monnaie numérique de banque centrale (MNBC ou CDBC selon l’acronyme anglophone). Dans un projet mené avec l’opérateur de la bourse suisse SIX et la Banque des règlements internationaux (BRI), l’institut d’émission a pu vérifier début décembre que des transactions d’actifs financiers représentés sous forme de jetons numériques (tokens) peuvent être effectuées en utilisant l’infrastructure bancaire existante. Ces nouveaux tests montrent que ce type d’opérations utilisant la technologie des registres distribués comme la blockchain peut être compatible avec les systèmes actuellement utilisés par les banques, selon un communiqué diffusé jeudi.
Sami Zaïbi
Publié le 13 septembre 2021 à 15:26. / Modifié le 11 juin 2023 à 00:27.
«Dans le monde de demain, soit on fait beaucoup de solaire, soit on installe 11 000 centrales nucléaires. Voilà.»
Christophe Ballif, directeur du Laboratoire de photovoltaïque de l’EPFL (PV-Lab)
L’énergie la moins chère et la plus écologique
Mis au courant de notre démarche sur la Suisse qui change depuis 1998 – année de fondation du Temps – notre guide a fait ses devoirs: «Il y a vingt-trois ans, les panneaux solaires les plus répandus, en silicium, avaient un rendement de 11%. Aujourd’hui, ce chiffre a doublé et la production solaire couvre 5% de la consommation suisse d’électricité, contre rien à l’époque. Quant aux coûts de fabrication, ils ont été divisés par 20. Désormais, c’est dans les grands parcs solaires que l’on produit l’énergie la moins chère, qui est aussi celle qui a le moins d’impacts sur la biodiversité.»
Neuchâtel, la Mecque du photovoltaïque
Nous nous trouvons au cœur du temple suisse du soleil: Innoparc, à Hauterive, non loin de Neuchâtel, dans les locaux du Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM). Derrière les façades quelconques de ces bâtiments vieillissants se joue peut-être ici l’avenir de la planète.
Dans cette course au photovoltaïque, le CSEM joue les premiers rôles. Ces dernières années, il a enchaîné les records mondiaux d’efficacité, notamment pour une cellule dans un module de verre et pour une cellule de pérovskite sur silicium. C’est sur cette dernière technologie que reposent les plus grands espoirs à moyen terme. Selon le directeur du PV-Lab depuis 2004, c’est grâce à elle qu’on pourrait imaginer, dans vingt-trois ans, atteindre des modules avec un rendement de plus de 30% à un prix accessible.
https://www.futura-sciences.com/planete/definitions/geologie-perovskite-4808/
La pérovskite est un minéral composé d'oxyde de calcium et de titane de formule CaTiO3 et décrit pour la première fois en 1839.
Elle tient son nom du minéralogiste russe L. A. Perovski (1792-1856), qui l'a découverte dans les montagnes de l'Oural. C'est un minéral noire ou brun-rouge, d'aspect métallique, assez rare et que l'on retrouve associé à du métamorphisme de contact.
Dans ce secteur solaire, les chercheurs s'intéressent particulièrement aux pérovskites hybrides, comprenant à la fois des composés organiques et des composés inorganiques comme par exemple le CH3NH3PbI3.
https://www.letemps.ch/economie/immobilier/solaire-quartier-neuchatel
A Neuchâtel, la révolution solaire est partout. En traversant la ville à vélo, il semble que les toits sont davantage équipés qu’ailleurs, ce que confirme une étude du WWF parue en 2020, selon laquelle le canton de Neuchâtel est celui qui exploite le mieux son potentiel solaire. Sur les hauts de la ville, on découvre avec étonnement la nouvelle façade d’UniMail, un des bâtiments de l’Université de Neuchâtel, inaugurée cet été et entièrement couverte de panneaux solaires. Une première en Suisse.
