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La prochaine économie doit être guidée par les besoins humains et écologiques plutôt que par le profit.
par les besoins humains et écologiques plutôt que par le profit.
Et elle sera en réseau.
Depuis des siècles, nous nous racontons sur les origines de l’inégalité une histoire très simple. Pendant l’essentiel de leur existence sur terre, les êtres humains auraient vécu au sein de petits clans de chasseurs-cueilleurs. Puis l’agriculture aurait fait son entrée, et avec elle la propriété privée. Enfin seraient nées les villes, marquant l’apparition non seulement de la civilisation, mais aussi des guerres, de la bureaucratie, du patriarcat et de l’esclavage. Or ce récit pose un gros problème : il est faux.
1.The Breath : Avez-vous conscience de l’effondrement des sociétés, de l’effondrement systémique qui approche ? Des problèmes climatiques, financiers qui peuvent arriver ?
Ciptagelar : Oui, nous avons pleinement conscience de l’effondrement des sociétés qui approche. Nous l’avons prévu depuis bien longtemps grâce à nos connaissances astrologiques. Ce qui nous arrive, c’est comme en mathématique, les chiffres vont de 0 à 9, puis arrivé à 9 cela revient à 0, c’est un cycle normal.
Nous ne luttons pas et n’allons pas nous battre contre cet effondrement systémique car nous savons que cette période fait partie du cycle obligatoire de notre époque. Nous l’abordons avec philosophie et nous nous préparons tout simplement à ce qui va venir. Notre combat ne se fait pas contre des institutions mais avec nous mêmes au quotidien. Ce n’est pas nos institutions qui sont le monde, c’est nous.
Mika : Ils abordent donc le global warning avec beaucoup de sagesse et de spiritualité : c’est-à-dire qu’ils ne luttent pas contre, mais ils font tout le nécessaire pour agir avec responsabilité. Cela s’illustre dans la façon dont ils traitent leurs terrains (nous le verrons plus loin), dans la façon dont ils consomment ainsi que dans la plupart de leurs actions quotidiennes. Bien sûr, ils ne sont pas à zéro émission de co2, car comme tout le monde, ils utilisent un peu de plastique et d’autres matériaux. Chacun d’entre eux essaie cependant d’être vraiment co-responsable.
2.The Breath : Avez-vous conscience de votre notoriété ? En tant que peuple responsable et résilient aujourd’hui, avez-vous conscience du rôle éducatif que vous pouvez jouer par rapport à vos connaissances ? Seriez-vous prêts à voyager pour inspirer les autres, enseigner votre mode de vie, en Indonésie, en Asie ou encore ailleurs ?
Ciptagelar : Oui, nous en avons conscience. Vous n’êtes pas les premiers à venir nous voir : un grand nombre de personnes viennent pour apprendre de nous, comment vivre différemment, comment être en relation avec la nature. Certains restent quelques jours d’autre 1 mois, tout comme toi qui veut passer deux mois ici avec nous.
Mika : Lorsque je suis arrivé, Yoyo revenait d’un colloque pour réformer l’éducation en Indonésie. Les efforts consistent à promouvoir des enseignements qui se concentrent plus sur les ressources naturelles que sur l’apprentissage des sinus-cosinus qui ne servent à rien sauf à ceux qui veulent devenir matheux. Par exemple, apprendre à revenir sur les sens du corps, en apprendre plus sur la nature, apprendre à cultiver, observer, contribuer…
Ils ont bien conscience de leur rôle éducatif, qu’ils exercent en Indonésie et en Asie. Ils sont prêts à enseigner et accueillir sans problème toute personne voulant apprendre. Je ne sais pas s’ils seraient prêts à voyager longtemps pour le faire, car étant donné qu’ils nourrissent leur lien avec la nature, ils doivent être sur place et dans leur communauté.
3.The Breath : Comment préservez-vous la nature, l’environnement, l’écosystème, la biodiversité ? En avez-vous conscience ? Comment gardez-vous cette harmonie entre l’homme et la nature ?
Ciptagelar : C’est une question fondamentale car les habitants de Ciptagelar ont une conscience écologique très élevée, vis-à-vis de leur écosystème, de l’importance de la biodiversité, ce qui les motive à préserver l’environnement. Toute notre philosophie est portée sur l’équilibre : le plus et le moins, le jour et la nuit, le yin et le yang, l’homme et la femme, prendre et donner…
Nous nous positionnons uniquement sur ce dont nous avons besoin et ne prenons jamais plus. D’ailleurs, pourquoi vouloir prendre plus que ce dont nous avons besoin ? N’est-ce pas avoir peur de manquer ?
Mika : Toute leur philosophie repose sur cet équilibre ainsi que l’harmonie. Sans oublier que l’usage de tout outillage à moteur pour travailler la terre est interdit, ce qui réduit considérablement le risque de se servir plus que nécessaire.
ciptagelar repartition des terres
4.The Breath : Sachant que vous possédez 5000 hectares, quel est le pourcentage des terres partagées ?
Ciptagelar : Les 5000 hectares sont partagés ainsi :
– 35% de hutan tutupan (la forêt autour pour bien isoler leur site), où il est interdit d’y prendre quoi que ce soit, pas même une feuille, ni un morceau de branche. Nous y laissons vivre la biodiversité.
– 35% de hutan titipan (la forêt que l’on nous a confiée), qui sert de provision pour l’avenir. Nous y plantons du bambou, des arbres. Lorsque nous avons besoin de construire ou de retaper une maison, un pont, nous nous servons du bois à cet endroit. Nous y cueillons aussi des fruits ou récoltons des légumes sauvages. Cependant, nous devons toujours replanter ce que nous avons pris.
– 30% de hutan/lahan garapan (la forêt/les terres à exploiter), c’est là où nous cultivons le riz, les légumes. C’est sur cette partie aussi où nous construisons nos maisons. Jusqu’à aujourd’hui, ces 30% ne sont pas entièrement exploités.
Mika : Nous trouvons au village de Ciptagelar , un partage très intelligent pour préserver la biodiversité ainsi que l’environnement, une communion entre l’homme et la nature. Ils prennent seulement ce dont ils ont besoin et rendent à la nature ce qu’ils lui ont pris. Ils ne la détruisent pas pour le plaisir, ou pour le pouvoir ou l’argent et la nature leur donne des bonnes récoltes, une bonne terre, en guise de remerciement. Dans le futur, ils ne seront donc jamais en manque puisque la nature pourra toujours leur redonner ce qu’ils ont pris. Ils ne vivent donc pas dans la peur du manque, ni dans l’excès ou le gaspillage, et ça, c’est une belle leçon de vie !
5.The Breath : D’après les informations recueillies avant notre visite, nous avons appris que vous cultiviez les terres en vous basant sur la position des étoiles dans le ciel ; en quoi cela consiste ?
Ciptagelar : Pour cultiver la terre, nous nous basons sur la constellation d’Orion. Lorsqu’elle apparaît, nous semons et lorsqu’elle disparaît, nous faisons la récolte.
6.The Breath : Quelle est votre forme d’agriculture ? Que cultivez-vous exactement ? Et à quel rythme ? Vous aidez-vous de machines ou manuellement ? Pour quelles raisons ?
Ciptagelar : Nous utilisons la méthode de nos ancêtres pour cultiver, sans aucun pesticide ni machine. Tout ce qui est en rapport avec la vie comme le riz doit être manipulé sans machine ni véhicule. Il est interdit de transporter nos récoltes jusqu’aux greniers à riz, à moto ni même à vélo. Cela doit se faire à la main d’homme.
Puis du grenier à la maison pour le manger, cela peut se faire en véhicule. La raison à cela, c’est que pour être en harmonie avec la nature, nous devons rester ce que nous sommes, les machines, la technologie c’est très bien, seulement cela va plus vite que les cycles naturels.
Donc si nous utilisons des machines pour planter et récolter, nous demanderons un trop grand rendement à la terre. Essayez de courir sans vous arrêtez 10h par jour, vous allez vite vous essouffler.
Nous ne sommes pas conçus pour courir (sauf exceptionnellement), notre mode de déplacement naturel, c’est la marche.
Mika : Nous avons constaté que les habitants ont une relation très proche avec la nature lorsqu’ils cultivent. Avec le riz, ils entretiennent un rapport presque sensuel, ils lui attribuent vraiment une place prioritaire. Par exemple, avant de planter, il y a des rites d’offrandes. Ils parlent au riz aussi, le caressent, et avant de le couper, ils montrent aussi à la nature avec quel outil ils vont le faire.
Peu importe les tâches ou les actions qu’ils entreprennent, ce peuple met un point d’honneur à préserver l’harmonie. Tout comme le yin et le yang, il y a un équilibre entre l’humain et la nature, mais également entre la femme et l’homme. Cette harmonie permet véritablement de préserver leur environnement mais également leurs valeurs.
luit de ciptagelar
7.The Breath : Nous avons entendu dire que la communauté de Ciptagelar pouvait stocker jusqu’à 3 ans de nourriture. Pour quelles raisons ? Comment parvenez-vous à le faire ?
Ciptagelar : Ce n’est pas trois, mais neuf ans de semence de riz qui est stockée dans les leuits, (greniers à riz.)La tradition veut qu’ils ne soient jamais vides. Nous les remplissons au fur et à mesure des récoltes. Nous nous servons sur les piles du haut lorsque nous en avons besoin. Dans les piles du bas se trouvent des graines de riz anciennes de plus de 100 ans, qui sont encore comestibles. En cas de problème, nous pourrons tenir 9 ans sans produire de riz, en puisant dans cette réserve. Aucune souris, aucun animal ne vient manger dans ces leuits hermétiques.
8.The Breath : Comment vous alimentez-vous en eau ? D’où vient-elle ? Comment la ramenez-vous au village ?
