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Porchet Léonore (G, VD):
Nous traitons ici de l'âge des personnes auxquelles vont s'appliquer les mesures préventives prévues par cette loi. Nous décidons aujourd'hui à partir de quel âge on peut attribuer à un enfant l'étiquette de terroriste potentiel.
En Suisse, le droit pénal des mineurs est, à juste titre, entièrement tourné vers l'éducation et la reprise des fondamentaux du "vivre-ensemble" pour les mineurs qui posent problème. Ainsi, l'article 2 du droit pénal des mineurs, qui énonce les principes, dispose que "la protection et l'éducation du mineur sont déterminantes dans l'application de la présente loi". Cet article fait écho à notre Constitution fédérale, qui établit en son article 11 que "les enfants et les jeunes ont droit à une protection particulière de leur intégrité et à l'encouragement de leur développement". Ces principes fondateurs doivent s'appliquer de manière prépondérante à toutes les autres lois touchant aux mineurs. Dans ce cas précis, nous parlons non seulement de mesures portant une atteinte lourde aux droits fondamentaux d'enfants, mais en plus d'enfants qui n'ont encore rien fait.
L'interdiction de contact, l'interdiction géographique ou l'assignation à une propriété ne correspondent pas à l'obligation de protection particulière, qui demande plutôt un effort accru en éducation en cas de comportement problématique. De plus, la loi ne prévoit aucun encadrement spécifique pour les enfants. La protection et l'éducation des mineurs, comme principes fondamentaux, ne sont donc pas respectées par cette loi, et c'est pour cela que je vous demande de soutenir la proposition de minorité II (Porchet) à l'article 24f et celle qui lui est associée à l'article 23k. Subsidiairement, nous vous demandons de soutenir au moins la minorité I (Marti Min Li), qui permettrait de limiter les dégâts.
Par dégâts, j'entends non seulement la négation de principes fondateurs présents dans notre propre loi et notre propre Constitution, mais aussi ceux du droit supérieur. Les nouvelles mesures comprises dans le projet de loi contreviennent aux droits de l'enfant, en violant la Convention de New York, la Convention européenne des droits de l'enfant et la Convention européenne des droits de l'homme. La commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe nous a écrit pour nous rappeler son inquiétude quant aux mesures prévues par cette loi, et particulièrement quant au sort réservé aux enfants. Le rapporteur spécial des Nations unies a également critiqué le projet de loi. Amnesty International, Human Rights, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme tirent la sonnette d'alarme.
Dans notre pays, les enfants sont protégés par l'obligation que nous avons de respecter leur intérêt supérieur.
Cet intérêt supérieur s'exprime avec le droit à l'éducation et à la réinsertion plutôt que la répression. Les enfants ne peuvent pas faire valoir leurs droits ici, en plénum, c'est donc à nous toutes et tous que revient la responsabilité de penser à leur futur et au respect de leurs droits. Avec cette loi, nous les foulons au pied.
Comme l'a très explicitement exprimé l'avocate spécialiste des droits de l'enfant, Paola Riva Gapany, oui, un enfant peut basculer dans le terrorisme, comme des enfants peuvent basculer dans des crimes extrêmement graves. Des enfants peuvent être des violeurs ou des assassins, mais il n'est pas compréhensible que pour des délits aussi graves, comme le viol ou le meurtre, des mesures adaptées à leur condition d'enfant soient à juste titre prévues, mais que ce respect de la condition particulière du mineur ne soit pas assuré lorsqu'on parle d'un enfant soupçonné, et seulement soupçonné, de terrorisme potentiel.
Ces conditions particulières sont justement là pour permettre à cet enfant de réintégrer un chemin pacifiste et constructif dans la société. Car il est quand même important de souligner que si un mineur veut se faire exploser pour des raisons politiques, religieuses ou nationalistes, cela pose plus de problème au niveau de la protection de l'enfance que de toute autre chose. Il faut absolument l'extraire de son environnement dangereux pour lui donner une chance de changer de voie, mais aussi pour donner une chance à la société d'accueillir un élément constructif, au lieu de stigmatiser et d'enfermer cet enfant, le privant ainsi, au passage, de son droit à l'éducation.
L'éducation est pourtant le meilleur rempart face aux radicalisations de toute sorte. En effet, soumettre les enfants à cette loi est une erreur morale, d'abord, mais aussi une erreur tactique contre le terrorisme. Ce serait totalement contre-productif. Nier à un enfant son droit à l'éducation, lui attribuer l'étiquette stigmatisante de terroriste potentiel, le punir avec des mesures extrêmes comme l'assignation à domicile pendant 9 mois alors qu'il n'a rien fait, tout cela va plutôt favoriser sa radicalisation. L'éducation est en effet le meilleur rempart face au terrorisme et à la radicalisation, à la pauvreté, à la marginalisation et à l'extrémisme violent.
L'éducation favorise au contraire la participation citoyenne et l'intégration. Lorsqu'on a affaire à un terroriste potentiel, la solution est donc l'éducation, pas la punition radicalisante. C'est aussi complètement inutile, puisque la radicalisation est un long processus. Nous ne devrions pas avoir de cas de mineurs suffisamment radicalisés pour justifier de telles mesures. Mais, si cet article existe, il est fort possible que la protection de l'enfance ne soit plus un passage obligé avant d'asséner les mesures les plus fortes pour les cas qui créent le doute dans l'esprit de la police.
C'est une menace pour l'enfant et son éducation. C'est une menace pour nos droits fondamentaux. C'est une menace pour nos libertés à toutes et à tous. C'est là un risque que nous ne pouvons pas courir.