«Ce moai se trouve au centre d'une lagune qui a commencé à s'assécher en 2018», a expliqué à l'AFP Ninoska Avareipua Huki Cuadros, directrice de la communauté indigène Ma'u Henua. «Ce qui est intéressant c'est que, au moins au cours des 200 ou 300 dernières années, la lagune a eu une profondeur de trois mètres, donc aucun être humain n'aurait pu laisser ce moai là»
Temps fort, jeudi 24 août 2023 1837 mots, p. 3
Les étranges largesses de Fabienne Fischer, ex-ministre
ENQUÊTE
LAURE LUGON ZUGRAVU
GENÈVE L'ancienne conseillère d'Etat verte a octroyé des mandats à deux associations dont son compagnon était proche, malgré des préavis négatifs de son département. Près de 300 000 francs d'argent public ont été dépensés pour des rapports et analyses
page 3
@laurelugon
On connaissait le goût prononcé de l'ancienne conseillère d'Etat verte Fabienne Fischer pour l'économie circulaire, durable et solidaire ainsi que le commerce de proximité. Ce qu'on ne savait pas, c'est que la ministre écologiste chargée du Département de l'économie et de l'emploi (DEE) entendait aussi la solidarité et la proximité au sens littéral.
Selon l'enquête du Temps et de la chaîne de télévision Léman Bleu, il s'avère en effet que Fabienne Fischer a octroyé des mandats pour des projets portés de près ou de loin par son compagnon, Jean Rossiaud, à travers deux associations. Selon les documents qui nous ont été délivrés en vertu de la loi sur la transparence, cela représente 283 000 francs d'argent public. Et ce, malgré plusieurs préavis négatifs émanant de son propre département.
Cette nouvelle histoire intervient dans un contexte déjà chahuté pour l'ancienne conseillère d'Etat, à qui il est reproché d'avoir utilisé des fonctionnaires du département pour sa campagne électorale. Pire: ces derniers recevaient même des instructions de Jean Rossiaud, selon Léman Bleu. Une dénonciation pénale a été déposée par le député MCG Daniel Sormanni et une procédure est actuellement dirigée par le procureur général Olivier Jornot.
Lorsque Fabienne Fischer est élue en avril 2021 en grillant la politesse à Pierre Maudet, tout juste condamné en première instance par le Tribunal de police pour acceptation d'un avantage, elle fait de la probité et de la confiance un slogan. En avril dernier, elle ne se prive pas de tacler son adversaire sur ce terrain, sans l'emporter cette fois. Si l'éthique en politique lui est chère, Fabienne Fischer est aussi animée par des convictions écologistes et sociales solidement ancrées qu'elle promet d'appliquer à l'économie. Au point que certaines entreprises de la place la considéraient, au mieux, comme une « mère la morale ». Des convictions qu'elle partage avec son compagnon Jean Rossiaud, élu à plusieurs reprises au Grand Conseil entre 2003 et 2021.
Le souci d'intégrité
Lorsque sa partenaire accède au gouvernement, Jean Rossiaud remet sa charge de député pour éviter tout conflit d'intérêts. Animé par le même souci d'intégrité, il démissionne aussi des instances dirigeantes des associations dans lesquelles il est actif: Monnaie Léman, un projet de monnaie alternative, qu'il préside et qu'il a lui-même fondée en 2015, et l'association Après, le réseau de l'économie sociale et solidaire. Ces deux structures ont pignon sur rue à la même adresse et partagent le même coordinateur, Antonin Calderon.
Mais à la posture morale affichée publiquement, il existe un envers du décor. Alors que l'association Après n'avait jamais reçu un sou de l'Etat, elle va convaincre la nouvelle ministre de débloquer des fonds. Le 1er septembre 2022, un premier mandat de 98 000 francs lui est alloué. Si le projet est formellement porté par cette entité, figurent aussi dans le comité de pilotage des représentants de Monnaie Léman. A quoi va servir cet argent? A une étude de faisabilité de la plateforme « GE consomme local », dédié à la vente de biens et services locaux, la version genevoise de Smarket-Place. Le concept en est venu à Jean Rossiaud et Antonin Calderon lors d'un hackathon organisé en 2020 par Pierre Maudet, alors ministre de l'économie.
Pour les non-initiés, il est difficile de comprendre le jargon abscons de ce projet où il est question d'une méta-plateforme pour le commerce local. Les honoraires, eux, seront utilisés à des « rapports, analyses, études de faisabilité et discussions stratégiques ». Un point décontenance quelque peu: le « déploiement d'une dynamique à l'échelle européenne ». Même si Genève rayonne, cela paraît ambitieux.