Ciptagelar : L’eau arrive directement des mata air ou sources d’eau, elle est redistribuée dans tout le village à l’aide de tuyaux, sans machine, le long des pentes descendantes. Les 2 distributions sont bien séparées : celle pour se laver et laver les vêtements, ainsi que celle pour cuisiner et boire. Bien que l’eau soit pure, les habitants la font quand même bouillir avant de la consommer. Ils utilisent également l’eau des rivières qui sert en partie à l’électricité, à l’irrigation des rizières et des plantations.
Mika : L’utilisation de l’eau se fait avec un petit seau, pour se doucher ou pour se laver les mains. Il n’y a pas de robinet. L’eau est stockée dans des cuves et utilisée suivant les besoins. Il est à noter que parfois lors de crues , l’eau peut être trouble, mais avec le stockage préalable cela ne leur pose pas de problème. En cas de rupture, ils utilisent des filtres à eau de type Navaza mais tous n’en n’ont pas.
Petit bémol pour l’avoir testée, l’eau de la douche est à la même température que l’eau de la rivière et le seule moment pour prendre une douche sans trop souffrir du froid , c’est entre 11h et 15 h. A plusieurs reprises, ils font chauffer un peu d’eau pour la douche.
- The Breath : Comment vous alimentez-vous en électricité ? Est-ce que tout le monde a droit à l’électricité, est-ce limité par village, la coupez-vous à certaines heures ?
Ciptagelar : Il existe plusieurs villages. Nous sommes ici au village originel, qui s’alimente au micro-hydro avec une turbine. La machine tourne 24h/24h, sans aucune batterie. Au fur et à mesure que la machine tourne, l’électricité nous arrive.
Quand la rivière monte et qu’il y a trop d’eau, nous sommes en baisse d’électricité car la machine ne peut plus gérer, il en est de même quand il n’y a pas assez d’eau.
Une fois, il n’y a pas eu d’électricité pendant trois mois à cause d’un incident technique. Chacun d’entre nous possède des batteries que nous utilisons pour faire face au manque d’électricité.
Tout le monde a droit à l’électricité qui est distribuée en fonction de la consommation. Pour y avoir accès, les habitants donnent une contribution. L’argent servira aussi à la communauté, par exemple pour réparer la turbine du micro-hydro.
Ce n’est pas très cher. Par lampe, c’est 2000 roupies par mois (+/- 0,11cts d’euro). Il y a donc des maisons qui payent seulement 7000 roupies par mois (0,40 cts d’euros), d’autres qui s’en servent beaucoup plus, avec un réfrigérateur par exemple, peuvent payer 20.000-30.000 roupies par mois (1,15 – 1,71 euros), ce qui n’est pas excessif. Mais cela peut faire beaucoup pour ceux qui ne travaillent pas.
Le système électrique est simple : un petit barrage a été construit dans la rivière, pour conduire l’eau vers une rigole pour arriver ensuite dans un gros tuyau où elle coule jusqu’à la fin de la distribution. Une partie de l’eau repart dans la rivière et l’autre rentre dans la turbine qui va générer l’électricité fournie aux villages.
Mika : J’ai pu constater que l’électricité fonctionnait très bien et en continu. Ordinateur, radio, tv, lumière, frigidaire, tout fonctionnait parfaitement.
Il y a un village qui accueille des nouveaux riches qui sont allés à la recherche de l’or et en ont trouvé. Ceux-ci ont remplacé leurs maisons en bambou par des maisons en dur. Ils se sont alors connectés au PLN (compagnie d’électricité nationale comme EDF en France).
Mais c’est une solution qui coûte trop cher pour 99% des villageois. Le revers de la médaille, c’est que lors des tremblements de terre, ces maisons en dur se sont fissurées, voir écroulées alors que les maisons construites de manières ancestrales sont toutes restées debout.
Ciptagelar maisons
10.The Breath : Comment construisez-vous vos maisons ? Sont-elles construites en fonction de la position du soleil, des étoiles ?
Ciptagelar : Nous ne construisons pas nos maisons en fonction des astres mais en fonction d’une philosophie spirituelle. A Ciptagelar la maison est considérée comme un corps humain. Qu’est-ce que le corps humain ?
Un humain vit sur la terre et non pas en dessous. Le terrain, c’est la terre.
Les pieds sont les piliers qui viennent se positionner sur celle-ci, juste au-dessus d’une petite pierre. Ni le caillou ni les poteaux ne rentrent dans la terre, aucune fondation.
Le ventre, c’est le plancher (là où l’on vit et l’on marche dans la maison).
Les épaules sont le dessous du toit.
La tête du corps humain, c’est la couverture du toit, fait de ijuk ou fibres de palme (tandis qu’à Bali les maisons traditionnelles sont recouvertes de alang-alang ou roseaux).
Sur un plan spirituel, nous considérons que nous ne devons pas avoir de terre au-dessus de la tête car ceux qui « vivent » sous la terre sont les morts et non pas les vivants. Les maisons modernes aujourd’hui utilisent le genteng ou des tuiles faites de terre.
À nos yeux, lors de séismes, si ces maisons où l’on vit « sous terre » s’écroulent, c’est normal car ce ne sont pas des maisons pour les vivants mais des maisons pour les morts.
Mika : Leur philosophie de construction est pleine de bon sens. Elle reste en cohérence avec leur philosophie du respect de l’environnement et de la symbiose avec la nature. Il n’y a aucune fondation, les poteaux de bois sont juste posés sur des pierres plates.
Toutes les maisons sont regroupées ensemble et se font face, de chaque côté d’une rue pavée. Elles ont toutes plus ou moins la même forme mais peuvent avoir des tailles différentes suivant les moyens de chacun. En moyenne, une maison de 100m2 coûte environ 850 euros.
11.The Breath : Quels matériaux utilisez-vous ? Vos maisons sont-elles résistantes aux tremblements de terre ? Sont-elles écologiques ?
Ciptagelar : Oui nos maisons sont écologiques. Nous prenons les matériaux au hutan titipan qui veut dire « la forêt qu’on nous a confiée ». Nous avons le droit de nous servir, de couper du bois ou du bambou à condition de replanter ensuite. Selon notre tradition, tu n’as pas le droit de prendre de la nature si tu ne lui redonnes pas, tout ce que tu lui prends, tu dois lui rendre d’une certaine façon.
Les maisons doivent être changées tous les 15-20 ans. Et comme les habitants ont pris uniquement ce dont ils avaient besoin puis ont replanté directement après, au moment de reconstruire, ils pourront toujours se resservir au hutan titipan puisque tout aura repoussé. Cette forêt sert donc à voir très loin dans le futur.
Tous les matériaux sont naturels. Sur le toît par exemple, nous ne plantons aucun clou, nous utilisons seulement de la ficelle de rotin. Pour les tremblement de terre, avec ma femme, quand ça bouge, nous restons au lit et nous écoutons juste ce qui va tomber comme objet, car la maison ne risque absolument rien (rires).
Mika : Leurs maisons sont effectivement ultra-résistantes aux séismes. D’un point de vue physique, étant donné que la maison n’a pas de fondation, elle suit le mouvement de la terre et ne peut donc pas casser. De plus, le matériau utilisé est le bambou, qui est très flexible. Lors d’un séisme, elle ondule simplement au grès du mouvement comme un bateau amarré qui tangue sur les vagues.
animal a ciptagelar
12.The Breath : Quel est votre rapport aux animaux ? Sont-ils considérés comme des esclaves ou des amis ?
Ciptagelar : Les animaux vivent ici en liberté. La population les considère comme des amis et non pas comme des esclaves, par exemple nous leur parlons régulièrement. Leur nourriture varie selon les disponibilités locales et saisonnières : légumes, graines, foin etc. Quelques-uns travaillent pour aider les habitants à cultiver dans les champs ou à accomplir d’autres tâches. C’est un partenariat homme-animal mais jamais un animal n’est mis seul, à contribution.
13.The Breath : Que pensez-vous du fait de ne pas en manger ? Pouvez-vous comprendre le fait d’être végétarien ou végan ?
Ciptagelar : Nous n’avons aucune objection à soulever quant au végétarisme ou véganisme. Nous comprenons que des gens ne mangent pas d’animal. Dans notre philosophie, ce choix serait lié au karma individuel. La personne serait appelée à suivre ce mode alimentaire pour évoluer dans sa vie spirituelle.
14.The Breath :Faites-vous des sacrifices d’animaux et si c’est le cas, pour quelle raison ?
Ciptagelar : Non, aucun sacrifice animal n’est offert dans nos villages. Nous ne consommons d’ailleurs que très peu de viande rouge, seulement du poulet ou de la chèvre de temps à autre.
Mika : Lorsque qu’il parle des végétariens et du mode alimentaire en relation avec un cheminement d’évolution pour leur vie spirituelle, il fait traduire que ce n’est pas une échelle de valeurs, c’est-à-dire que les végétariens ou vegans ne sont pas plus évolués spirituellement qu’une personne qui mange de la viande. Pour eux, c’est juste leur Karma de vie passée (accumulation d’expériences) qui les amène à expérimenter ce genre d’alimentation.
Je lui ai d’ailleurs fait remarquer que beaucoup de végétariens ou vegans n’étaient pas forcement éveillés à une démarche spirituelle mais que leur non consommation de produit animal était souvent une réaction d’opposition (au début) à la façon dont les animaux étaient élevés puis tués.
Et que pour certains, un chemin spirituel s’ouvrait après cela. La spiritualité étant encore mal considérée en France et appréhendée avec des distorsions perceptuelles, trop peu de personnes (à mon sens), osent vraiment s’engager dans une démarche de transformation intérieure. C’est-à-dire entrer dans la voie du détachement. C’est pourtant ce que nous impose l’effondrement systémique et les problèmes climatiques.
15.The Breath : Quelle est votre religion ? Parfois les indonésiens doivent avoir une religion de formalité mais ils ne la pratiquent pas forcément. Si tel est votre cas, quelles sont alors vos vraies traditions ?
