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Les caricatures sont légion, mais qui sont réellement, aujourd'hui en Suisse, celles et ceux qui refusent d'obéir aux règles sanitaires?
On ne peut se baser que sur des sondages, moins précis que des données stables, mais on voit depuis quelques mois différentes catégories émerger. Celle dont on parle le plus est une partie de la classe populaire, la moins éduquée, qui a peur d'être manipulée par des élites et se rebelle contre les règles sanitaires. Leur part est prépondérante dans les études internationales. Mais il existe une deuxième catégorie, qui gagne en visibilité: ceux qui se disent « il en va de ma responsabilité », et optent pour une réflexivité consciente, éduquée...
Enfin, on a aussi des personnes plus proches des milieux écologistes pour lesquelles l'idée d'imposer des vaccins ou des restrictions au corps est impensable, et priorisent l'idée de la « vie saine et naturelle » sur le respect des règles sanitaires.
La question des enfants, particulièrement émotionnelle, cristallise-t-elle ces désobéissances?
Oui, certainement. Il y a en Suisse une tradition historique de « sur-héroïsation » de la famille et donc de la responsabilité parentale pour la protéger. On le voit indépendamment de la pandémie dans les politiques de scolarisation des enfants à la crèche, qui intervient beaucoup plus tard que dans d'autres pays européens...
On en vient presque à se demander pourquoi, finalement, on n'a pas davantage désobéi...?
Sur l'échiquier politique, il est intéressant de noter qui, en Suisse, s'est positionné sur ce créneau de la désobéissance: ce fut d'abord la droite conservatrice, libérale. L'extrême gauche anarchiste ne s'est impliquée que beaucoup plus tard. Cela tient à des raisons historiques et varie beaucoup d'un pays à un autre. Sur l'échelle sociétale ensuite, on a aujourd'hui le recul pour analyser certaines phases: en janvier 2020, on a peur. Le moment de bascule intervient à la fin de l'été 2020, et l'arrivée de la deuxième vague: chaque canton n'en fait qu'à sa tête, donnant un sentiment d'une telle cacophonie qu'aucune règle ne mérite d'être respectée s'il suffit de passer la frontière cantonale pour s'y soustraire. Puis, troisième phase intéressante: automne 2021. Le niveau de mal-être de la population est historiquement haut et, face à cela, deux attitudes: le repli sur soi, ou bien l'action, la volonté de se rebeller « contre » tout cela en se faisant littéralement « entendre » . En se sens, la désobéissance est aussi un sursaut...
Quelles conséquences auront ces « sursauts » sur la démocratie à moyen terme?
Certains craignent une fatigue démocratique et une tentation du chacun pour soi. Je préfère retenir cette idée: « In trust we trust. » La confiance est réciproque, et crée un cercle vertueux. Les décideurs auront bien compris avec cette pandémie que seule la co-construction permet d'envisager des politiques publiques acceptées par les populations. On ne respecte pas une règle qu'on ne comprend pas. A l'échelle individuelle, on le voit déjà chez le médecin, où le consentement éclairé est désormais une norme. En ce sens, la Suisse, dont le modèle est très décentralisé, est plutôt en avance sur ses voisins.