Des fonctionnaires s'en émeuvent. Selon nos informations, ils s'interrogent sur l'utilité du projet, insistent sur l'existence de plateformes similaires, s'inquiètent de voir allouer certains montants à des experts externes. Les préavis négatifs se succèdent. Mais la ministre passe outre les remarques et signe le mandat. Il faut dire que la loi ne l'empêche nullement. Pour les sommes inférieures à 250 000 francs, un département peut accorder un mandat de gré à gré sans appel d'offres mais après un examen approfondi. Et rien n'empêche la ministre d'avoir raison, seule contre tous.
Alors, où est le problème? Plusieurs interventions de Jean Rossiaud démontrent qu'il en demeure un promoteur investi. Sur un blog du 7 février 2023, il se félicite d'avoir décroché le mandat pour SmarketPlace: « Après et Monnaie Léman viennent de terminer un premier mandat pour l'Etat de Genève. La question était: comment décliner localement SmarketPlace, notre application blanche, libre et open source, universelle et réplicable, spécifiquement dans la région de Genève, avec les particularités de son tissu économique et social? » Ensuite: « Après ce premier financement octroyé par l'Etat de Genève, nous montons actuellement des projets européens. »
Pas besoin d'appel d'offres
Forte de ce succès, l'association Après, pilotée par Antonin Calderon, va solliciter à nouveau le département. Le 31 octobre 2022, Fabienne Fischer valide un mandat de 80 000 francs pour une « étude de diagnostic-quartier », trois jours seulement après avoir reçu l'offre. Là encore, à la lecture, la perplexité l'emporte. Il est question d' « analyser les différents types de commerces dans les quartiers cibles, les modèles d'affaires existants, ou encore de déterminer les habitudes et besoins ». Portée par Antonin Calderon, cette idée apparaît cependant dans une intervention de Jean Rossiaud sur un blog, le 3 mai 2022.
Ce même jour, un troisième mandat de 50 000 francs est octroyé à Après par Fabienne Fischer, pour accompagner et soutenir des entreprises de l'économie sociale et solidaire, en renouvellement d'une première année de financement. Où l'on découvre qu'un milieu associatif, par définition peu rompu au monde économique, se promet de « renforcer les compétences entrepreneuriales » de 11 sociétés. Pour éviter tout malentendu, le document spécifie qu'il ne s'agit « pas forcément que d'associations et de coopératives ». Piquant.
Ce sont donc à ce stade 228 000 francs d'argent public - dont 98 000 concernent directement un projet cher à Jean Rossiaud - qui ont été dépensés sans recours aux règles encadrant les marchés publics, puisque le seuil est fixé à 250 000 francs d'un seul tenant. Au-delà, un appel d'offres s'impose.
Quoi qu'il en soit, en avril dernier, un mandat de 55 000 francs est encore octroyé à Monnaie Léman. Cette fois, il est payé pour moitié par le DEE et pour l'autre par le Département du territoire (DT) d'Antonio Hodgers. Pourquoi? « Le DT a décidé de participer au financement de cette étude sous l'angle de la politique publique du développement durable », répond Pauline de Salis, porte-parole du département. Elle mentionne que des projets de monnaie locale ont été développés dans différents pays et qu'il s'agissait d'analyser si la chose pouvait servir l'économie genevoise de proximité. Quelles précautions ont-elles été prises pour éviter l'éventuel conflit d'intérêts? « Le DT a vérifié que l'objectif du mandat réponde à un intérêt avéré pour son action. En aucun cas il ne s'est agi de financer l'association pour elle-même. Par ailleurs, à aucun moment Jean Rossiaud n'a été en contact avec le département sur ce mandat », note Pauline de Salis.
Cette somme doit permettre de mesurer l'impact de cette monnaie alternative durable pour dynamiser l'économie locale. Ici, quelque explication s'impose. Garantissant l'absence de spéculation, Monnaie Léman est une monnaie complémentaire au franc suisse et valable dans certains commerces de proximité qui en ont bien voulu. Mais avec 450 000 lémans en circulation à Genève et dans la zone transfrontalière, soit l'équivalent de 450 000 francs, l'affaire est plutôt confidentielle. Il n'en demeure pas moins que la ministre de l'économie semble porter grand cas à cette marotte de son compagnon. Si Jean Rossiaud n'a plus de rôle dirigeant dans l'association, il en fait cependant la promotion. Il accorde par exemple un entretien le 8 juin 2022 au site Moneta.ch, où il explique être « en discussion avec les communes » pour que certains services publics puissent être réglés dans cette monnaie: « On doit expliquer, convaincre, sensibiliser les différents acteurs aux avantages d'un tissu économique parallèle. »
En décembre 2022, c'est encore Jean Rossiaud qui signe un rapport de Monnaie Léman sur un mandat réalisé pour le compte de la ville de Vevey et dont il a présenté les résultats à la municipalité en novembre 2021.