Ciptagelar : La religion pratiquée à Ciptagelar est un syncrétisme de l’Islam avec ce qui est considéré comme la religion originelle des îles indonésiennes, elle-même un syncrétisme des croyances animistes régionales avec l’hindouisme. Nombreux sont les rituels en hommage à la déesse du riz. Les femmes ici, ne portent pas le voile. La polygamie n’est pas usuelle, sauf dans certains villages où des hommes nouvellement riches deviennent polygames pour des raisons égotiques.
Mais la majorité ne l’est pas pour des raisons traditionnelles : pour bien cultiver le riz, il faut être sepasang (une paire, en couple). Sepasang, c’est l’essence même de notre monde : le couple du jour et de la nuit, du froid et du chaud, du bonheur et du malheur, etc… Et si tu ne l’es pas, en conséquence, ta récolte ne sera pas bonne, la nature ne te donnera pas. A partir de cette tradition où il faut « être à deux », la polygamie ne se fait pas.
Mika : Ils vivent plus une traditions qu’une religion, ou encore plus une philosophie de vie qui a ses fondations sur les traditions des ancêtres.
Alors quand on leur demande juste comme ça, ils répondent : nous sommes musulmans. Mais dès que l’on rentre dans des conversations plus subtiles, les explications montrent qu’ils ne suivent pas de religion à proprement parler. Les femmes ne sont pas voilées et les hommes ont une tenue noire (cette couleur serait aussi liée aux croyances non-musulmanes).
Si je pouvais résumer leur philosophie en un seul mot, ce serait : l’équilibre.
Yoyo
16.The Breath : Quelle est votre relation à la terre, aux étoiles ?
Ciptagelar : Nous entretenons en effet une relation très prioritaire avec la terre ainsi qu’avec les étoiles. Dans tous nos actes, nous intégrons une dimension sacrée en lien avec la nature. Cela va jusque dans notre quotidien à la maison. Pour cuisiner le riz par exemple, nous suivons les mêmes règles que pour le cultiver : sans machine, la cuisson se fait donc sans gazinière, avec du bois.
D’ailleurs, même ceux qui ont voulu construire des maisons en dur, n’ont pas le droit de cuisiner le riz avec des gazinières, ils ont donc dans leur maison du bois pour le cuisiner.
Mika : Leur vie toute entière suit les rythmes de la Nature, le mouvement de la terre et des étoiles. Pour planter ainsi que pour récolter, il n’y a rien qui soit effectué sans offrande auparavant. Cette dimension rituelle m’a marqué le jour où nous nous sommes allés à la rizière.
Nous marchions et arrivés en bordure de rizière, Pak Yoyo s’est arrêté net, comme pour faire une transition avant de la fouler. Je lui ai demandé pourquoi, il m’a répondu : avant de commencer à travailler, il nous faut laisser de côté toute notre vie actuelle sinon nous transmettrons des énergies basses à la terre. Nous exécutons ainsi notre tâche de façon beaucoup plus posée et sereine.
J’ai pu observer que les habitants de Ciptagelar ont un véritable lien spirituel avec la Terre.
17.The Breath : Comment est votre rapport avec la maladie et la mort ?
Ciptagelar : L’aspect psychologique de la maladie est bien pris en considération, cependant, avant d’ agir nous cherchons à savoir si la cause est uniquement physique, ou spirituelle ou bien si elle ne fait pas partie du karma ou du hukum (ce mot veut dire « loi », mais on l’emploie aussi pour parler de punition).
Les soins sont donc orientés vers la cause de la maladie : un soin psychologique, un soin oral, ou bien des soins médicaux avec les sages-femmes ou les médecins extérieurs.
Dans la plupart des cas, nous n’avons pas besoin d’aller voir un médecin. La plupart des causes des maladies se trouve dans la psychologie ou proviennent du karma ou du hukum, elles sont donc soignées par le chef-soignant en ramenant l’attention du malade sur la cause de la maladie.
18.The Breath : Comment est votre rapport avec la mort ?
Ciptagelar : Pour le rapport à la mort : les défunts sont enterrés dans des cimetières, nous avons un espace prévu pour cela. La mort est un processus qui fait partie de la vie, c’est naturel, nous n’en faisons pas un drame.
Mika : Que ce soit pour la maladie ou pour la mort, ils abordent le sujet avec beaucoup de philosophie. Je leur ai expliqué que les français étaient les numéros un au monde de consommation d’antidépresseurs et de médicaments et que j’avais pu constater que dans le reste de l’Indonésie, les médecins actuels prenaient aussi la voie de la facilité.
Nous sommes tombés d’accord sur le fait que prendre un médicament sans essayer de comprendre la cause, revient à se voiler les yeux sur ce que à quoi nous devons faire face, ce qui correspond à un déni de la réalité et que cette prise de position était le signe d’une perte de valeurs et du sacré en soi. Les médicaments ne soignent pas mais apaisent ou décalent le problème.
Du coup, nous avons relié cela avec l’effondrement mondial actuel, trop de personnes se cachent les yeux et les oreilles, sont dans un déni alors que notre monde, lui est malade, gravement malade…
Ce déni est directement lié à notre peur commune, celle de mourir. Accepter sa mort de son vivant, s’y préparer est la plus grande forme de résilience qui soit. Et cela commence par choisir un autre positionnement vis-à-vis de la maladie puis accepter le réel tel qu’il est et non, tel que nous le voudrions.
Femmes de ciptagelar
18.The Breath : Comment se passent les soins et la médecine au sein de la communauté ? Avez-vous des sages-femmes ? Des médecins ? Vous rendez-vous à l’extérieur pour des consultations payantes ?
Ciptagelar : En cas de maladie, les habitants vont voir les sages-femmes qui travaillent au puskesmas (acronyme de pusat kesehatan masyarakat ou centre de la santé du peuple). Mais avant de se faire soigner, la personne « malade » passe d’abord par tout un questionnement du chef soignant pour comprendre l’origine de la maladie : psychologique, spirituelle, punition karmique ou causes purement physiques.
Nous attachons beaucoup d’importance à tous ces aspects, y compris pour un simple mal de tête.
Si la maladie s’avère d’origine physique et que nous ne pouvons pas la soigner au village, le malade va alors voir et payer un médecin à l’extérieur (minimum 1h30 de route). Ou bien, la communauté en fait venir un.
Certains habitants gagnent leur vie en faisant des petits boulots mais parfois les malades n’ont pas assez d’argent. C’est pourquoi nous faisons intervenir le docteur seulement pour les cas difficiles ou encore d’extrême urgence. Il arrive aussi que le village prenne en charge les soins, avec l’argent communautaire.
- The Breath : Comment gérez-vous les problèmes humains ? Les problèmes psychologiques ? Y a-t-il des réunions entres les personnes ?
Ciptagelar : Il faut différencier les problèmes liés aux coutumes/traditions, des problèmes personnels. Pour gérer les problèmes, il faut d’abord comprendre que dans l’inconscient collectif des habitants de Ciptagelar, le plus naturel à faire en cas de problème se présente ainsi : quand il y a un gros problème, on va faire en sorte que ce problème devienne un peu plus petit et quand il y a un petit problème, on va faire en sorte de l’écarter, de l’arrêter.
Par exemple, si quelqu’un dit du mal sur nous, on va juste passer outre ce fait, puis se dire : ce n’est pas grave.
Pour ne pas rentrer en conflit, il existe chez nous une forme d’humilité lorsque nous faisons face à une problématique. Il n’y a pas de rapport d’égo.
Et même si quelqu’un avait un égo un peu plus prononcé, ce serait l’autre qui puiserait dans son côté plus spirituel et empathique pour ne pas bousculer son ego. Afin que les problèmes ne se propagent pas mais au contraire s’atténuent, il y aura toujours une ou plusieurs personnes qui maintiendront une certaine humilité.
Parfois quand deux egos sont bousculés, on peut organiser des réunions avec les membres du comité Adat (tradition) mais sans pour autant impliquer toute la communauté. Les problèmes se règlent donc de manière individuelle et collective à la fois.
Mika : Cette forme d’humilité constante m’a profondément touché. Elle est présente partout, il y a une réelle volonté de ne pas choquer, de ne pas déranger. J’ai pu observer un désaccord sur une manière de planter. Les deux personnes ont aussitôt pris du recul vis-à-vis de leur position respective et presque naturellement, ont ri et se sont mises d’accord.
Je pense que lorsque qu’on se rend compte que l’on ne s’adresse plus à l’être en face de soi mais à l’ego qui est dans l’être en face de soi, alors on peut avoir cette prise de conscience et rire ensemble. A ce moment, nous ne rions pas de l’autre, mais nous rions de notre propre stupidité en nous voyant pris par nos egos. Après tout, l’ego ne se nourrit que de construction mentale, d’envie et de conflit… Une fois que nous le savons, il devient plus aisé de ne pas le laisser prendre le dessus.
Roi et Reine de ciptagelar
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20.The Breath : Quelle est la politique communautaire du village ? Y a-t-il une hiérarchie (par exemple chef du village, chef du hameau, chef des traditions, et ensuite vient le peuple) ? Est-ce une politique où tout le monde a le droit de s’exprimer ?
Ciptagelar : Comme dans le reste du pays, la hiérarchie se compose plus ou moins, des degrés suivants : Kepala Desa (le chef du village), Kepala Dusun (le chef du hameau), Kepala Adat (le chef des traditions).
À Ciptagelar, c’est le Adat, donc la tradition qui est beaucoup plus fort que le reste. C’est aussi un Adat ancien. Il s’agit d’une souveraineté, les chefs du village sont considérés comme le roi (Abah ) et la reine (Amah )du village. C’est le roi et la reine qui prennent les décisions finales pour le peuple.
Mika : Ce que j’ai pu observer, en observant Abah et Amah, c’est qu’ils sont tous deux très proches des citoyens. Ils vivent avec la communauté, participent aux tâches, toujours souriants, ils inspirent un respect sincère du peuple.
