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Cette étude examine les réactions des participants aux études de Milgram sur l'obéissance à l'autorité afin de réorienter le débat théorique et éthique. Les discussions précédentes sur ces réactions se sont concentrées sur le fait que les participants étaient ou non en détresse. Nous apportons la preuve que la caractéristique la plus marquante des réactions des participants - et celle qui nécessite le plus d'explications - n'est pas leur absence de détresse mais leur bonheur d'avoir participé. En nous appuyant sur le contenu de la boîte 44 des archives Milgram de Yale, nous soutenons que ce bonheur est le résultat de la capacité de l'expérimentateur à convaincre les participants qu'ils contribuaient à une entreprise progressiste. Cette preuve s'accorde avec un modèle de suivi engagé dans lequel (1) la volonté d'accomplir des tâches désagréables dépend de l'identification avec les objectifs collectifs et (2) les leaders cultivent l'identification avec ces objectifs en les faisant paraître vertueux plutôt que vicieux et en atténuant ainsi le stress que leur réalisation entraîne. Cette analyse est incompatible avec le modèle d'état agentique de Milgram. De plus, elle suggère que le problème éthique majeur de ses études réside moins dans le stress qu'elles généraient pour les participants que dans les idéologies qui étaient promues pour améliorer le stress et justifier le fait de nuire à autrui.
Les sujets qui poussent la punition jusqu’au voltage maximum – qui ne sont pas la majorité, contrairement aux affirmations de Milgram – «ne sont pas des gens qui obéissent comme des robots et qui somnambulent dans la tyrannie: ils agissent parce qu’ils ont pris une décision, et ils sont activement engagés dans le processus», explique au téléphone Alexander Haslam, de l’Université du Queensland à Brisbane (Australie), coauteur de l’étude. Dans ce processus, Milgram lui-même joue un rôle crucial et inavoué, celui d’un leader qui crée un mécanisme d’identification à un bien supérieur – la science – lequel vaut bien, au passage, quelques cruautés.
Pour étayer son point de vue, le récit de Milgram fait l’impasse sur plusieurs points. L’étendue de la désobéissance, par exemple: «En réexaminant les résultats, on voit que lorsque les sujets étaient clairement confrontés à l’idée que les chocs faisaient du mal, ils arrêtaient.» Mais aussi le fait que de nombreux participants perçaient l’illusion et ne croyaient pas à la réalité des décharges.
«En réalité, il était conscient, et très lucide, à propos des failles de son expérience. Les documents le montrent s’avouant à lui-même que sa méthodologie est viciée. Mais ces confessions à usage personnel s’arrêtent lorsque l’expérience devient célèbre. Il adopte alors une attitude purement défensive et ne s’accorde plus aucune place pour les ruminations», constate Gina Perry.