« Aucun avantage personnel retiré de ces mandats »
Si les deux associations ont refusé de nous rencontrer, elles ont répondu par écrit: « Nous pouvons vous assurer que Jean Rossiaud n'a jamais tiré aucun avantage personnel, même indirect, au travers de l'association Monnaie Léman, pour laquelle il a toujours oeuvré à titre bénévole depuis son lancement. » Monnaie Léman ajoute qu'elle ne voit « aucun problème » aux interventions de Jean Rossiaud, expliquant que l'intéressé a démissionné du comité en mars 2022. Selon nos informations, les discussions avec le département ont débuté au printemps 2022. De son côté, Après note que Jean Rossiaud, comme simple membre, « se limitait à organiser et participer à des échanges de bonnes pratiques avec des mouvements similaires dans le monde ainsi que de produire des écrits informatifs pour des réseaux internationaux sur les activités que nous développons à Genève. Tout au plus a-t-il fait usage de ses droits de vote et de validation lors des assemblées générales en tant que membre ordinaire. »
Interrogée sur le destin de ce dernier mandat dont elle a hérité, la nouvelle ministre du DEE, la centriste Delphine Bachmann, répond: « Ce mandat se terminera prochainement. L'attribution ayant été faite durant la précédente législature, je n'ai pas de commentaire à faire. » Quant à la poursuite de cette politique: « A ce stade et hormis le mandat sur le point d'être clôturé avec Monnaie Léman, il n'y a pas d'autres mandats en cours actuellement avec Après ou Monnaie Léman. »
Sollicitée, Fabienne Fischer n'a pas accusé réception de nos demandes. Jean Rossiaud, s'il n'a pas répondu à nos questions, nous a fait parvenir une déclaration par l'intermédiaire de ses avocats, Guglielmo Palumbo et Gabrielle Peressin. Cette déclaration a été publiée mardi soir par la Tribune de Genève, qui a été informée de cette affaire et en a fait un article démentant notre enquête... laquelle n'avait pas encore paru. En substance, les avocats de Jean Rossiaud dénoncent des « attaques politiques qui manquent de sérieux », affirment que « Jean Rossiaud n'a reçu aucun mandat et n'était pas membre du comité des associations concernées tant au moment de l'attribution des mandats que lors de leur mise en oeuvre ». Ils ajoutent: « Son engagement notoire et de longue date pour la cause idéale de l'économie durable, sociale et solidaire n'engendre aucun conflit d'intérêts. Il n'a pas tiré le moindre avantage personnel des mandats en question, dont l'intérêt public est indiscutable. » Le citoyen jugera.
« Après ce premier financement octroyé par l'Etat de Genève, nous montons actuellement des projets européens »
JEAN ROSSIAUD, PROMOTEUR D'APRÈS ET DE MONNAIE LÉMAN
Des cryptos pour l’apport en nature
Autre caractéristique souvent entendue durant cette journée de rencontres et de conférences, la bienveillance et la disponibilité des autorités neuchâteloises et de la banque cantonale locale envers les cryptos, que le grand public associe souvent à diverses arnaques et à l’instabilité du bitcoin. Ce n’est pas que l’administration locale ait eu des affinités particulières avec la blockchain ou des compétences technologiques particulières. «Les autorités ont l’habitude des hautes technologies déjà présentes dans le canton, dans la microtechnique ou l’horlogerie par exemple, qu’elles ne comprennent pas non plus en détail, mais elles savent comment les accompagner», analyse un autre participant.
Publié le 18 juin 2023 19:43. Modifié le 19 juin 2023 16:47.