Je pense aussi que le roi et la reine ont du poids auprès du gouvernement. Certains membres, ainsi que des artistes, viennent les consulter avant de prendre des décisions. Abah aurait des pouvoirs spirituels et ses connaissances en astrologie locale les aident à voir s’ils vont dans la bonne direction, si leurs projets en vue, leur correspondent.
C’est apparemment ainsi qu’ils gèrent la politique communautaire. J’en saurai beaucoup plus lors de mon prochain séjour où je vivrai avec eux pendant 1 à 2 mois.
21.The Breath : Comment se répartit le travail communautaire ? Tout le monde travaille-t-il dans les champs ? Y en a-t-il qui travaillent au bureau ? Existe-t-il une forme bureaucratique ? Si oui, comment sont réparties les tâches ? En dehors du travail communautaire, comment gagnez-vous votre vie ?
Ciptagelar : Tout le monde sans exception, adulte comme enfant, travaille dans les champs. Et même si certains ont un travail à l’extérieur, celui-ci ne doit pas empiéter sur le travail communautaire : cultiver les champs et les légumes, construire les bâtiments et les routes, réparer les ponts etc. Des tâches intellectuelles existent mais il n’y a pas de forme bureaucratique.
Chacun a une tâche bien précise. Pour les anciens, cela leur est transmis de génération en génération, cela est naturel. D’ailleurs quand nous sommes tous ensemble dans les champs, sans même avoir à se parler chacun sait ce qu’il doit faire.
Quant aux nouveaux venus, on leur attribue une tâche en fonction de leur nature et de leur talent. Dans le cas où définir la nature ou le talent d’une personne est difficile, celle-ci va alors aider un peu partout. Cela se met en place naturellement.
S’il y a des experts (par exemple en électricité, en construction, en informatique) parmi les habitants, ils peuvent faire des échanges de services.
Enfin, si quelqu’un souhaite se faire un peu plus d’argent, il peut effectivement travailler en dehors de la communauté, à condition de toujours prioriser la communauté avant son gagne-pain personnel. C’est la communauté avant toute chose. La vie personnelle passe au second plan.
Certaines personnes se font un peu de revenus en ouvrant des petits boui-bouis ou kiosques. Parmi elles, figurent les gens de l’extérieur venus s’intégrer à la communauté. D’autres habitants travaillent aussi à l’extérieur pour vendre les surplus de café et de légumes.
Par contre, la communauté refuse toute demande extérieure pour faire de la grosse production d’usine. Et traditionnellement, nous ne vendons jamais le riz ni la citrouille. Symbolique de vie, le riz comme la citrouille fait vivre l’humain. Cela suscite un grand respect, nous estimons donc que ce n’est pas une marchandise.
Mika : L’acquisition des tâches en fonction des réelles natures et des talents de chacun, résonne fortement en moi car ce sont les méthodes que je tente d’enseigner lors de mes conférences et séminaires.
Le ministre de l’éducation devrait en prendre note. Car au lieu de formater des êtres humain pour penser et vivre comme tout le monde, nos écoles pourraient alors élever des talents et nous ne vivrions plus du tout de la même façon, « la mode « n’existerait tout simplement plus.
Au regard de la vie communautaire, ceux qui ne sont pas en accord ou plus en accord avec le fait de faire passer la communauté en priorité avant leurs désirs personnels, ne restent pas et doivent partir. C’est pour cette raison que ça perdure depuis plus de 600 ans.
Ciptagelar riz
22.The Breath : Ciptagelar existe depuis plus de 600 ans. Comment parvenez-vous à gérer les pressions politiques ? À l’ère de de la dictature de Soeharto mais également à l’ère actuelle ?
Ciptagelar : C’est assez difficile d’expliquer comment nous avons résisté aux pressions politiques. Nous sommes les gardiens de ces terres mais en réalité elles ne nous appartiennent pas. Nous n’avons aucun certificat.
Nous avons une politique locale comme dans la plupart des régions indonésiennes, du chef de village, des chefs de hameaux et du chef des coutumes/traditions. Seulement, en plus de cela, nous avons la souveraineté, le Abah qui apparemment a le plus grand pouvoir. On lui attribue aussi des pouvoirs dits magiques et les gens de toute l’Indonésie, artistes, villageois, citadins, personnes du gouvernement viennent le consulter pour cela.
D’une certaine manière, le fait d’être autonomes en nourriture, en eau et en électricité et de ne pas vendre notre riz nous permet de rester à l’écart des pressions politiques. Et le dernier point concerne la protection des forêts. Nous jouons un rôle certain dans la protection de la biodiversité.
Mika : À ma connaissance, le président actuel Jokowi a délivré 10.000 certificats aux personnes dans la même situation qu’eux, pour éviter qu’un jour le gouvernement ne se réapproprie les terres. Je me renseignerai auprès de Yoyo, leur porte-parole, pour avoir plus de détails sur cette question et voir comment ils envisagent le futur concernant la gestion des terres.
23.The Breath : Comment vos biens sont-ils départagés ? Distribuez-vous leurs récoltes à parts égales ou est-ce en fonction des familles ? Comment les maisons sont-elles allouées ? Chaque personne arrivant ou naissant au village a-t-elle droit à une maison ? Toute la communauté participe à la construction des maisons pour tout le monde ou sont-elles achetées par chacun individuellement ?
Ciptagelar : Ici chaque personne doit acheter ses biens, son terrain, sa maison. Il n’existe cependant pas de certificat. Certains les reçoivent en héritage, d’autres ont vendu leurs terres et d’autres les ont achetées. Cet achat et revente de terre reste cependant symbolique car nous n’avons pas de certificat.
Pour la culture, c’est pareil, chacun cultive son coin de terre, ses légumes, ses fruits. Par contre nous le faisons tous en même temps selon la position des étoiles dans le ciel.
Pour les surplus de fruits et légumes, plusieurs options se présentent : en offrir à Abah et Aamah ou bien aux gens qui en ont besoin. Sinon, on peut aussi faire du troc comme échanger ses tomates contre des pommes de terre. Enfin, lorsqu’ils nous avons besoin de finances, nous vendons le surplus entre nous.
Un bon nombre de nouveaux viennent s’installer à Ciptagelar. Ils demandent la permission à Abah, le roi du village, et la reine Amah. Ils devront répondre à des questions pour expliquer la raison de leur venue, est-ce qu’ils sont prêts à s’adapter à la communauté, à suivre les règles etc…
Même si nous achetons chacun achète notre maison, en fonction de nos activités quotidiennes, nous participons à la construction des maisons, ou à la culture du riz et des légumes sur le principe de la responsabilité communautaire.
Mika : Il existe effectivement une synergie collective : ou c’est tous ensemble, en respectant une certaine individualité, ou c’est chacun pour soi. L’entraide a lieu notamment lors de l’extraction des grains de riz de leur écorce, lors de la construction d’une maison pour un nouvel arrivant ou encore lors de la réparation de celle d’un ancien habitant. On retrouve encore ici le principe de leur philosophie de l’équilibre. Ce n’est pas 100% de contributionnisme ni 100% d’individualisme mais une harmonie entre les deux.
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24.The Breath :Quel est votre rapport au tourisme ? Sont-ils nombreux ? Comment cela fonctionne ?
Ciptagelar : Il y a des touristes qui viennent nous voir, surtout des locaux, en règle générale, le week end et les jours fériés. Ils restent une journée ou dorment ici chez l’habitant. Mais en réalité, très peu de touristes visitent Ciptagelar car le trajet est compliqué, il faut avoir un 4×4 ou une moto.
De temps à autre, une agence de voyage hollandaise envoie une à deux personnes seulement, jamais de groupe. Ils arrivent le matin et repartent le soir, ils passent rarement la nuit même si cela peut arriver.
Ensuite il y a des personnes comme toi qui viennent ici non pas pour regarder mais pour apprendre. Nous avons beaucoup de respect pour tous ceux qui veulent apprendre nos traditions. Si c’est pour une longue durée comme un mois ou plus, alors nous nous réunissons avec Abah et Amah pour savoir si cela ne va pas aller à l’encontre de la communauté. Nous avons déjà eu la visite sur une longue durée, d’un Japonais, d’un Australien et d’un Hollandais .
25.The Breath :Quel est l’impact du tourisme sur votre vie, est-ce que cela l’a changée d’une certaine façon ?
Ciptagelar : Notre responsabilité communautaire nous permet de nous préserver des masses touristiques qui n’ont pas leur place ici. Tout le monde est le bienvenu, si cette venue respecte nos valeurs ancestrales.
Quand il y a des touristes, les habitants vendent leurs produits artisanaux: paniers, sacs, tissages ikat, un peu de café. Quelques personnes, en dessous de 1% sont un peu axées sur l’argent vis-à-vis des touristes, comme souvent dans des destinations touristiques. Pour éviter ces pratiques, la communauté régule les activités de la manière suivante : interdire toute production de masse et refuser les agences qui proposent d’envoyer des grands groupes. Notre éloignement, la route de montagne et les forêts difficilement accessibles nous aident aussi à maintenir nos valeurs vis-à-vis du tourisme.
26.The Breath : Comment parvenez-vous à préserver vos valeurs et vos traditions ?
Ciptagelar : Ensemble, chaque membre de la communauté doit cultiver les champs en fonction de la position des Etoiles dans le ciel. Cette obligation fait passer le travail communautaire avant toute chose. L’Adat (la coutume/la tradition) est enseigné dans une école dédiée à sa transmission mais passe également par la transmission orale de parent à enfant.
Ciptagelar valeurs spirituelles
27.The Breath : Et pour les enfants, avec l’avènement des technologies, d’internet, des téléphones portables et autres gadgets, comment arrivez-vous à leur transmettre vos valeurs ancestrales et les faire perdurer ?
