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Les numéros de téléphone pourraient bien disparaître
Obsolètes,les numéros? En théorie, oui. Mais la migration de la voix vers les données numériques est symptomatique du défi technologique auquel sont confrontés les opérateurs.
Ivan Radja
Elon Musk l'annonçait en février: dans quelques mois, le propriétaire de X renoncera à son numéro de téléphone. Mieux, il n'en composera plus un seul. Une déclaration dont il a le secret, destinée à promouvoir son rêve de super-application au sein de son réseau social, à la manière du WeChat chinois. En clair, ne plus passer que par les appels vocaux et vidéo de la messagerie intégrée. Une fonctionnalité d'appel que X a lancée sur l'application iPhone en octobre, puis sur Android en janvier.
Techniquement, le patron de Tesla est dans le vrai. Les numéros de téléphone peuvent être considérés comme une convention dont on pourrait se passer. Les moyens d'identification se sont multipliés, par exemple l'adresse IP ou l'e-mail. Pour Matthias Grossglauser, professeur en informatique et communication à l'EPFL, les choses sont toutefois un peu plus compliquées: « L'adresse IP est exigée dans quelques cas, lors de l'installation d'un routeur, par exemple, et n'est donc pas très répandue. Le point faible, en l'occurrence, est qu'elle sert à identifier une machine sur le Net, et non une personne, et cette adresse peut encore changer suivant le réseau wi-fi auquel elle est connectée. »
L'adresse e-mail est, elle, rattachée à une personne et pourrait être utilisée comme identifiant par une application, y compris pour les communications vocales. Cependant, poursuit Matthias Grossglauser, « les courriels appartiennent à un système ouvert, alors que les applications telles que WhatsApp pour Meta, FaceTime pour Google ou Telegram et Threema sont des systèmes clos. Leurs propriétaires n'ont donc aucun intérêt à s'appuyer sur des adresses e-mail, car leur modèle économique est de garder le contrôle sur les données de leurs abonnés. »
WhatsApp, comme d'autres applications, est par ailleurs encore lié au numéro de téléphone, « qui reste un critère d'identification fort » , rappelle le blogueur Xavier Studer, spécialiste des télécoms et du high-tech. « Mais le téléphone n'est pas sécurisé à 100%, comme le montrent les nombreux cas de spoofing (ndlr: faux appels usurpant des numéros de téléphone). »
Écosystèmes fermés
Concrètement, les numéros peuvent disparaître un jour, mais ce n'est pas pour tout de suite, estime Matthias Grossglauser: « Ils servent encore souvent comme moyen de vérification de l'identité, avec envoi d'un code par SMS. » Il existe pourtant déjà des écosystèmes qui se passent de numéros. C'est le cas de Signal, où le numéro est utilisé une seule fois, uniquement dans le cas de la recherche de nouveaux abonnés. « Mais quand vos identifiants internes sont créés, vous pouvez déménager à l'étranger, changer de numéro, il n'y a pas besoin d'en informer Signal, puisque les liens créés restent et vous suivent partout. » Seul bémol, Signal est lui aussi un système fermé. « Si WhatsApp, FaceTime, Signal et d'autres applications et messageries collaboraient, alors oui, les numéros de téléphone n'auraient plus de raison d'être du tout. »
Le point de bascule le plus important est que la voix, désormais, n'est plus qu'une donnée parmi d'autres et passe par le réseau internet, et non plus par les protocoles des opérateurs télécoms historiques, lorsque l'on appelle quelqu'un avec une appli plutôt qu'en composant son numéro. « Les appels et les connexions internet sont aujourd'hui gérés par nos infrastructures numériques et, que l'on utilise la téléphonie traditionnelle avec numéros ou des applications alternatives, des connexions de haute qualité sont nécessaires » , explique Rolf Ziebold, porte-parole de Sunrise.
L'essentiel du trafic est aujourd'hui numérisé, avec des différences en matière de volumes. Visionner une vidéo sur YouTube prendra plus de place que le simple son d'une conversation téléphonique avec une appli. « C'est difficile aujourd'hui pour les opérateurs, qui se rendent compte que quelque chose leur échappe » , observe Xavier Studer.
Opérateurs mis au défi
Ceux-ci contre-attaquent pourtant. Avec la quasi-gratuité des SMS, par exemple, aujourd'hui inclus dans des forfaits qui englobent messages, appels téléphonique et vidéo, ainsi qu'une somme pour le roaming à l'étranger, extensible à la demande. « Les structures tarifaires ont beaucoup changé, mais il reste que WhatsApp est entièrement gratuit » , ajoute-t-il.
Les opérateurs se réinventent et offrent de nouvelles prestations. « La majorité de nos clients utilise déjà des offres qui incluent des connexions internet et des appels illimités » , explique Rolf Ziebold. Mais, contrairement à de purs prestataires numériques, qui peuvent faire des offres avec quelques centres de données ou data centers dans divers pays, « les télécoms doivent composer avec toute une infrastructure très coûteuse à mettre en place et à entretenir, comme les antennes et les réseaux de câbles et de fibre optique » , rappelle Matthias Grossglauser.
Nouveaux services
En janvier, Swisscom a pour sa part annoncé la création de services propres dans le domaine de l'intelligence artificielle. Ainsi que des offres pour sécuriser les données. « Nous proposons aux entreprises des solutions hybrides pour le stockage sur le cloud, explique le porte-parole Christian Neuhaus. Elles peuvent choisir quelles données elles mettent sur un serveur étranger et lesquelles, plus sensibles, elles choisissent de sécuriser sur notre cloud. » Sunrise a mis sur pied une offre analogue.
Les enjeux sont colossaux et se déclinent à l'échelle du continent. L'Union européenne vient de publier son livre blanc sur le secteur, dans lequel elle encourage les opérateurs à créer des alliances, voire à fusionner, afin d'atteindre une taille critique à même de freiner les appétits d'acteurs étrangers (lire encadré). En ce sens, Swisscom anticipe avec le rachat, annoncé cette semaine, de l'opérateur Vodafone Italia. L'Europe est à la veille d'une concentration soutenue dans ce domaine, comme cela a été le cas par le passé aux États-Unis.
Mais il faut garder à l'esprit que les opérateurs suisses sont relativement petits en comparaison internationale. Et face aux GAFA, pointe Xavier Studer, « la question de facturer l'accès aux réseaux par des acteurs comme Google est un enjeu stratégique ». Swisscom, Sunrise ou Salt seront-ils eux-mêmes encore indépendants dans dix ans? Rien n'est moins sûr.
« Les numéros servent encore souvent pour vérifier l'identité, avec envoi d'un code par SMS. »
Matthias Grossglauser, professeur à l'EPFL
Face à la multiplication des moyens d'identi-fication, les numéros de téléphone sont considérés par certains comme une convention dont on pourrait se passer.
Le passage de la technologie traditionnelle du réseau fixe au nouveau paysage système basée sur IP (protocole Internet) correspond à une tendance mondiale. Fin 2017, la téléphonie conventionnelle du réseau fixe sera remplacée par le All IP. Tous les services du réseau fixe (téléphonie, TV, téléphonie mobile et Internet) passeront alors par la technologie IP et circuleront donc sur le même réseau. Cette étape ouvre la voie à une nouvelle ère de la communication : chaque appareil peut ainsi communiquer et collaborer sans limites et à tout moment.