Attention, danger. Alors que les yeux étaient rivés ces derniers jours sur le piratage de dizaines de sites web en Suisse, une autre attaque, aux conséquences autrement plus dangereuses, avait eu lieu. Une attaque totalement séparée de celle menée par le groupe de hackers pro-russes baptisé NoName. On parle ici du piratage de la société alémanique Xplain, un fournisseur de solutions informatiques et technologiques à de très nombreux services de la Confédération. Les pirates qui ont ciblé Xplain ont mis leur menace à exécution, mettant en ligne un volume gigantesque de données de 907 gigaoctets. Et parmi ces données, des informations très sensibles liées à plusieurs services de l’Etat.
Le 2 juin, Le Temps révélait l’ampleur du piratage de la société Xplain. Six fichiers compressés contenant au total des milliers de documents d’un total de près de trois gigaoctets avaient été mis en ligne par les pirates. On y voyait des informations de nombreux projets informatiques menés avec Fedpol et plusieurs polices cantonales: contrats, spécifications techniques, identifiants pour accéder à certains services…
VOTATION Le ministre de la Santé, Alain Berset, entre en campagne pour la loi Covid-19. Il souligne l'importance de sortir de la pandémie « de manière ordonnée » . L'attestation de vaccination ou de guérison ne servira plus qu'aux voyageurs en ayant besoin à l'étranger
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Pour la troisième fois en deux ans, le peuple est appelé à se prononcer sur la loi Covid-19. Le 13 juin et le 28 novembre 2021, il avait approuvé à une majorité de plus de 60% une loi dont les enjeux étaient des soutiens financiers et la légitimité du certificat covid. Aujourd'hui, cette loi n'est prolongée jusqu'en juin 2024 que pour le développement de nouveaux médicaments et le maintien du certificat covid pour les Suisses qui en auraient besoin à l'étranger. Mais les référendaires, qui ont toujours dénoncé la « société à deux vitesses » qu'avait créée ce certificat, jugent qu'il est grand temps d'abroger cette loi.
Le 5 mai dernier, le directeur de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a décrété la fin de l'urgence sanitaire concernant la pandémie de covid. Ne serait-il pas temps d'abroger aussi la loi Covid-19?
Non, ce serait une erreur. N'oublions pas ce qu'a immédiatement ajouté le directeur de l'OMS, je le cite: « La pire chose qu'un pays puisse faire maintenant serait d'utiliser cette nouvelle pour baisser sa garde et démanteler les systèmes qu'il a construits. » Dès le début de la pandémie, il a été reproché aux autorités de ne pas avoir été bien préparées et d'avoir agi dans l'urgence, en recourant notamment au droit de nécessité. Aussi, la moindre des choses est aujourd'hui de rester vigilant, et de sortir de manière propre et ordonnée de cette pandémie. La votation porte sur une prolongation de la loi jusqu'en juin 2024, puis ce sera terminé.
Si 60% des votants ont dit oui lors des deux premières votations, c'est parce que la loi comprenait des mesures financières de soutien, puis soulignait l'importance de la vaccination. Le contexte n'est-il pas totalement différent avec ce retour à la normalité?
C'est bien la raison pour laquelle le contenu de la loi a lui aussi complètement changé. On nous a plusieurs fois reproché de ne pas en avoir assez fait pour les personnes atteintes d'un covid long. Avec l'appui du parlement, nous avons donc lancé un programme de recherche spécifique, qui a abouti au développement de deux médicaments très prometteurs. En cas de rejet le 18 juin, le processus serait interrompu, au détriment des personnes qui attendent ces traitements.
N'êtes-vous pas là à la solde du lobby pharmaceutique?
Ce reproche est ridicule. C'est bien le contraire qui est vrai! En mars dernier, c'est le parlement qui nous a demandé de soutenir le développement de ces médicaments. L'un concerne les personnes atteintes d'un covid long et l'autre les patients vulnérables qui ont des parcours difficiles dans la maladie.
La loi maintient le certificat covid alors que celui-ci a profondément divisé la société. Pourquoi?
Que les choses soient claires: je ne vois aucune raison pour laquelle, en Suisse, le certificat pourrait être réintroduit.