Ciptagelar : Tous les enfants possèdent un téléphone portable et ont accès à Youtube etc ; tous savent s’en servir. D’ailleurs ici, nous avons un accès internet de très bonne qualité n’est-ce pas ?
Nous ne nous battons pas contre cela car c’est l’époque qui le veut. Vouloir aller contre, reviendrait à s’épuiser. Tout comme le changement climatique, quand un cycle est là, il est préférable de l’accueillir pour mieux le comprendre, l’appréhender et apprendre à vivre avec, plutôt que vouloir se battre contre, générer de la peur pour au final s’épuiser.
Cependant quand l’heure de contribuer pour la communauté sonne alors tout le monde, enfants y compris dépose les gadgets technologiques qui après tout, ne sont que des jouets parmi tant d’autres.
Mika : Ils parviennent à garder leurs valeurs car malgré l’accès à la technologie, c’est la communauté qui prime. Cet impératif est d’une grande importance. C’est un peu la gardienne des valeurs.
La clé de tout cela, à mes yeux, c’est qu’ils ont su s’adapter au présent, à l’époque dans laquelle nous vivons. Ils ont donc manifesté et élevé une forte résilience face au changement des époques.
Ils ne sont pas restés figés dans leurs traditions pour rester hors-système puis couler par la suite. Ils ont su au contraire s’adapter au système sans pour autant se laisser happer. La communauté vit dans la frugalité maximale, ils ne prennent que ce dont ils ont besoin, ni plus ni moins.
Ils vivent dans la simplicité, mais pas à la préhistoire non plus. Un message à toutes les communautés pro-écolos qui veulent revenir à l’époque de Robin des bois… Ca ne fonctionnera pas car vivre dans le présent, c’est être connecté avec son époque et son environnement. Un savant et juste équilibre entre Lowtech, technologie, nature s’impose pour ne pas vivre dans un passé qui n’existe plus ou dans un futur nous éloignant de notre nature humaine.
28.The Breath : Utilisez-vous des véhicules pour vous déplacer ? Pour cultiver ?
Ciptagelar : Oui, ici tout le monde possède un véhicule, sa petite moto. Nous avons un 4×4 ambulance qui a été offert par la société de télécommunication telkomsel. Abah a une voiture ainsi que quelques très rares habitants. Nous pratiquons le Ojek (moto taxi)
Comme je vous l’ai dit, il est interdit d’utiliser de véhicule pour cultiver, tout doit se faire à la main, y compris le ramassage des gerbes de riz. Par contre, une fois que les graines ont été retirées de l’écorce, nous pouvons utiliser la moto ou la voiture pour les transporter.
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29.The Breath : Quelle est la place des femmes dans la communauté ? Existe-t-il un accord entre les femmes et les hommes ? Quelle est la place des enfants ?
Ciptagelar : Les hommes et les femmes sont sur un plan d’égalité. Toute la vie tourne autour du riz, où cultiver revêt un sens sacré et spirituel. Il existe donc des responsabilités partagées : la responsabilité de l’homme va de la semence des terres jusqu’à ce que la récolte arrive dans les greniers à riz. La responsabilité de la femme va de l’extraction des grains de riz des écorces jusqu’à ce que la nourriture arrive dans l’assiette. Dans les deux cas, nous nous aidons l’un, l’autre à chacune des étapes.
Il existe donc, aussi bien au niveau communautaire que familial, une entraide entre les femmes et les hommes bien qu’il y ait des responsabilités individuelles bien définies par genre.
Mika : À Ciptagelar, les femmes mettent leur féminité et leur beauté en avant, se maquillent, s’habillent et se font belles, présentables, même pour aller dans les rizières.
Les femmes ne sont pas cachées ni voilées.
Lors de mon arrivée, Yoyo, le porte-parole du village n’était pas là. Il m’a invité à consulter sa femme pour lui poser toutes les questions que je voulais.
On constate qu’il y a une réelle confiance, contrairement à d’autres lieux à majorité musulmane où le principe de la religion ne laisserait jamais un homme seul, aller voir sa femme ou comme je l’ai fait : demander à sa femme de répondre et rester avec moi pendant plus de 2 jours.
Ceci m’a démontré que la place de la femme au sein de la communauté a une véritable importance et qu’elle est à rang égal avec l’homme.
30.The Breath : Comment gérez-vous la natalité des habitants ? Existe-t-il un nombre maximum ou minimum d’enfants par famille, afin de préserver la communauté ?
Ciptagelar : Non, il n’existe aucune restriction concernant le nombre d’enfants par famille, nous pouvons en avoir autant que nous le voulons.
Mika : Il existe cependant une incitation pour limiter les familles à en avoir 2 seulement. Mon interlocuteur n’est pas entré dans les détails sur cette question. Est-ce dû à la politique, la place, l’époque actuelle ? Je creuserai cette question lors de mon prochain séjour.
32.The Breath : Comment les enfants sont-ils scolarisés ? Fréquentent-ils une école à l’extérieur de la communauté ou existe-t-il une école particulière ? Dans ce cas-là, quel est son cursus ? Qu’est-ce qu’ils apprennent particulièrement, ou qu’est-ce qu’ils n’apprennent pas ? Pour quelles raisons ?
Ciptagelar : Une école nationale, construite en dur, accueille les élèves de primaire ainsi que ceux du collège. La plupart des professeurs sont locaux mais certains viennent de l’extérieur.
Par ailleurs, les enfants fréquentent aussi un autre établissement appelé sekolah adat ou l’école des coutumes. Ils apprennent les traditions mais également les raisonnements qui sous-tendent chaque pratique.
Par exemple : « Pourquoi ne faut-il planter qu’une seule fois ? Pourquoi ne faut-il pas manger plus que de besoin ? Pourquoi faut-il protéger la nature ? » Nous avons auparavant essayé de supprimer complètement l’école nationale afin d’éduquer les enfants uniquement à l’école des coutumes.
La majeure partie de la population ne comprenait cependant pas pourquoi éliminer le cursus national.
Elle reste donc toujours en place bien que nous avons enrayé tout le côté strict de la dictature tel que les cérémonies du drapeau et des hymnes. Une fois le collège terminé, certains enfants sont ensuite scolarisés à l’extérieur, comme à Bandung ou autres villes, mais la plupart ne le sont pas et restent dans le village.
Mika :Lors de mon arrivée, Pak Yoyo n’était pas là car il était à un colloque pour justement proposer un changement d’éducation sur le plan national, revenir sur un enseignement des sens (physiques) pour apprendre à s’écouter, vivre avec son environnement, le protéger, et supprimer les matières spécifiques qui ne devraient servir qu’à ceux qui désirent suivre une voie spécifique. Par exemple : celle des mathématiques avec sinus et cosinus…
Nous avons longuement discuté sur ce sujet et je lui ai fait part de mon approbation. L’école mérite d’être réformée en totalité, afin de permettre à chaque enfant de devenir ce qu’il est vraiment au fond de lui. Un artiste a juste besoin de développer son art, un expert son expertise. Cela fera de l’espèce humaine une espèce riche d’experts en tout et non des reproductions d’un modèle pré-établi à quelques nuances près, aussi bien dans les actions que dans les pensées.
Cipta gelar villageois
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33.The Breath : Quels sont vos jeux : les jeux d’enfants, les jeux d’adultes, les jeux de société ?
Ciptagelar : Il y a quelques années encore, les enfants fabriquaient ensemble des voitures en carton pour se pousser mutuellement. Aujourd’hui ils ont laissé de côté ces jeux et ne s’amusent qu’avec des gadgets ou des téléphones portables.
Tout comme nous les adultes qui en sommes accrocs, les enfants ainsi que les adolescents sont devenus un peu « autistes ». Et chez les moins jeunes, il n’existe pas non plus de jeux de société, les adultes ne jouent ni aux cartes ni aux échecs.
34.The Breath : Quels sont vos contes, vos chants, vos danses ? À quoi se réfèrent-ils ?
Ciptagelar : Au village de Ciptagelar, c’est très simple : tous les chants, les contes ainsi que les danses sont en relation avec la culture, c’est-à-dire à la nature, au fait de cultiver le riz. Nous chantons nos chants seulement quand nous allons dans les champs , cuisinons, faisons la farine, marchons ensemble, préparons des offrandes ou lors de cérémonies traditionnelles.
Mika : Leurs pratiques rituelles sont indissociables du sacré et ont donné naissance à une forme d’art exceptionnelle que l’on retrouve dans la manière de s’habiller, de planter, de collaborer avec la nature. Au début, je pensais que les habitants de Ciptagélar ne s’intéressaient pas à l’art puisque je ne les voyais pas donner des concerts, des spectacles , puis je me suis aperçus qu’ils vivaient leur art toute la journée, qu’ à chaque instant, ils étaient dans une représentation artistique.
Chacun de leur geste est une pièce de théâtre, chacune de leur prière est une chanson, ça a été une prise de conscience incroyable, de voir que l’art tel que nous l’entendons peut être vécu à chaque instant et non pas juste comme un exutoire.
35.The Breath : Quelle est la place des rêves dans la communauté ?
Ciptagelar : Les rêves sont pris au sérieux et ont une place importante dans la communauté. Les anciens analysent les leurs ainsi que ceux des habitants. Il n’existe pas de transmission orale pour apprendre comment les analyser.
Les jeunes apprennent naturellement, par mimétisme et par l’exemple, lorsque les anciens analysent leurs rêves. Lorsqu’à leur tour ces jeunes deviennent des anciens, ils savent alors le faire.
À Ciptagelar, les rêves ont une signification, un sens. Ces rêves nous permettent de mieux nous comprendre mais aussi de nous mettre en garde sur les choses à ne pas faire, de nous éclairer sur ce que nous devons faire ou de nous aider à prévenir des maladies. Ils nous donnent des indices.
