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lettre de Monge a Talleyrand
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Venise, 26 thermidor, an V
Pour chaque manuscrit susceptible d'un genre quelconque d'intérêt, nous avons constamment consulté le catalogue imprimé de la Bibliothèque nationale, et quand le manuscrit n'y était pas compris, ce qui était assez rare, ou quand il n'y était pas d'une date aussi ancienne, ou enfin quand il n'y était qu'une seule fois, nous l'inscrivions sur la liste.
Par exemple, le livre d'apologues indiens, qui fut traduit en persan sous le nom de Calilale et Dimna par Perzoe, médecin de Cosroé roi de Perse,[9] puis de persan en arabe, et enfin de l'arabe en grec par Simon Séthi sous le titre de Stéphanites et Ichenelates,[10] se trouve deux fois en langue persane dans la Bibliothèque nationale ; mais il n'y est qu'une seule fois en arabe et une seule fois en grec. Nous avons trouvé trois fragments considérables de cet ouvrage dans les manuscrits 704, 863 et 949 des grecs de la Vaticane. N'ayant pas sous les yeux le livre imprimé, nous n'avons pas pu nous assurer si cette traduction était celle de Simon Séthi, ni reconnaître quelles lacunes ces fragments laissaient dans l'ouvrage entier ; néanmoins, nous les avons pris tous trois. De plus, le numéro 367 des manuscrits arabes contient un livre d'apologues indiens, traduit d'abord en persan par Barzvejus, médecin de Cosroé[11] ; et ensuite en arabe par Ebaul Mocaffat[12]. Quoique nous ayons tout lieu de croire que cet ouvrage soit le même que celui qui est connu sous le nom de "Calilale et Dimna", comme nous n'en avons qu'un seul exemplaire, quoiqu'il y ait eu plusieurs traductions arabes de cet ouvrage, et comme celui du Vatican fait d'ailleurs connaître le nom du traducteur arabe, nous l'avons compris dans notre convoi.[13]
Mais ce qui a attiré particulièrement notre attention, ce sont les classiques grecs et latins et tout ce qui peut avoir rapport à l'histoire. Nous vous envoyons dans ces deux genres une collection très précieuse de manuscrits d'une date très ancienne et d'une conservation très rare.
Nous ne devons pas terminer, citoyen ministre, sans vous parler de la confection de la liste ci-jointe.
-------- note
On comprend ainsi pourquoi Monge, le géomètre, ne fait pas mention du beau manuscrit grec saisi au Vatican. Le manuscrit Vaticanus gr.190 est déterminant pour l’étude et l’édition des Éléments d’Euclide. Il s’agit du plus ancien manuscrit grec complet conservé des Éléments. Selon B. Vitrac, « [ce] célèbre manuscrit joue depuis son identification au début du XIXe par Peyrard un rôle primordial dans l’édition et l’histoire du texte grec des Éléments. » Cette copie a été réalisée entre 830 et 850, lors des premières translittérations marquant l’abandon de l’écriture onciale au profit de la minuscule. ROMMEVAUX S., DJEBBAR A. et VITRAC B. (2001) « Remarques sur l’Histoire du Texte des Éléments d’Euclide », Arch. Hist. Exact Sci., 55, pp. 221-295, Springer, p. 229. Lorsqu’en 1808, F. Peyrard entreprend de vérifier le texte grec pour sa nouvelle traduction française basée sur l’édition d’Oxford de 1703, il découvre ce manuscrit qui ne comporte aucune mention de « l’édition de Théon » (εκ της Θέωνος έκδοσεως), ni la partie ajoutée VI.33 et qui diffère considérablement des vingt-deux autres manuscrits dont il avait connaissance jusque là. La comparaison l’amène à dater le texte grec d’une période antérieure à l’édition de Théon et à en conclure qu’il est plus proche du texte d’Euclide. Il décide donc d’élaborer une nouvelle édition du texte grec. B. VITRAC (2012), « The Euclidean Ideal of Proof in The Elements and Philological Uncertainties of Heiberg’s Edition of the Text », dans History and historiography of mathematical proof in ancient tradition. K. Chemla (ed). Vol. I : The 19th historiography of mathematical Proof. Cambridge University Press, p. 80.