Sûr? Oui, c'est terminé! Si nous devons maintenir cette base légale, c'est uniquement pour permettre les voyages dans les pays qui l'exigent encore. Cela peut être le cas pour passer la frontière, parfois pour accéder à une conférence ou à un événement particulier. Actuellement, en Suisse, plus de 20 000 personnes par mois se font encore délivrer un certificat. C'est beaucoup.
Les Etats-Unis et le Japon ont levé ce genre de restrictions. Quels pays les exigent encore?
On peut actuellement citer le Brésil et l'Indonésie, mais cette liste évolue chaque semaine. L'essentiel est pourtant ailleurs: dans tous les cas, nous n'avons aucune influence sur les décisions prises par d'autres pays en cas de rebond de la pandémie. Il s'agit donc d'un service que l'on doit pouvoir continuer d'offrir à la population. Et comme l'infrastructure est en place, utilisons-la!
Les référendaires craignent tous le retour d'une Suisse à deux vitesses. Quel message leur adressez-vous?
Cette inquiétude est infondée, il s'agissait plutôt d'un prétexte pour lancer un nouveau référendum. N'oublions pas que les mesures pour lutter contre la pandémie sont réglées par la loi sur les épidémies, et non pas dans la loi covid sur laquelle nous votons le 18 juin.
C'est la troisième fois que nous votons sur la même loi en deux ans. Est-ce un déni de démocratie de la part des référendaires?
Pas du tout. Le référendum est un droit populaire, et c'est très bien ainsi. Il faut aussi reconnaître qu'au fur et à mesure de l'évolution de la pandémie, de nombreuses adaptations ont été apportées à cette loi, afin de répondre au mieux aux besoins du pays. Les conditions ont donc beaucoup changé. Au début, il s'est agi avant tout d'indemniser les entreprises et les indépendants touchés de plein fouet par la crise. Ensuite, il a fallu donner une base légale au certificat. Aujourd'hui, la loi covid est avant tout un outil de prévention. Elle ne contient plus que quelques dispositions et plus aucune mesure contraignante.
La Suisse serait-elle aujourd'hui mieux préparée face à une nouvelle pandémie qu'elle ne l'a été en janvier 2020?
Cette question n'est pas liée à la votation, mais j'y réponds volontiers. Oui, je suis persuadé que nous avons beaucoup appris. Nous disposons désormais toutes et tous d'une grande expérience: les institutions fédérales, les cantons, les communes, les entreprises, les individus aussi. Nous saurions identifier les problèmes et réagir beaucoup plus rapidement. Et puis, sur la base de toutes les études réalisées jusqu'ici, la loi sur les épidémies va être retravaillée. Les enjeux sont multiples et concernent des questions comme le développement des nouveaux médicaments ou la protection particulière des personnes les plus vulnérables. C'est un débat qui va beaucoup nous occuper ces prochaines années.
Publié jeudi 27 avril 2023 à 07:46
Modifié jeudi 27 avril 2023 à 16:06
Le climat, parent pauvre de l'AG de la Banque nationale suisse
MATHILDE FARINE
BANQUE CENTRALE Il n'y aura pas de votes sur trois résolutions déposées par des actionnaires à l'occasion de l'assemblée générale de la BNS qui se tient aujourd'hui. Le sujet devrait néanmoins animer les interventions, de même que celui du sauvetage de Credit Suisse et des pertes en 2022
Après la perte record de 2022 (132,5 milliards de francs), la Banque nationale suisse (BNS) est de retour dans les chiffres noirs. Pour le premier trimestre 2023, elle a réalisé un bénéfice de 26,9 milliards de francs, a dévoilé la banque centrale dans un communiqué publié jeudi matin. Si l'année commence bien, c'est grâce à la hausse des actions, de l'obligataire et de l'or. L'évolution du franc a en revanche pesé sur le bénéfice.
Les résultats financiers seront l'un des sujets de l'assemblée générale (AG) qui doit se tenir aujourd'hui à Berne. D'autant plus que la perte abyssale de 2022 empêchera toute distribution de bénéfice. Mais ce ne sera pas le seul sujet.
Plan de transition
Début février dernier, quelque 150 actionnaires, réunis par l'Alliance climatique suisse, déposaient trois résolutions en vue de l'assemblée générale de la Banque nationale suisse. Ces petits porteurs demandaient avant tout à l'institution de se montrer plus « respectueuse de l'environnement et responsable face à la crise climatique », selon les termes de Myriam Grosse, collaboratrice spécialisée dans la place financière et le climat pour l'Alliance climatique suisse.