Mika : Il ne pouvait en être autrement. Une communauté connectée à l’équilibre ne pouvait s faire l’économie de mettre les rêves au placard, comme l’ont fait nos sociétés, dites « modernes ».
Comme le disait Carl Gustav Jung, le Rêve est la voix royale pour entrer en communication avec notre inconscient, notre intuition et l’inconscient collectif.
Une société ou même une famille qui mettrait les rêves de côté, marcherait en boitant et ne resterait alors connectée qu’à 5 des 6 sens que nous avons. Le sixième n’étant rien d’autre que notre intuition.
Cipta gelar top drone
- The Breath : Comment se passe la gestion des déchets non-organiques ?
Ciptagelar : Premièrement pour les déchets organiques : nous produisons du compost pour replanter par-dessus. Malheureusement pour les déchets non-organiques, nous n’avons pas pu encore répondre à la problématique du plastique.
D’ailleurs, vous avez pu en voir à certains endroits, surtout lorsqu’on descend vers les écoles.
Nous avons pourtant mis en place un système de tri. Le but était soit de l’envoyer au centre de recyclage de Bandung, soit de le séparer pour en faire autre chose. Mais la population ne voyait pas l’intérêt de faire le tri, ni du ramassage, d’ailleurs. A cause de ce manque de compréhension, cela n’a pas marché. Le ramassage était payant, 2000 IDR (o,11cts) par mois par personne, or pour certains, cette somme pourtant peu excessive était trop chère.
Le plastique pose donc un gros problème. À ce jour, certains en brûlent parfois,c’est une mauvaise solution pour l’environnement puisque cela dégage du dioxyde de carbone. D’autres le jettent tout simplement, il y a des endroits devenus de vrais dépotoirs à plastique.
Mika : Ce problème est typique à l’Indonésie, visible presque partout y compris à Ciptagelar. Il n’y a pas d’infrastructure de ramassage ou de recyclage. Même pour l’ile de Bali, l’ile la plus touristique d’Indonésie ou une montagne de plastique pointe son nez pas très loin de l’aéroport. Je leur ai soumis la machine du Japonais qui transforme le plastique en essence et autres matières liquides.
Conclusion
Ciptagelar m’a laissé une empreinte indélébile. Bien sûr tout n’est pas parfait, car aucun système en soi n’est parfait et c’est tant mieux. Cependant, leur philosophie de l’équilibre, du respect de la nature qui est la priorité des priorités, montre leur degré d’évolution spirituelle et leur responsabilité universelle.
Pour mon prochain séjour, j’y passerai 1 à deux mois pour apprendre à cultiver avec les Etoiles, comprendre plus en profondeur leur philosophie, découvrir leur rapport avec la nature, rencontrer les chefs soignants, les astrologues, prendre plus de temps avec le roi et la reine, m’imprégner de cette communauté âgée de plus de 600 ans, qui est toujours là.
Le message qu’elle m’a laissé : retrouver nos valeurs spirituelles est la priorité des priorités.
Lutter contre le changement climatique n’est pas la priorité, lutter contre l’effondrement systémique non plus, contre les lobbys, les politiciens, les banques non plus, contre le fait de tuer des animaux d’élevages pour les manger, non plus.
Comment tout cela pourrait-il être une priorité si nous ne traitons pas le problème de fond qui est de comprendre qui nous sommes et pourquoi nous sommes là.
Les réponses à ces questions ou les recherches de réponses à ces questions, nous amèneront par voie de conséquences, à prendre soin de notre planète. Ainsi nous éviterons les crises par nos actions communautaires et compatissantes, nous ne consommerons que ce dont nous avons besoin dans le respect de la nature. Les lobbys disparaitront d’eux-mêmes et nous ne mangerons que le strict minimum dans le respect des non humains. Ainsi le génocide animalier disparaîtra.
La priorité est bel et bien de retrouver nos valeurs, reprendre contact avec le sacré en nous, renouer d’amitié avec notre intuition, ouvrir nos cœurs à nouveau, à nos voisins.
Seul un changement intérieur en chacun de nous, permettra à l’espèce humaine de continuer d’exister. Nos actions découlent uniquement de nos intentions qui elles mêmes découlent de notre conditionnement.
Revenir à nos valeurs spirituelles, c’est se déconditionner d’un système de vie qui est contre nature.
Revenir à nos valeurs spirituelles, c’est devenir plus humain vivant en harmonie avec notre belle planète terre.
Car nous et la terre ne faisons qu’un. Quand notre dernière heure viendra, notre corps se décomposera pour rejoindre la terre mère qui elle-même ne fait qu’un avec le Cosmos, avec le Grand Tout…
Mika Denissot
Philippe Lachaise
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LA MONNAIE AUTOGRAPHE
Lors de mon dernier voyage dans le futur proche j’avais oublié de me munir de mon portefeuille. Chagriné de m’en apercevoir, je n’en ai finalement pas eu besoin et cela m’a bien instruit.
Cette fois ci j’allais visiter une petite ville du Morvan, pas loin du clocher qui avait servi de décor à l’affiche de François Mitterrand en 1981. Le clocher avait été raboté sur la photo, car il n’était pas question qu’il dépassât la tête de Tonton, futur Dieu de la France.
Arrivé sur place j’allais droit chez mon brocanteur préféré dont la caverne d’Ali Baba serait sûrement encore là dans ce futur proche. Je maugréais contre mon oubli qui allait me forcer à revenir bredouille mais qu’importe.
C’était ouvert. J’entrais dans cet univers de trésors poussiéreux.
Le tenancier était derrière son comptoir, aussi encombré d’objets que l’ensemble des étagères. Je le saluais.
- Bonjour.
- Bien le bonjour. Ah ben vous n’avez pas mis longtemps à r’venir me voir !
J’étais surpris car je n’étais pas venu depuis des mois. Des mois de mon temps même. J’acquiesçait vaguement et je rentrais dans le royaume de la brocante.
Toujours ennuyé d’avoir les poches vides je parcourais les allées, feuilletant un magasine de L’Illustration qui détaillait le luxe du paquebot Normandie et sentait bon le papier moisi. Je jouais avec un pulvérisateur manuel de Fly-Tox, pareil à celui avec lequel dans mon enfance, à cause des moustiques, ma grand mère empoisonnait tous les soirs l’air de ma chambre en appelant ce nuage infect du flitox.
Soudain je tombais en arrêt devant un étui d’obus sculpté. Un superbe travail de bosselage représentant un femme coiffée d’un chapeau et fumant une cigarette. Sous le fond de l’étui, gravé en rond autour de l’amorce percutée, “Düsseldorf 1917”. Un obus Allemand donc. Combien d’heures avait il passé à ciseler ce chef d’oeuvre au fond de sa tranchée ce Feldgrau anonyme ?
Hors de question de repartir sans cette trouvaille ! Puisque le maître des lieux paraissait bien se souvenir de moi il serait sûrement possible de s’arranger. Je marchais vers le comptoir. - Je veux vous prendre ceci mais j’ai un léger problème, j’ai oublié mon porte monnaie.
- Ah bon. Tenez.
Il me tendait un bout de papier blanc.
Comme je le regardais interloqué il ajouta : - C’est dix.
- C’est dix ?
- Oui c’est dix.
- Mais … dix quoi ?
- Ben c’est dix. Ça vaut dix.
Je fixais le bout de papier qu’il me tendait toujours. Devant mon air de plus en plus ahuri il s’étonna : - C’est y donc que vous avez oublié comment on écrit de la monnaie ?
Comme je plongeais dans une abîme de stupidité manifeste: - Mais d’où c’est y donc que vous venez pour avoir tout oublié ?
À ce moment me revint à l’esprit sa remarque en entrant. Je compris à demi la méprise : - Vous devriez plutôt me demander de quand je viens. je crains que vous n’allez pas me croire cependant.
Son visage s’éclaira et il s’esclaffa : - Crénom de Dieu j’y suis ! Vous m’avez déjà tout expliqué les autres fois sur vos voyages dans le temps. J’avais eu un peu de mal à vous suivre alors, mais maintenant je n’suis plus étonné de rien. Vous venez pour la première fois ici dans votre futur à vous mais vous venez plus tard que les fois précédentes.
Il avait raison. J’avais cafouillé dans mes voyages. En fait j’allais plus exactement cafouiller en venant plus tôt les fois suivantes et … Ah la barbe ! Je voulais cet étui d’obus maintenant !
Il revint de lui même à l’objet de mon désir : - Donc c’est cette fois ci que je dois vous expliquer comment on utilise la monnaie autographe. Allons y donc.
Il prit un air légèrement doctoral qui tranchait avec son personnage habituel : - D’abord il faut que vous sachiez qu’on utilise presque plus votre monnaie des banques. Elle sert toujours pour les salaires, les impôts, les paiement à distances ou les très gros achats, mais sinon on ne s’en sert plus entre nous ni chez les commerçants.
Il tenait toujours son bout de papier blanc. - On a arrêté de se servir pour tout de la monnaie des banques le jour ou ils ont supprimé l’argent liquide. Ils voulaient nous obliger à tout payer avec des cartes, des téléphones et même des saloperies de puces qu’ils voulaient nous coller sous la peau.
- Oui dans mon temps on sent bien venir ce sale coup…
- En plus vous savez quoi ? Une fois qu’il nous avaient retirés nos sous ils prétendaient ne nous en donner que si on disait amen à tout ce qu’ils voulaient. Pas content ? Pas d’argent ! Heureusement que cette fois ci on s’est tous fâchés ensemble.
- Vous … enfin nous les avons vaincus ?
- Oui. Ils ont essayé bien des saletés et des coups fourrés mais on avait le nombre pour nous. Ils ont même bloqué face-de-bouc, cui-cui et le reste mais on s’en moquait bien. Vous pouvez point empêcher des gens qui sont tous d’accord entre eux d’échanger comme ça leur chante.
