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avant la fondation des premières villes mésopotamiennes, dont l’Uruk de l’Épopée de Gilgamesh est l’archétype scolaire. On doit la découverte et l’étude des « mégasites » urbains ukrainiens de la culture Cucuteni-Trypillia à des chercheurs du bloc de l’Est durant la guerre froide, ce qui explique le peu de retentissement que leurs travaux ont eu jusqu’à nos jours.
La remarquable fertilité du sol, avec ces paysages steppiques typiques de l’Holocène formant à perte de vue un damier de prairies ouvertes et de forêts, dans ce qui allait devenir bien plus tard la Moldavie et l’Ukraine, entre les Carpates et l’Oural, y a attiré des peuples néolithiques originaires du Danube inférieur. Ils ont pratiqué là entre 4100 et 3300 avant J.-C., pendant près de huit siècles, à proximité immédiate de leurs sites d’implantation, une forme d’agriculture « dilettante »[4], et néanmoins complexe, alliant harmonieusement jardinage, élevage, entretien de vergers, chasse et cueillette, sans aucune trace d’épuisement des ressources, malgré des densités urbaines impressionnantes (plus de 10 000 habitants sur certains mégasites). Autre trait singulier : durant ces huit siècles de présence, cette culture n’a connu quasiment aucun conflit guerrier ni vu l’émergence d’une quelconque aristocratie à visée impériale. La décoration des ustensiles du quotidien laisse même entrevoir la place prééminente qu’y tenaient les femmes.
Mais c’est la structure même des villes, uniforme d’un site à l’autre, chaque site étant distant de son voisin de 10 à 15 kilomètres, qui révèle une organisation sociale déjouant les représentations ordinaires que nous nous faisons de l’aube civilisationnelle, avec ses héros fondateurs et ses prêtres-rois mythiques plus ou moins mégalomaniaques. Les mégasites ukrainiens, dont le plus grand connu, Taljanky, occupe une superficie de plus de 300 hectares, ont une forme circulaire, avec une concentration des habitations sur leur pourtour, dégageant un grand vide en leur centre, là où nous attendrions un ensemble administratif, une acropole-sanctuaire ou palatiale. Nous ignorons la ou les fonctions de cet espace immense pouvant contenir l’équivalent de deux grandes villes néolithiques anatoliennes : forum, place cérémonielle et/ou enclos à bétail ? En revanche, l’organisation de la partie habitée en quartiers aux limites mouvantes, marquées par des fossés ou des tranchées, chacun d’eux possédant une « maison commune » (dédiée peut-être aux activités politiques et judiciaires, et/ou aux festivités saisonnières), plus imposante que les autres, matérialise clairement un grand dynamisme des interactions sociales et familiales, au-delà du nombre de Dunbar[5], dans un cadre conceptuel partagé égalitaire, que l’ethnomathématique rapproche de celui des implantations traditionnelles basques des piémonts pyrénéens. Un tel schéma d’aménagement, très sophistiqué, et pas encore tout à fait déchiffré pour ce qui est de l’exemple ukrainien, où chaque maisonnée doit faire avec des voisins à sa droite comme à sa gauche, sans que personne ne puisse se croire le premier ou le dernier, favorise l’entraide et le roulement des tâches communautaires, de même qu’une exploitation raisonnée du biotope.
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Reconstitution du mégasite ukrainien de Taljanky © Wikipédia CC
L’un des principaux apports du livre de Graeber et Wengrow réside dans cette révélation, qu’il nous est difficile d’admettre, nous, Occidentaux, que d’autres formes de démocratie ont été expérimentées avant et après le moment athénien, très contraint par l’esclavage, la xénophobie et le sexisme régnant alors dans le monde grec, sur tous les continents et à de vastes échelles organisationnelles. Il se peut fort bien, une fois admis que nous ne détenons aucun monopole en la matière, que nous découvrions un jour des attestations plus anciennes encore que l’exemple ukrainien. On remarquera au passage que la découverte de ces cités ukrainiennes démocratiques du Néolithique est due à des savants travaillant pour un régime autoritaire qui, tout soviétique qu’il se prétendait, avait écrasé la démocratie des soviets, et qu’à l’inverse, nos très jeunes républiques démocratiques, si promptes à donner des leçons de libéralisme politique au monde entier, continuent largement d’ignorer des formes anciennes et non occidentales de démocratie, tout en cultivant une fascination mortifère pour les grands chefs à plumes et les pompes princières, dont on peut lire les effets dans l’organisation spatiale de nos métropoles et l’architecture du pouvoir. Souvenons-nous que les Lumières s’étaient choisi Sparte, et non Athènes, pour modèle. C’est en partie la raison pour laquelle la Révolution française envoya des « missionnaires armés », pour reprendre l’expression critique de Robespierre, répandre par le monde son évangile de liberté, d’égalité et de fraternité, préparant le terrain à l’Empire et à la restauration de l’ordre ancien sous un vernis bourgeois.
La Fondation Gates donne 1,9 million d’euros au «Monde»
8 octobre 2019 Par Laurent Mauduit
Comme toute la presse, Le Monde est gorgé de subventions publiques et d’aides apportées par Facebook. Mais pour son supplément Afrique, le quotidien perçoit aussi des subsides de la Fondation Gates: 2,1 millions de dollars en 2019.
La rédaction du Monde s’est enflammée ces dernières semaines quand elle a appris que le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky pourrait racheter les parts du banquier Matthieu Pigasse et entrer comme actionnaire direct du groupe de presse. Si le conflit s’est finalement apaisé, après la signature d’un droit d’agrément préalable à l’entrée de tout nouvel actionnaire, la dépendance du journal à l’égard de mécènes qui ne sont pas toujours désintéressés n’en reste pas moins spectaculaire. Et de cela, il est moins souvent question au sein de la même rédaction, même si le journal est gorgé de subventions privées, comme en atteste les dons effectués par le milliardaire américain Bill Gates au profit du supplément « Afrique » du journal.