Si les actionnaires remplissaient les conditions pour déposer leurs questions, ces dernières ne figureront pourtant pas à l'ordre du jour de l'assemblée. Contactée, la Banque nationale suisse ne donne pas d'explications et renvoie à son ordre du jour, dans lequel les questions ne figurent effectivement pas.
Les actionnaires souhaitaient notamment que la banque centrale s'aligne sur les objectifs de l'Accord de Paris sur le climat et élabore un plan de transition pour elle-même d'ici à la fin de l'année, de même que des mesures réglementaires pour le secteur financier de façon à intégrer les risques liés au climat et à la biodiversité. La Banque nationale suisse exclut les investissements dans le charbon, par exemple, mais pas ceux dans le pétrole ou d'autres secteurs fortement polluants.
Malgré le refus de mettre ces questions à l'ordre du jour, l'ONG et les actionnaires promettent d' « exiger de la direction générale de la BNS une politique climatique et environnementale cohérente dans leurs interventions à l'assemblée générale », selon un communiqué diffusé mi-avril.
Ils veulent notamment montrer comment les « investissements de la Banque nationale suisse dans les entreprises fossiles ont un impact réel sur la réalité de la vie d'innombrables personnes » à l'instar de TotalEnergies, dans lequel elle a investi un demi-milliard, selon leurs calculs. Or le groupe français veut construire un oléoduc de 1443 kilomètres en Ouganda et en Tanzanie qui représente selon l'Alliance une « destruction de l'environnement » qui suscite une forte opposition dans les deux pays de même qu'en République démocratique du Congo.
Rôle dans le sauvetage de Credit Suisse
Autre sujet qui sera certainement abordé dans des interventions, celui du rôle de la Banque nationale suisse dans le sauvetage de Credit Suisse. Elle lui a mis à disposition des dizaines de milliards de liquidités avant et après le rachat par UBS. Lors de la publication des résultats de Credit Suisse, lundi, on apprenait qu'elle avait emprunté jusqu'à 168 milliards. Elle en a déjà remboursé près de 80 milliards.
Fait rare parmi les banques centrales, la Banque nationale suisse est cotée en bourse, ce qui explique la tenue de cette assemblée générale. Mais les droits des actionnaires sont plus limités que ceux des entreprises classiques. Le dividende, par exemple, est plafonné, même s'il n'y en aura de toute façon certainement pas cette année. En outre, les votes des actionnaires privés sont limités à 100 actions. Ce sont les cantons qui ont la majorité (près de 60% des voix). L'un d'entre eux, Neuchâtel, avait d'ailleurs annoncé qu'il soutiendrait les propositions de l'Alliance climatique. Mais c'était avant de savoir qu'aucun vote sur ce sujet n'aurait finalement lieu.
26,9 milliards
Au premier trimestre 2023, la Banque nationale suisse a gagné 26,9 milliards de francs.
Publié jeudi 27 avril 2023 à 04:55
Modifié jeudi 27 avril 2023 à 06:58
A l'instar du Brésil, l'Argentine va désormais payer ses importations chinoises en yuan plutôt qu'en dollars, a annoncé mercredi le ministre de l'Economie Sergio Massa.
«Suite à l'accord avec les différentes entreprises, la Banque populaire de Chine et la Banque centrale argentine, nous avons rééchelonné l'instrument de paiement de plus de 1,04 milliard de dollars pour ce mois-ci, pour les importations en provenance de Chine», a annoncé Sergio Massa au côté de l'ambassadeur de Chine à Buenos Aires, Zou Xiaoli. Il a ajouté qu'il sera possible de «programmer un volume d'importations en yuans d'une valeur (équivalente à) plus d'un milliard de dollars à partir du mois prochain, ce qui remplacera l'utilisation des dollars».
Cet abandon du dollar dans les transactions avec la Chine «améliore les perspectives des réserves nettes de l'Argentine» et «permet de maintenir le niveau d'activité, le volume des importations, le rythme des échanges entre» les deux pays et «les niveaux de fonctionnement économique dont l'Argentine a besoin», a-t-il ajouté.