Il continuait : - Après ça on les a même pas pendus. Vous savez quoi ? Si vous passez en ville vous verrez un gars toujours assis sur le perron de l’église. On l’appelle “t’as pas un milliard” rapport à ce qu’il était la première fortune ne France et p’tet même du monde, j’y sais plus trop bien.
- On a laissé les banquiers corrects continuer à manipuler l’argent pour les gros trucs et pour tous les jours on a pris l’habitude de la monnaie autographe. J’sais plus qui qu’a eu c’t’idée. Paraîtrait qu’c’est un gars qui travaillait dans les ordinateurs avant puis qui y en a eu marre de tous ces trucs plus compliqués qu’on en a besoin.
Réalisant qu’il avait toujours son bout de papier entre le pouce et l’index: - Bon alors allons y. J’vous y montre.
Il m’expliquait presque comme à un enfant : - Voilà comment ça se passe. Moi je vous donne cet objet qui a une valeur à vos yeux. Vous allez donc me donner une preuve que vous tenez cette valeur de moi. Cette valeur ce sera dix si vous êtes d’accord.
- …
- Ah oui. Ça vous surprend. La valeur n’a pas de nom. Dix ou vingt ou cinquante ça suffit, du moment qu’on est d’accord sur le chiffre.
- Et alors, le papier.
Il me le tendit. Je le pris, hésitant. De l’autre mains il me tendit un stylo. - Venons y. Marquez 10 en chiffres bien gros, au beau milieu.
Je m’exécutais en soignant ma calligraphie. - Maintenant vous aller signer à gauche ce billet de dix. Mais attention, pas votre signature habituelle. Quelqu’un pourrait en faire mauvais usage. Il faut vous inventer un signature pour la monnaie que vous créez.
J’improvisais un gribouillage que je pensais pouvoir reproduire ensuite et je lui tendais le nouveau billet. Je m’apprêtais déjà à prendre congé en emportant mon butin. Il m’interrompit : - Nous n’avons pas fini. Ce billet n’existera que lorsque nous l’aurons tous deux signé. Je dois le signer côté droit, voilà. La monnaie que nous venons de créer représente la valeur de ce que vous emportez de chez moi. Nous venons tous les deux de créer dix.
On peut aussi améliorer le billet. En bas on peut mettre la date, l’endroit et l’objet. - “La femme à la cigarette” ?
- Oui, très bien !
Il enchaina: - J’vous avoue qu’il m’a fallu un moment pour comprendre comment c’t’argent q’on fabrique en échangeant de objets ou des services les uns avec les autres peut valoir quelque chose. Il m’a fallu retourner ça dans ma caboche pas mal de fois mais ça a fini par rentrer !
Pendant longtemps il m’semblait qu’était rien que du vent. Mais non c’est pas du vent. C’t’étui d’obus pour vous il vaut dix et ce papier qu’on a fait ensemble il dit que je vous ai donné quelque chose qui valait dix.
Maintenant je peux aller chez le boulanger et prendre pour dix de pain. C’est pas du vent ce papier puisque vous repartez avec un objet. Peut être qu’un jour ce billet de dix reviendra vers vous en échange d’un autre objet ou d’un travail que vous vendrez dix.
Maintenant je voulais vraiment en savoir plus : - Et pour les centimes ?
- Peuh ! On s’embête pas avec ça. C’est rare qu’on descende en dessous de cinq. Un peu plus un fois, un peu moins une autre, au bout du compte on s’y retrouve toujours.
Soudain j’eus un doute : - Mais alors, il est trop facile de faire de la fausse monnaie !
- Mais non. On ne peut pas faire de la fausse monnaie. Soit toute la monnaie est fausse soit elle est toute vraie. Puisque c’est nous tous qui la faisons.
Et rappelez vous qu’il faut être deux pour écrire un billet. Il faut les deux signatures et avoir échangé quelque chose contre la nouvelle monnaie.
Là ça devenait vraiment intéressant :
Bien sur il est toujours possible de tricher mais c’est pas pire qu’autrefois.
Du temps d’où vous venez les gros bonnets et les banques trichaient sur des sommes astronomiques. On fabriquait des milliers de milliards de faux argent pour laisser les riches jouer à la bourse et ça a tenu longtemps.
Il se mit à rire: - D’ici qu’on écrive autant de billets qu’ils on fabriqué des sous électroniques avec leurs ordinateurs. On aura les mains pleines d’ampoules bien avant d’y arriver !
Il ajouta, avec un sourire malicieux : - Bien entendu on ne peut pas écrire un billet d’un milliard. Le plus gros c’est cent. Au dessus personne ne le prendra.
J’avais un nouveau doute : - Mais si je peux toujours créer un nouveau billet et ne jamais rien donner et si tout le monde peut faire pareil, alors on ne produit plus rien.
- C’est vrai, mais vous n’avez peut être pas envie qu’on ne produise plus rien et donc que même en créant des billets vous ne pourrez plus rien avoir. Donc vous ferez en sorte d’en gagner en produisant des choses.
Puis vous n’aurez pas non plus envie d’être connu comme celui qui ne sort jamais un billet de sa poche.
Jusqu’ici ça se tenait mais il restait quelques interrogations : - Et si j’ai besoin d’un outil qui est fabriqué loin ou d’un sac de ciment ou même d’un vélo neuf ?
- Pour ça on utilise encore le viel argent. Comme on l’utilise beaucoup moins qu’avant et qu’on peut presque s’en passer les banques qui ont survécu travaillent correctement. C’est compliqué d’acheter une machine avec de la monnaie autographe, par contre pour des piquets en châtaignier coupés ici et taillés sur place y’a pas de problème.
Plus je comprenais, plus il me venait de questions à l’esprit : - Mais alors, on peut convertir nos billets en viel argent ?
- Non. Ça ne servirait pas à grand chose puisqu’on n’achète pas les mêmes chose avec le viel argent qu’avec la monnaie autographe. Vous pouvez toujours demander à quelqu’un de payer pour vous en viel argent s’il est d’accord et qu’il a besoin d’acheter des choses de tous les jours.
- Mais alors, comment fixe-t-on la valeur des choses ?
- Simple. La monnaie autographe n’est pas convertible, mais pour utiliser nos habitudes on imagine que c’est grosso-modo des euros ou des dollars. On gagne rien en pratique à être plus précis. On ne va plus s’amuser à des bêtises comme 9,99.
J’allais demander comment on faisait pour emprunter mais je réalisais la stupidité de ma question avant d’ouvrir la bouche et posais une autre question : - Et quand les billets autographes sont usés ?
- C’est pas ben compliqué : on trouve une autre personne et, tout en partageant un canon, on recopie et on signe ensemble les nouveaux billets et on brûle les vieux.
J’allais parler des voleurs mais, là aussi, c’était stupide et je me mordis la langue.
Les yeux de mon interlocuteur se mirent à briller : - Donc nous y voilà ! C’était vraiment pas si compliqué et pourtant il nous aura fallu tout ces millénaires de guerres, de rapines, ces rois, empereurs et présidents bandits pour en arriver à vivre en bonne intelligence grâce à des bouts de papier griffonnés ensemble en trinquant !
On aura mis tout ce temps là pour comprendre que si on faisait autant confiance aux autres qu’on se faisait confiance à soi même, on pouvait se débarrasser de tout ce qui nous empêchait de vivre et qui nous forçait à engraisser des vautours.
Le viel argent, cet argent-prison permettait à des gens de connivence avec les rois et les présidents de fabriquer de la monnaie exactement comme on vient de le faire, sans même échanger des objets. Ils l’entouraient de règles très compliqué et en faisaient quelque chose de sacré. Du coup on ne pensait même pas à faire pareil et ils nous tenaient prisonnier avec leur fausse monnaie à eux.
Maintenant je me souviens bien comment ça a basculé.
Avant ça on était tous élevés dans l’idée que tout les autres allaient se mettre à tricher si la monnaie n’était pas sous le contrôle des gardiens du temple. D’ailleurs, à propos de temple, regardez à quoi ressemblaient les bâtiments des bourses d’échange.
Ça marchait bien leur système. Chacun se méfiait de chacun et on continuait à utiliser l’argent-prison parce qu’on avait encore moins confiance en son voisin qu’en la banque.
C’est le jour ou ils nous ont imposé la monnaie tout électronique que ça a basculé. On les voyait venir depuis un moment et la grogne commençait à bien enfler. Tout d’un coup on s’est tous mis à avoir plus confiance en nos voisins qu’en ces institutions. Ils étaient le Diable et on ne pouvait plus trouver pire nulle part.
A ce moment là l’idée des bouts de papier est sortie on ne sait pas d’où et la monnaie autographe s’est répandu partout sans crier gare.
Le temps qu’ils nous inventent des lois pour interdire d’avoir dans nos poches des bouts de papier avec des chiffes dessus, leurs sous à eux ne valaient déjà plus rien. Ils ne pouvaient même plus payer leurs flics et on les a mis dehors vite fait bien fait. - Je peux vous prendre le vaporisateur de flitox, en plus ?
- Bien sûr. On va faire un billet de 5. C’est la plus petite coupure qu’on utilise.
Étourdi et curieusement heureux je finis par prendre congé et m’engageais à pied sur le bord de la route. Le brocanteur me héla : - Ah, dernière chose ! Si vous pouvez r’venir les autres fois dans l’ordre du temps ça sera plus pratique pour qu’on sache où on en est.
- Oui. Promis. À bientôt !
Une de mes trouvailles dans chaque mains je marchais longtemps rêveur et le regard perdu au loin sur le bord de la route. Puis un résolution s’imposa dans mon esprit : - Dès que je rentre en 2020 je laisse tomber l’informatique et je fais connaître aux gens la monnaie autographe !
Philippe Lachaise. 17 mai 2020
Le principe c'est que la création monétaire est faite en lien avec la moyenne géométrique de 3 indicateurs:
- la biodiversité
- les réserves non renouvelables
- l'empreinte écologique
Cette nouvelle monnaie est distribuée sous forme d'un dividende aux collectivités publiques, entreprises et individus.
La monnaie est détruite par une fonte de l'épargne et une fonte sur les transactions. Les deux de l'ordre de 1%.
Les Lois d'Eshnunna sont un recueil législatif de la Mésopotamie ancienne, daté de la première moitié du XVIIIe siècle av. J.-C., rédigé en akkadien.
Les deux premiers articles donnent des correspondances de prix entre différents moyens de paiement et autres produits courants (grain d'orge, argent, huile, laine, cuivre bitume, etc.)
Jetons de comptabilité mis au jour à Suse, Musée du Louvre.
période uruk => IVème millénaire avant jc (-3500)
L’Économique (en grec ancien Οἰκονομικός / Oikonomikós « L'art et la manière de bien gérer un grand domaine agricole ») est une œuvre de Xénophon dans la forme des dialogues socratiques, qui traite de la gestion d'un grand domaine foncier, sur le plan humain et technique.
J.-J. Glassner affirme que « dans leur immense majorité, les paiements se font en orge, ou en métal, le cuivre ou l’argent [...]; quelques sources précisent, s’agissant de l’argent, qu’il s’agit “d’argent raffiné”. Les Mésopotamiens privilégient donc le recours à un équivalent universel qui exprime la valeur des biens... » (p. 64), mais l’auteur ne précise pas lequel. « Cet équivalent général [même remarque] n’est autre qu’une monnaie [...], “instrument de mesure généralisée des biens” ». Cette dernière affirmation s’oppose aux idées d’A. Testart : « La monnaie n’est pas le “moyen ou l’instrument de la mesure” » (p. 19). Présentant les objets monétaires qui pourraient être, en Mésopotamie, « des médailles kaniktum ou des petits disques solaires shamshum », Glassner conclut son travail sur un ton mi-figue mi-raisin : « On ne peut donc dire si ces objets ou certains d’entre eux servent de monnaie; en tout état de cause, ils peuvent avoir un double emploi » (p. 69). Mais à propos des mêmes objets, F. Thierry a une opinion différente : « Dès l’époque babylonienne ancienne, sous Hammurabi (ca 1792-1750), l’argent est le moyen de paiement pour les biens et les services, et dans certains rares cas, ce morceau d’argent porte un sceau et est appelé kaniktum [...]. Le poinçon n’est pas une garantie de l’État, mais la marque du taux d’impureté : à cette époque apparaissent le concept de “valeur annoncée”, qui dans une certaine mesure peut être comprise comme l’ancêtre de la valeur faciale, et celui de “poids réel”, qui est en quelque sorte la valeur intrinsèque, ces deux notions s’appliquant à un même kaniktum. Dans une certaine mesure, on peut dire que les conditions d’apparition de la monnaie occidentale sont nées » (p. 120).
“‘Sale’ of a ‘House”;49 Late Old Kingdom; reversed; Giza; Urk. I 157–58)
Cairo JE 42787 from Giza. For the text see Urk. I, 57; Goedicke 1970, pl. XVI; and especially Menu 1985, pp. 249ff. with fig. 1. For studies and translations, see Seidl 1957, p. 24; Goedicke 1970, p.
Cette stèle a été trouvée à Gizeh près du temple de la vallée de Khaefra. Goedicke suggère que la copie en pierre qui a survécu peut "être considérée comme une copie fidèle de l'original en papyrus sur pierre, conservant la disposition de base comme un étroit rectangle vertical"; Nigel Strudwick est d'accord, tout comme B. Menu.
Comme nous l'avons vu avec les documents wḏ-nswt ci-dessus, cela ne peut pas être complètement vrai, car l'original en papyrus aurait eu deux côtés, le recto et le verso, alors que les copies sur pierre n'ont qu'un côté. Comme les documents de wḏ-nswt, ce document commence par des lignes horizontales pour les noms des deux parties, suivies de lignes verticales contenant le contenu. Ce contrat bilatéral est conclu entre la partie A, dont le nom est endommagé à l'exception du dernier signe-ka (Goedicke rétablit le nom sous Serefka), et la partie B, un scribe Tjenty.
La clé de la compréhension de cette inscription est la ligne ἰn.(ἰ) pr pn r-ἰsw ḫr zš ṯntἰ. Goedicke interprète cela comme un contrat de bail dans lequel la partie A, [Seref ?]-ka, loue la maison au scribe Tjenti. Pour lui, ἰsw dans la phrase ἰnἰ r-ἰsw signifie "compensation salariale" comme dans bail ou loyer, il traduit donc la phrase "(ich) ([Seref ]-ka) liefere dieses Haus für Entgelt an des Schrieber Ṯntj" . Le problème, bien sûr, est de traduire les termes économiques d'une économie de troc en termes économiques monétaires. Comme le rappelle J. Janssen, le commerce égyptien était "concret par rapport aux marchandises, mais vague par rapport à leurs prix" : "Ce sont les objets eux-mêmes qu'ils ont essayé d'obtenir, et après avoir rassemblé toutes les marchandises, les deux parties ont accepté la transaction. Pourtant, la signification de ἰsw semble claire. Faulkner le traduit par "récompense" ou "compensation", et Wörterbuch par "paiement" ("Lohn"). Cependant, certains usages ne semblent pas correspondre à ces significations. Le premier exemple se trouve sur un bloc qui représente une femme portant des offrandes et cette inscription:
cette chapelle, que j'ai achetée pour ἰsw au confiseur Perhornefret comprenant 1/30 an aroura. La valeur sera donnée par ma fille.
Ce qui est clair, c'est que rḏἰ r ἰsw, rḏἰ m ἰmy.t-pr, et ḫtm r ḫtm.t impliquent tous une aliénation légale de la propriété. Pour réaliser l'opération financière "conduisent presque toujours au choix du deben de cuivre comme unité de compte " , bien que dans l'Ancien Empire, le tissu pouvait être utilisé. Comme il a été souligné ci-dessus, selon Goedicke, il ne s'agit pas d'une vente, mais d'un contrat à durée déterminée, ou "bail". (Dienstvertrag auf Zeit) comme les contrats de Djefai-Hapy. Mais l'utilisation parallèle de ἰnἰ r-ἰsw dans Memi, Merankhef, et Sakkara RM 22.11.1956 cité ci-dessus suggère qu'il s'agit d'une vente et non d'un bail.
la société égyptienne reposait sur une production à grande échelle, comme c’était le cas pour la culture des céréales, principales richesses du pays (ce qui lui a valu d’ailleurs d’être surnommé le « grenier de Rome » après la conquête romaine).
Scènes de troc, reproduction par Lepsius des peintures du mastaba de Fetekti, Ve dynastie, nécropole d’Abousir.
Scènes de troc, reproduction par Lepsius des peintures du mastaba de Fetekti, Ve dynastie, nécropole d’Abousir.
En outre, l’Égypte s’organisait selon une administration centrale dont faisaient partie non seulement le pharaon, mais également les institutions publiques (harems, administrations locales) et religieuses (temples). À ces institutions incombait la tâche de prélever le surplus des biens produits, de le stocker dans un réseau de greniers présents à travers le pays et de le redistribuer ensuite à la population d’artisans et d’ouvriers travaillant sur les grands chantiers publics, sous la forme d’un salaire-ration.
Et qui dit décentralisation des biens, dit aussi inévitablement existence d’une unité de compte.
La fonction essentielle de l’unité de compte transparaît dans les documents comptables qui sont parvenus jusqu’à nous. En effet, on peut y lire que les unités utilisées sont des contreparties comptables établissant des valeurs entre les biens. Un texte datant d’environ 2600 avant notre ère relate un attendu de jugement et nous renseigne davantage sur ces unités comptables, notamment sur l’existence d’un étalon monétaire dès l’Ancien Empire (2750-2150 av. J-C), le shât : « J’ai acquis cette maison à titre onéreux auprès du scribe Tchenti. J’ai donné pour elle dix shât , à savoir une étoffe (d’une valeur de) trois shât ; un lit (d’une valeur de) quatre shât ; une étoffe (d’une valeur de) trois shât ». Ce à quoi le défendeur déclare « Tu as complètement opéré les versements (de dix shât) par « conversion » au moyen d’objets représentant ces valeurs » (1) . Ainsi, des objets, de nature sensiblement différente, étaient placés sur le même pied d’égalité grâce à leur mise en rapport avec le shât.
De nombreux égyptologues se sont penchés sur la question de savoir ce que pouvait être ce « shât ». On a cru pendant longtemps qu’il s’agissait d’un anneau d’or d’un poids bien déterminé, ce qui en ferait, en fait, une monnaie-marchandise, mais aucun de ces anneaux ne fut jamais retrouvé par l’archéologie. Si, bien entendu, cela n’exclut pas l’existence de ces anneaux, pourquoi ne pas plutôt envisager une monnaie plus abstraite ? Car, fi nalement, ce dont il est question dans le texte de l’attendu de jugement reproduit ci-dessus tient davantage d’un « troc monétaire » que de l’existence d’une monnaie-marchandise (concrète). Le shât était donc surtout une unité de compte.
La dîme est exposée dans le Deutéronome3. Le Ma'asser Sheni (hébreu מעשר שני, seconde dîme) consistait à prélever un dixième de la production agricole des première, seconde, quatrième et cinquième années du cycle septennal de la terre pour le prendre au Temple et l'y consommer. Une autre dîme, le Ma'asser 'Ani, était prélevée la troisième et sixième année du cycle septennal. Aucune dîme n'est prélevée lors de la septième année, la Shmita, car la terre doit être laissée au repos.
Cette dîme était prélevée sur le blé, le vin et l'huile et devait être consommée au sanctuaire, sauf si la distance jusqu'à Jérusalem était trop importante, la dîme devait être convertie en argent et utilisée pour acheter tout produit comestible que le propriétaire désirerait manger à Jérusalem.